D'abord ses mains. Ensuite, une jambe ; puis deux. Enfin, tout le contour. L'anonyme silhouette d'une jeune fille, à la robe blanche, se profilait peu à peu de derrière un rideau. Betty surgissait sur la scène, un sourire à la limite de la grimace fendant ses traits calmes. Son regard inexpressif se posa sur le sol de la scène tandis que ses pieds avançaient jusqu'à son bord. Les bras tendus vers le parquet, la tête reposant sur sa poitrine, elle avait le corps d'un pantin désarticulé. Le vide entre l'estrade et la première marche lui donna soudain le vertige. Premier signe de vie du mannequin, il releva les yeux, contemplant la volée de marches. Soudain, ses pas le menèrent au vide. Il tomba.
La jeune fille se rattrapa. Elle n'était plus sur la scène, mais du côté du spectateur. S'asseyant au premier rang, elle s'offrit un paquet de popcorn qu'une demoiselle imaginaire, à la face masquée, lui vendait. Alors, sous ses yeux émerveillés, le spectacle débuta.
Bom, bom, bom ! Les trois premiers coups avaient sonné. Une petite musique résonna à ses oreilles, dans tout l'amphi, avant de se répercuter contre tout objet saillant. Ce son, qui au début charma Betty, l'effraya de plus en plus. Elle avait l'impression de se faire engloutir toute entière. Et elle ne comprenait pas pourquoi il était là. C'était si étrange… Au point d'en devenir absolument horrible.
— Allez, arrêtez, spa drôle…
Des ballerines, toutes ayant l'apparence exquise de l'internée, surgirent brusquement sur la scène, dansant, chantant, voltigeant d'un côté à l'autre de la scène. Le volume de la sonate augmenta au fur et à mesure de la ferveur des danseuses sur la scène.
Et Betty ne cessait d'hurler pour les arrêter.
— ARRETEZ ! STOOOP, JE VOUS DIS !!
Une fanfare (où tous les musiciens lui ressemblaient étrangement) l'entoura alors,
noyant ses mots sous des sons tonitruants, rendant ses cris inaudibles.
Betty se recrovilla alors sur elle-même en se bouchant les oreilles.
— STOP ! STOP ! STOP ! hurla-t-elle avec le peu de voix qu'il lui restait.
Des larmes surgirent alors de ses prunelles d'un vert éclatant. Quand cesserait-on de la harceler ?!
Ce fut à cet instant là qu'elle apparut… Elle lui rendait souvent visite, en ce moment. Un geste d'elle et tout s'interrompit.
— Merci, chuchota Betty à l'apparition.
— De rien, mon ange, lui répondit t-elle. Ses paroles furent fugitives, passèrent moins d'une seconde dans l'esprit de l'adolescente avant de devenir de plus en plus lointaines, comme un écho ou une voix s'éloignant peu à peu.
Elle était son amie. Elle disait qu'elle était son ange gardien, un ange magnifique, immortel. Elle disait aussi qu'elle pouvait vivre comme elle le voulait, qu'elle ne mourrait jamais. Alors elle avait fait ce qu'Elle avait dit. Elle avait fait ce qu'elle voulait. Depuis, on l'avait emmené là, à l'Asile. Elle disait qu'ici, c'est merveilleux. Elle avait raison. Ici, plus d'école, ici elle pouvait faire ce qu'elle voulait sans qu'on l'ennuie. Elle était enfin seule et libre.
— Tu es mon amie, hein ? lui demanda Betty, les yeux brillants encore de larmes.
— Bien sûr, mon ange.
— Je t'aime, murmura l'internée.
Il n'y eut pas de réponses. Elle disparut. Betty se retrouva à nouveau seule. Pourtant, au fond d'elle, la jeune fille savait qu'au besoin, elle aurait toujours son amie sur qui compter. Enchantée, un sourire joyeux se forma sur ses lèvres charnues et roses.
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Je ne suis jamais seule...