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Lun 30 Juil 2007 | 0:47 |
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Dans la chambre 101 de l'Asile convertie en verger, le Chat semblait avoir fort à faire.
L'auguste Animal avait lancé l'anathème contre les insoumis de l'Asile : ils étaient des excroissances malsaines et les hautes instances commandaient leur extermination. Par tous les moyens.
L'autorité chatannique avait remis à Monsieur un panier d'osier. Et Monsieur avait reçu l'offrande les mains tendues, les paumes en écuelle. Il était resté ainsi un moment, comme pour éterniser le geste de presque communion.
Le cercle des arbres tentaculaires se referma. Tout était clos.
L'imperceptible châtiment allait-il s'initialiser? Mis en œuvre par le Chat. Le Chat, un artiste, un… un créateur? Il força le regard à travers l'espace, toisa le Saint Animal, puis jeta un coup d'œil plus bas : impossible de se faufiler dans la pénombre du verger, le ventre à plat parmi les ombres, de rejoindre les couloirs de l'Asile où les dalles anciennes, Monsieur le savait, diffusaient la fraîcheur de la céramique.
Mais il se trouvait, ici, à la frontière où les convictions trépassent, où l'optimisme décline et disparaît ; mais où le délassement d'une lutte pour la conservation du soi prend place. Il se trouvait, ici, à la barrière de l'explicable et du concret, au moment où les abstractions de la vie font s'évacuer quelques pleurs. Il se sentait perdu dans ce petit espace provincial parmi les astres, ce pauvre hameau de l'espace, de l'espace total, de l'espace complet. Et ce froid si spécial, l'angoisse d'une situation délicate, cette chair de poule qui s'échappe du cœur pour atteindre la peau… Oui : Monsieur était confronté au péril d'exister.
Ce Chat, il devait le réaliser à présent, était le précurseur de l'avenir, le juge de demain. Sans lui, le jour prochain ne pourrait exister. Pourtant, également, Monsieur comprenait que sans lui le jour prochain aurait existé à coup sûr. Pourquoi ?
Il était donc condamné, ce matin-là encore, à creuser en lui-même pour abriter son âme, qu'elle ne soit déchirée par les aiguillades de la vie, ces si durs chocs portés à son coeur, ces si durs coups qui frappaient son honneur !
C'aurait été peu dire qu'il était intranquille.
Mais quand il voulut se remettre à pleurer, la situation bascula : Jack jeta son panier vers le Chat.
Un si beau panier, en plus ! Quel étrange lieu… Rien n'y était simple, on n'y faisait ce qu'on voulait que lorsque c'était contre soi…
Le panier allait dans les airs, soutenu par la rage, la colère, la frustration, la putain de frustration. Le panier volait, porté par un message : haine. Il marchait dans le vide, funambule, au risque de perdre la vie sur un fil, un minuscule fil de fer. Lentement, très lentement. Le panier s'arrêta.
Si Monsieur avait conscience d'une chose, d'un seul élément, d'une seule loi dans cet Asile de fous, c'était que sa présence ainsi que celle de ses congénères générait un mal probable, une querelle potentielle avec le temps. Quand les Mélancoliques incarnaient le poignard, leur magie, elle, incarnait le geste, le coup porté. Et le temps souffrait.
Ainsi, c'était avec un écoeurement certain pour la vie, et une pensée pour l'ordre établi qu'il n'aimait saccager que Monsieur agita la main. Le geste fut si rapide qu'on ne vit qu'un bref mouvement saccadé.
Et le panier fut figé avant d'heurter le Chat. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Mer 01 Aoû 2007 | 2:31 |
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— Tiens, un panier ! s'exclama radieusement le Chat, à la frontière de la narcolepsie. Le panier s'étant brusquement arrêté de son gracieux vol empli d'amour juste devant le museau redondant de l'animal, ce dernier agita vigoureusement sa vilaine frimousse jusqu'à la pointe de ses moustaches épicées, comme parcourues d'une envie malotrue d'éternuer.
— Non, vraiment, j'aime beaucoup ce que vous faites ! Mais vous en aurez plus besoin que moi, Jack, lança-t-il suavement à l'intéressé, et en un gazouillement plus rapide que la lumière dans le cosmos intersidéral, le même panier (osier véritable, hypoallergénique, biologique, aérodynamique, etc.) se retrouva collé dans l'une des mains de l'agressif Paranoïaque. Mais littéralement : la petite mimine agrippée sur l'anse, Jack ne pourrait plus confondre cette ravissante petite œuvre d'artisan commun avec une arme de destruction massive.
Dix, onze, douze, elles seront toutes rouges…
Une fois la frivole comptine achevée, les cerises entrèrent avec volupté dans un cycle de décomposition accéléré. D'infinies, elles passèrent à unité, slime granuleux à l'aspect prodigieusement visqueux et collant. De nature morte, elles mutèrent en entité, masse informe rampant douloureusement sur le sol, et s'approchant de nos duellistes bien-aimés. Tandis que les noyaux des fruits se regroupaient miteusement à différents endroits en centres de vision polynucléés, de longs pseudopodes gluants harponnèrent véhémentement les pieds et les jambes de Jack et de Monsieur, et remontèrent peu à peu le corps de ces deux veinards. Même repoussé, le sirop moisi ne s'avouerait jamais vaincu !
— Je n'ai jamais aimé les cerises, finalement… entonna célestement le Chat, au summum de son espièglerie chafouine.
Et sans le moindre bruit disgracieux, il disparut intégralement pour une fois, et en trois millièmes et deux centièmes de seconde, s'il vous plait.
Vos efforts porteront leurs fruits, assurément. Amenez-le moi — et le bon, bien entendu ! |
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Le Chat

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Ven 10 Aoû 2007 | 3:00 |
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Jack haussa les épaules.
L'autre, infiniment médiocre, venait de tomber dans le panneau. Se mêler d'un vulgaire panier, vraiment, il n'y avait rien de plus risible. Dans cet interventionnisme inutile se trouvait toute la lâcheté d'un esprit faible, en proie aux craintes et au mal. En dépit des apparences, son acte venait ainsi de déboucher sur une conséquence : les choses étaient maintenant tranchées, les intentions parfaitement claires, et les pouvoirs en place brusquement affichés. Le Chat était le plus fort, de toute évidence. Intouchable, hypocrite, et peut-être prêt à tout pour les soumettre. Quant à l'autre, chétif, larmoyant, il n'en possédait pas moins une arme, une arme non négligeable… Celle de ses semblables. Tous ces bruits, même les plus fous, avaient donc un fond de vérité.
Jack manquait de temps. Les interrogations se bousculaient dans sa tête. Le danger était devenu total. Derrière cette affreuse plaisanterie se cachait le pire : une menace bien réelle. La haine le reprit encore, peut-être au fond ne l'avait-elle jamais quitté. Faudrait-il… combattre ? Avoir le dessus, voilà le meilleur moyen pour sauver sa peau. Mais comment ? Il ne pouvait plus se défaire de cette situation, le panier lui collait aux doigts, le sol s'aggripait à ses mollets… Il manquait de temps, il manquait de maîtrise.
Par chance, il n'était pas du genre à s'affoler.
Vif et puissant, il agrippa la branche la plus proche, et se hissa contre le tronc d'un arbre frémissant. Puis il renonça aussitôt : son unique main libre glissait, se brûlait contre l'écorce malveillante. On n'échapperait pas à cette mélasse foireuse en essayant de grimper là-dessus. La nature, les arbres, les fruits, le jus, une belle malédiction, un effroyable complot ! Il en regrettait presque la présence de la bestiole… Résolu à ne pas se laisser abattre, il jeta un coup d'oeil en direction de l'autre.
Qu'est-ce qui pouvait bien se tramer sous son vil chapeau ?
Cet imbécile ferait-il seulement le nécessaire pour sortir vivant de cette… folie ?
_____________ L'être en berne terne se tait.
L'être en berne terne se sait.
De rien ne se vêt ni ne s'orne.
Si mauvais qu'à crever se borne. |
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Jack Selway Paranoïaque

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Mar 14 Aoû 2007 | 13:49 |
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Dans sa misérable existence, Monsieur s'était retrouvé harponné à la proue d'un bateau, avait eu maintes prises de bec avec des bandits, s'était fait battre par des mômes et torturer par le bourdonnement de frelons pris entre les deux vitres qui composaient, jadis, sa fenêtre.
Jamais il ne s'était heurté à l'énormité scrupuleuse d'un monstre rouge, à la malversation totale d'un lot entier de cerises. Ceci ne voulait cohabiter ni avec son imaginaire ni avec sa raison : pourquoi des cerises ? Il aurait accepté cela venant de pommes, de fraises, de bleuets, ou même de kiwis. Mais des cerises ! Que le Chat, le vilain Chat leur avait-il fait ? D'Ange, il les avait faites devenir Démon.
Il était mystifié. Si bien et tellement bien qu'on aperçut la chose gluante et rampante se torde sur lui, lui lécher le corps de toute sa viscosité et lui embrasser les joues comme une tante en manque d'amour. Le lecteur peut se délecter de cette description pour le moins comique.
Il ne faisait rien, durant que le chef d'œuvre rouge et culinaire du Chat semblait vouloir l'engloutir totalement. La haute cuisine des chefs français perdait, ici, toute sa prestance au profit d'un appétit presque sexuel pour le corps de Monsieur.
Les courbes écarlates de l'agresseur se dandinaient sur lui avec force et agilité.
Se laisser faire ! Se laisser faire, se disait-il ! Surtout, se laisser faire. Peut-être la chose le noierait-il, peut-être lui servirait-elle la mort sur un plateau délicat et fruité ?
Il tendit ses bras dans les airs, comme on le fait pour s'étirer, le matin ; il cria à l'endroit de Jack, le ton détaché et presque désinvolte :
— Regardeee ! Je me baiiggnnee ! _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Ven 17 Aoû 2007 | 4:36 |
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Les choses étaient bien telles qu'il les avait perçues.
L'autre confirmait ses attentes. Précisément par l'absence de perspectives : d'un tel légume, il n'y avait plus rien à tirer. Pourtant, en le voyant s'étaler de cette manière, le nez dans le jus, de la saloperie plein les yeux, enfoncé jusqu'au cou, Jack eut un sentiment de profond malaise. Il demeura sans rien dire quelques instants, agitant ardemment les chevilles pour ne pas laisser s'étendre la chose.
Puis, brusquement, il se jeta sur son adversaire. Il plongea droit sur lui, et le saisit par l'épaule avec une vigueur incroyable, l'arrachant à son sort, à sa mort promise, à sa mort dûe, sa mort voulue ! Voulue ! L'imbécile.
Jack se sentait écoeuré. Son dégoût était tel qu'il aurait pu en gerber ses tripes au sol, ce foutu sol, qui, comme le reste, lui filait la nausée.
Et l'autre… Pourquoi avait-il eu besoin de venir le tirer de là ? Il lui jeta à peine un regard, et fit brusquement volte face.
— Sombre crétin !!!
Son panier toujours fixé à la main, Jack se mit à patauger dans la boue sanguinolente, sans se retourner, sans s'arrêter, sans réfléchir.
Il fuyait. Mais seulement sous la contrainte : il ne pouvait pas rester là. Il fuyait l'autre, il fuyait ce malade, il fuyait la forêt, les arbres, il fuyait ce piège, ce jus, il fuyait la mort, il pataugeait et grognait, soufflait, courait encore, sautillait, maudissait le monde et l'existence, cette prison, ce couloir sans issue, il se maudissait lui, Selway, lui, pour avoir commis cette erreur, pour avoir eu ce… geste !
Au bout de plusieurs longues minutes, il s'arrêta enfin, à bout de forces. Les arbres l'entouraient encore, la chose harcelait ses mollets.
Essoufflé jusqu'au vertige, Jack essuya la sueur qui lui coulait sur le front, et passa la main dans ses cheveux humides.
Au fond, il se fuyait lui-même.
_____________ L'être en berne terne se tait.
L'être en berne terne se sait.
De rien ne se vêt ni ne s'orne.
Si mauvais qu'à crever se borne. |
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Jack Selway Paranoïaque

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Dim 19 Aoû 2007 | 2:22 |
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On l'avait sauvé.
De bord en bord de son corps, un fort courant de haine s'agitait. Il s'agissait d'une incroyable onde d'antipathie, de rancune, d'agressivité qui le tenait avec la poigne d'un cyclope. Et l'onde semblait indubitablement l'avaler de son unique grand œil circulaire et puissant, le regarder de haut en bas comme on détaille un objet. L'objet de son désir. De son unique grand œil divin d'entre les divins, il le bénissait, le sacrait. Il le célébrait de ce grand œil comme on célèbre les futurs sacrifiés. Mais ce ne serait point la vie qu'on lui ôterait, ce serait la mort.
Comme Ulysse piégé dans la caverne de Polyphème, comme Ulysse naviguant, voyageant sur la mer, Monsieur était piégé dans son propre corps et naviguait sur l'eau chatoyante de la vie, voyageait avec l'espoir, ou du moins le désir de trouver la mort.
Cette mort qu'on venait de lui enlever. On venait de la lui enlever par le veto divin qu'ont les dieux de refuser la mort comme on accepte la vie. Le veto. Son droit, à lui ? Son droit, à cet abruti ? Son droit, à ce barbare ?
Dieu ou non, Monsieur s'élèverait contre lui ainsi que les grands héros des grandes odyssées se soulèvent contre les êtres qui les gouvernent ou contre le destin. Monsieur allait faire ses propres choix. C'était décidé.
Plus facile à dire qu'à faire. Il opta pour la manière douce, tout en plongeant la main dans le machin visqueux, tâtonnant le sol en quête de ce que le Zeus du règne animal lui avait ordonné de dénicher : le fruit de la passion.
— J'm'appelle Personne, et toi ? _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Jeu 30 Aoû 2007 | 2:19 |
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Se tirer, mais par où ? Comment ? Quoi ?
Manquait encore la sortie de secours, le plan d'évacuation, l'hélicoptère, l'échelle de cordes, l'hydravion, le sous-marin peut-être, le bathyscaphe, ou bien le kayak, la pirogue, le trois-mâts, la navette, la montgolfière, le dirigeable, aéronef, aérodyne, aérostat, et puis quoi encore ? Un tapis volant ?
Jack était d'humeur sinistre, de plus en plus sinistre.
Il sentait revenir sa rage, insatiable, toujours assoiffée, puissante, noire. Elle revenait printanière, pure et fraîche, immaculée. Il l'accueillait en lui comme au premier jour, s'y réfugiant tous crocs dehors, l'écume aux lèvres. Comment pouvait-il en être autrement ? Le supplice des intonations montantes à répétition, c'était la goutte d'eau dans le bourbier — la pisse rouge qui lui titillait soigneusement les genoux : c'en était trop, bien trop, beaucoup trop.
Tout à son exaspération salvatrice, Jack se moquait bien à présent de savoir ce qu'il adviendrait de l'autre.
De toutes ses forces, il propulsa son poing contre le premier tronc venu.
Tout à son exaspération destructrice, Jack se moquait bien à présent de savoir ce qu'il adviendrait de ses phalanges.
Une fois encore, il frappa. Lourdement. Violemment. Frontalement. Sans retenue. Sans joie. Une fois encore, et une fois encore, une fois nouvelle, une supplémentaire, une petite de plus, une pour la route, une pour l'autre, une pour le Chat, une pour…
Le tronc gigotait en tous sens, ses os craquaient probablement, il n'avait que faire du sang, seuls comptaient sa rage, et son aveuglement.
— Et une cuillère pour… JACK !!!
Même pas mal.
Ils pouvaient bien envoyer le cerf-volant, le zeppelin, et la barquette.
Pour sûr, lui, Selway, en ferait de la confiture.
_____________ L'être en berne terne se tait.
L'être en berne terne se sait.
De rien ne se vêt ni ne s'orne.
Si mauvais qu'à crever se borne. |
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Jack Selway Paranoïaque

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Jeu 30 Aoû 2007 | 15:44 |
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— J'm'appelle Personne, et toi ?
Aucune réponse de la part de la gelée rouge. Inerte, elle demeurait lourdement muette à ses tentatives d'établir la communication. Ce n'était point comme ça, à se regarder le bout du nez et à jouir, ensemble, de nombreux plaisirs qu'ils allaient aboutir à une relation vraiment sérieuse.
Des remords, soudain : Bah ok, j't'ai fait une p'tite menterie. Mon nom c'pas Personne, cé Monsieur. C'parcqu'é j'suis pas fier de mon vrai name, tu comprends ?… tu comprends ? Dis-moé'le, qu't'comprends. Envoye ! fais pas la baboune, ma jolie !
Silence.
— Ben si c'est comme ça, moé j'te quitte. Vie de merde ! Vie de cul ! Pas foutu de s'trouver une copine assez gentille pour qu'a veuille me tuer, icitte !
Maintenant, partir en direction de Jack. Ses deux bras nageant vite comme des hélices de moulin, il allait vite.
Son bras droit heurta… un fruit. Un gros fruit qui ressemblait à rien de connu, d'un vert qui ressemblait à rien de connu, d'une forme qui ressemblait à rien de connu, c'était rien de connu, Monsieur brandit en l'air le gros fruit qui ressemblait à rien de connu, cria à Jack, d'un ton qui ressemblait à aucun ton connu : « R'garde c'que j'ai trouvé ! Putain qu'c'est gros ! » _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Dim 02 Sep 2007 | 16:00 |
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Il souffrait, il souffrait à en crever ; sans plaisir aucun.
Exténué, brisé, il s'arrêta, les tempes douloureuses et le coeur battant. Avec une once d'apaisement peut-être. Mais de la satisfaction, certainement pas. Nulle ivresse, et de délire, point. Là-dessus, les apparences pouvaient bien mentir — ce ne serait pas la première fois — au fond il s'en fichait complètement.
Pour en finir avec Jack Selway, il en fallait plus. Bien plus.
En attendant, les choses tenaient bon, elles tenaient droit. Il avait son équilibre, et sa raison. La sagesse n'était pas exactement son fort, et question cohérence, il devait sans doute avoir quelques failles. Mais il gardait un esprit sûr, fiable et solide. C'était bien là l'essentiel.
Le poing frémissant, il leva les yeux vers le ciel avec l'espoir d'atteindre le haut de son ennemi — l'arbre.
Il ne vit rien. Pas d'issue, pas de limite, pas de fin. Un tronc, une écorce froide, dure et interminable.
Jack tourna la tête. L'autre était de retour, il beuglait comme un dingue. Et il filait vite, l'animal, visiblement ravi par sa trouvaille, sa foutue trouvaille. D'où est-ce que ça sortait, ce machin vert ? Tiré de son maudit chapeau ? Ah vraiment ? Et pour quoi faire ? Remplir son petit panier ? Fantastique. Prodigieux. Renversant.
— Tu veux bien me dire à quoi ça nous avance, tes conneries ?
Sans attendre la moindre réponse, il balança un dernier bon gros coup plein d'exaspération à son ennemi — l'arbre, toujours l'arbre. Une frappe sèche, en plein thorax. Mais pas une plainte, pas un gémissement. Stoïque, imperturbable. D'un genre impassible, de marbre. En somme, une vraie tête de bois.
Jack avait les doigts plein de sang, et le regard plus noir que jamais. Du concentré jusqu'à la taille.
Il releva les yeux une fois encore, les épaules basses et la mine défaite. Cette infinie hauteur flanquait le vertige. Et ce silence, le silence des forêts, des forêts mortes et des cimetières, un silence engourdi, surréel, un néant qui vous guette et vous étouffe, qui vous encercle, et vous limite, qui vous arrange, vous termine, comme à petit feu, c'est-à-dire, avec soin, discrètement. A vous rendre fou.
Tout se décida en un éclair. Une chute, une ombre, une forme peut-être. Une petite sphère étrange dévalant des nuées lointaines et invisibles. D'un trait le long du tronc, un trait souple, sans heurts ni fracas. Telle une apparition minuscule, lente et pure, insaisissable. Et pourtant, si proche…
Jack ne la rata pas. Il eut le geste sûr, à la fois brusque et franc, fort, déterminé.
Englouti jusqu'au nombril, désespéré, exaspéré, il laissa échapper un hurlement effroyable. De douleur ou de victoire, malheur, espoir, rageur ou expiatoire. Le torse baigné de jus, la main percée de part en part, tremblante et rouge.
A l'intérieur, une boule d'épines. _____________ L'être en berne terne se tait.
L'être en berne terne se sait.
De rien ne se vêt ni ne s'orne.
Si mauvais qu'à crever se borne. |
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Jack Selway Paranoïaque

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Dim 07 Oct 2007 | 23:51 |
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Monsieur eut beau examiner l'arbre de bas en haut, fouiller dans sa mémoire comme dans un tiroir, en appeler aux énergies astrales, il n'obtint aucune réponse sur l'étrange phénomène qui se produisait ; car il ne se rencontrait aucune réponse à une question informulable, intraduisible en mots.
Ce fait que Jack se trouvât dans un arbre ne se conformait à rien de concret pour Monsieur, à rien qui lui eût été imaginable, même remué et tourné dans tous les sens. Cela s'étendait devant ses yeux comme un « égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange » (Cf. On ne badine pas avec l'amour, Alfred de Musset)
Tout cet inimaginable fut évacué lors de la chute d'un truc dans la main de Jack, d'un truc qui tomba comme un clou, la pointe vers le bas. Il eut peur, tout à coup, que ledit truc probablement fragile s'eût brisé en se fracassant dans la main de Jack.
— Hey ! ça va-tu ? Tu t'es-tu égrafouiné… euh, j'veux dire égragthigé ! euh ! enfin, tu t'es-t-y faite bobo ?
Monsieur nagea vers Jack. Monsieur était près de Jack. Monsieur parla de Jack à Jack :
— Tu vas bien ? Tu sais que j'voudrais pas que tu te sois fait mal ? C'est quoi t'as dans main ? C'est-tu un fruit ? C'est pour le gentil Chat de tantôt ?
Tant de questions ! _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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