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Lun 11 Déc 2006 | 22:06 |
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Leno n'en finissait pas d'écrire ce mot. Inlassablement, avec une lenteur appliquée confinant à l'obsession, il traçait en l'air ces quatre lettres. Leno n'aimait pas beaucoup cet endroit. Pas beaucoup beaucoup.
Quelqu'un allait-il se décider enfin à le sortir d'ici ?
Leno avait mis plusieurs heures à oser s'approcher de la grande maison, pour en faire prudemment le tour. Elle ne lui plaisait pas beaucoup non plus, cette maison. Non, pas beaucoup du tout. Il avait essayé de compter les étages, mais au-delà d'un certain nombre, la maison semblait ondoyer et s'étirer, et il perdait le fil. Il lui avait semblé distinguer des visages étranges à travers les vitres, derrière les reflets du ciel terne. Il n'avait pas envie d'y entrer. Pas du tout du tout.
Où était sa maison ?
Il fallait sortir de ce grand jardin sans fleurs. Aucune allée ne lui indiquant le chemin, il prit une direction au hasard. Il chercha le soleil pour s'orienter, mais ne le trouva pas. Ses pas ne faisaient aucun bruit dans l'herbe épaisse, aucun chant d'oiseau, aucun murmure du vent ne venait briser le silence, uniquement meublé du regard indifférent de ces statues bizarres. Une fois, il avait vu un chat bondir dans les branches des arbres. Il n'avait pas osé s'approcher avant de longues minutes de cette bestiole grimaçante au regard dérangé. Le temps qu'il réunisse son courage, le chat avait disparu, ne laissant derrière lui que les échos menaçants du bruissement des feuillages.
C'est alors qu'apparut une gigantesque grille noire à l'horizon. Enfin, un chemin vers sa maison ! Il accéléra le pas. Il marcha, marcha, marcha encore, mais les grilles lui semblaient toujours aussi petites. Il continua d'avancer pendant un temps qui lui parut interminable, mais les grilles noires le narguaient toujours, jamais plus nettes, jamais plus proches, frontières de l'infini.
Leno abandonna. Il s'assit, les genoux dans les bras, et se mit à sangloter : « Maison… » _____________ Poor Leno
Where you'll be you'll go
Where you'll be I'll know
Where you'll be I'll find you |
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Leno Autiste

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Ven 11 Mai 2007 | 15:39 |
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— Home Sweet Home… chantonna une voix nasillarde, derrière le petit garçon quasiment roulé en boule. Et pourtant, derrière Leno, il n'y avait rien. Rien d'autre que la plate platitude du terrain et la verte verdure presque parfaite du gazon. A vrai dire, pas si loin que ça, l'immense bâtisse de l'Asile s'imposait toujours à la vue de l'enfant. Nul n'y semblait pouvoir échapper. Surtout pas les petits oursons si mignons, même sanglotants et pleurnichants.
Tout compte fait, ce fut devant Leno qu'apparut quelque chose. Ou quelqu'un. Quoique, plutôt quelque chose finalement. Quelque chose de vivant en tout cas. Et heureux de vivre, à en croire l'immense sourire plein de dents qui restait gravé sur ce qui semblait être son visage. Visage agrémenté en plus de deux petits oreilles plutôt pugnaces, de grandes moustaches assez circonspectes, et d'yeux qui semblaient entendre les mille senteurs des fleurs qu'eux seuls pouvaient toucher dans ce jardin. Et on ne parlera pas de cet imposant corps inexistant… qui devait être tout autant celui d'un chat que la tête.
— C'est vrai que cet endroit est une véritable PLEH… remarqua l'étrange animal bizarre avec cette même voix grinçante mais agréable parce que diablement enjouée, alors qu'au même moment se matérialisa, juste devant Leno et entre eux deux donc, le mot que l'ourson avait lui même tracé en l'air plusieurs fois auparavant. Les lettres, d'un rose bonbon aux reflets fantomatiques, liquides et sirupeuses, commençaient à dégouliner sur l'herbe du parc, formant lentement mais sûrement une petite flaque d'un slime venu tout droit d'un mauvais film de science-fiction.
— Néanmoins, tu devrais y goûter. C'est bon ! finit par commenter la bouche pleine de dents, alors qu'une langue étonnamment longue — et du même rose que l'étrange pâte poisseuse — venait de lécher la babine gauche juste au-dessus d'elle. |
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Le Chat

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Lun 14 Mai 2007 | 14:48 |
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La farce du chat n'avait pas du tout eu l'effet escompté. Ou peut-être qui si, finalement ? En tout cas, Leno n'en avait pas du tout saisi l'humour. Pas du tout du tout. Dès le premier grincement sournois dans son dos, il s'était tétanisé. Même ses larmes paraissaient figées sur ses joues, attendant un moment plus sûr pour se remettre à rouler.
Lorsqu'il trouva le courage de rouvrir les yeux, ce fut pour tomber nez à nez avec une tête de chat à l'air totalement azimuté. Tout chez lui, depuis son sourire jusqu'à la forme de ses moustaches, était absurde. Jusqu'à l'ondoiement de son pelage lorsqu'il pépiait des incongruités. Leno restait de marbre tandis que les fantaisies du Chat faisaient de son cœur un véritable jokari. Les yeux écarquillés de terreur, il regardait la gelée fluo dégouliner lentement sur l'herbe et s'étaler en une flaque épaisse qui semblait ramper vers lui. Plutôt mourir que de toucher cette chose. Il recula maladroitement.
Leno n'aimait pas du tout le Chat. Pas du tout du tout du tout. Son sourire semblait croître avec l'épouvante du pauvre Leno. Alors qu'il adressait une prière muette à un dieu anonyme afin que cette bestiole inepte le laisse au plus vite tranquille, il lui sembla entendre un écho rassurant (pas méchante) résonner dans sa tête. Sans pouvoir déterminer l'origine de cette sensation, il savait qu'elle ne venait pas du Chat. Non non non. C'était sain. Un peu rasséréné, il articula avec difficulté :
— Je veux rentrer à la maison. Pourquoi je suis ici ? _____________ Poor Leno
Where you'll be you'll go
Where you'll be I'll know
Where you'll be I'll find you |
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Leno Autiste

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Mer 13 Juin 2007 | 13:59 |
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— Et pourquoi pas ? interrogea tragiquement la bestiole, un sourire abracadabrantesque vissé sur son visage tournoyant maintenant sur lui-même.
D'un coup et sans prévenir, la même langue qui avait léchouillé innocemment une babine s'étira à nouveau pour aller prendre une grosse lampée du sirop flashy qu'elle ramena sans détours dans la bouche — toujours pleine de dents, diantre — de son propriétaire, ce qui eut pour conséquence immédiate de faire apparaître le corps bigarré de l'animal. A quelques mètres de sa tête, seulement. Mais le Chat ne s'en souciait pas pour l'instant, il dégustait le résidu de la plaie qu'il venait d'infliger à l'Asile, singeant précieusement l'œnologue, ses vicieuses prunelles ensorcelées par la chatoyante robe sous des sourcils que les arômes grisants chiffonnaient fastueusement, la moue ridiculement grandiloquente… La bouche en cul de poule quoi (claquements de bec inside).
— Hum, c'est… envolé ! Même insidieux. Plutôt narquois, mais un tantinet hargneux. Toujours est-il que tu devrais vraiment goûter, après on… Eh bien on se croirait chez soi justement ! commenta-t-il en finissant toujours par ce petit rire acidulé, fleurissant son ironie mesquine d'une papillonnante fierté.
— Mais ! Mais c'est ma queue tiens ! Je savais bien que je l'avais mise quelque part… lança la gueule flottante du Chat à son corps, qui venait de s'apercevoir de la fausse supercherie.
— Tu aurais pu me le dire quand même, déclara l'animal, apparemment déçu, voire navré du mutisme de Leno. Peut-être eût-il alors fallu que ce fût vers lui que ses yeux se tournassent plutôt que vers sa queue, justement.
Mais, finalement, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes puisque la tête revenue sur son corps avait permis à la queue de reprendre son habituel mouvement félin de balancier, nonchalant et hypnotisant. |
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Le Chat

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Lun 02 Juil 2007 | 16:01 |
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A l'apparition du corps à quelques pas de sa tête, Leno s'était d'abord recroquevillé, mais gardait les yeux grands ouverts. Il ne voulait pas rater la suite. Sans qu'il comprenne vraiment pourquoi, Leno avait un peu moins peur. Il n'était pas rassuré, non non non, mais il se sentait curieux. Le Chat était bizarre, beaucoup beaucoup même, mais les rayures sur son dos faisaient des jolis dessins, bouillonnant et se convulsant au gré de ses chafouinades. Fasciné par les métamorphoses délicates de ces motifs abscons, il n'entendit qu'à peine les monologues du palais de la bestiole. Hors de question de toute façon de mettre cette gelée inepte à la bouche. Pas question question ! Il n'avait pas confiance.
Pourtant, il se surprit à glousser lorsque la tête du Chat chemina avec un balancement ridicule vers son corps, pour s'y poser comme un papillon obèse. Ce clown grotesque avait mis son numéro parfaitement au point. Il battit des mains :
— C'est rigolo ! Comment tu fais ?
Après tout, il n'était pas obligé de le toucher, il pouvait se contenter de regarder. Il voulait juste apprendre à faire pareil. Le plus important, c'était peut-être que notre petit Leno ne pensait déjà plus à sa maison. Un numéro parfaitement au point, sûr sûr ! _____________ Poor Leno
Where you'll be you'll go
Where you'll be I'll know
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Leno Autiste

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Sam 28 Juil 2007 | 16:08 |
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— Comment je fais quoi ? demanda l'animal fantasque, avec une innocence dramatiquement feinte et tellement parfaite qu'elle en perdait toute crédibilité. Si bien qu'en écho de sa comédie éhontée, son sourire, mi-figue mi-raisin, s'étira minutieusement jusqu'à ses oreilles pacifistes, tel l'étendard mesquin de la sournoiserie.
Ivre de son succès vilainement sophistiqué concernant l'apprivoisement ingénu de Leno, le Chat, dont les iris chamarrés scrutaient deux horizons opposés, allongea candidement sa langue râpeuse une dernière fois, vers les dernières traces de liqueur fluo et n'en laissa strictement pas une goutte. Loin de lui l'idée baroque de vouloir gâcher !
Après avoir laissé se dérober — par inadvertance — un fin rire cristallin digne d'une vierge émoustillée, son regard éperdûment vaseux retomba, ou presque, sur l'ourfron… Le foufon ? Nan, l'ousron ! Enfin, sur l'autre bestiole drôlement poilue quoi !
— Si tu acceptes de jouer avec nous ici, je suis persuadé que tu pourras faire des trucs rigolos toi aussi… Tu veux ? invita un Chat précieusement aguicheur, la voix toute autant stridulante que (hips !) la bouche agréablement pâteuse. |
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Le Chat

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Mer 12 Mar 2008 | 15:01 |
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Le dilemme du petit ourson était physique. Tétanisé par la concentration, il ne réussissait pas à peser le pour et le contre. La proposition du Chat le séduisait, il avait une envie folle de jouer à faire voler sa tête, lui aussi ! Pourtant, quelque chose le retenait. Quoi donc ? Il n'aurait su le dire. C'était rien, rien rien, mais c'était là.
Leno avait-il la conscience diffuse que tout cela était trop facile ? Que les roucoulements du Chat embaumaient de perversion ? Flarait-il le piège ?
Pas du tout du tout ! Leno éprouvait une conviction diffuse qu'aucun mensonge ne pouvait sortir du museau du Chat. Mais comme les vérités du Chat étaient difficiles à suivre ! Le Chat parlait comme les grands, mieux que les grands même.
Et Leno était perdu. Qu'avait-il à perdre, il n'aurait su le dire. D'où lui venait cette retenue indistincte et pourtant si tangible, il ne songea même pas à se le demander. Ce que se demandait Leno, c'est pourquoi il n'arrivait pas à savoir si il avait envie de jouer avec le Chat ou pas ! Pourquoi pourquoi ?
Leno était trop jeune pour réaliser qu'on peut faire confiance à quelqu'un pour certaines choses, et pas pour d'autres. Leno faisait confiance au Chat quand il était question de péroraisons, mais beaucoup moins quand il s'agissait de se faire dévisser la tête ! Une nuance bien trop subtile aux yeux d'un petit ourson… Le Chat était-il digne de confiance, oui ou non ? Bon ? Ou mauvais ?
Leno ne songea pas à gagner du temps afin d'étudier le problème plus longuement. Il ne songea pas à questionner plus précisément le Chat sur la nature ou le contenu des jeux qu'il avait manifestement en tête. Il ne songea pas non plus à lui faire promettre des choses concernant sa sécurité ou son confort. Il ne songea pas à lui demander qui se cachait derrière cet étrange "nous". Il ne songea pas un seul instant à lui confier sa crainte diffuse.
Et par-dessus tout, Leno ne réalisa pas que son silence s'éternisait. _____________ Poor Leno
Where you'll be you'll go
Where you'll be I'll know
Where you'll be I'll find you |
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Leno Autiste

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