Le mur explosa en une pluie d’élucubrations morbides et de rêves douloureusement organiques, déversant un contenu malsain dans une artère isolée des égouts. Des gerbes d’éclaboussures torsadées répondirent à la déchirure initiale, puis des choses commencèrent à s’éloigner du point d'impact.
Une élégie jaunâtre se laissa tomber jusqu'au plafond et resta là, immobile, morte, tout en bec et en pattes ; un hybride mieux adapté à son nouveau milieu s’éloigna dignement, par crispations pulsées de son immense main, en sens inverse du courant. Beaucoup n'eurent pas cette chance et furent engloutis en quelques instants par les eaux sales. Un amphigouri, bouillonnement vivant, métaphoridé perclu d'ampoules, se glissa loconviment vers le trou suintant dans la paroi.
Vers son univers d'origine. Des prés de sentiments monochromatiques, à l'odeur rauque ; des cieux d’étonnement ; des mers de lâcheté glauque.
Une forme massive se hissa péniblement sur le bord opposé du canal. Il s'en échappait pêle-mêle des ahanements gargouillants et des sirènes quasiment vivantes, qui firent bientôt place à des râles de douleur. Une multitude de non-êtres s’écoula de cet hôte pour s’éparpiller sur la berge, la bave crépitante.
Soudain les murs de briques se gonflèrent, émirent des filaments en travers de la brèche ; en un instant le portail, la PLEH, fut refermé. L'Asile était à nouveau un.
Cela sonna le glas de la majorité des quasi-êtres. Nés de l'abstraits, idées vivantes, ils n'avaient pas la capacité de survivre à la réalité –même synthétique, recréée pour l'occasion par les présupposés de tous les Internés. C’étaient des êtres du subconscient, inconcevables ; et ils n'avaient de place dans aucun monde humain. Un à un, ils commencèrent à se désagréger. L'extrémité de l'amphigouri avait été sectionnée par la prompte clôture et se néantisa spasmodiquement en émulsionnant des indices de feu sa présence, quelque part. Le fleuve de déchet ne recracha jamais ce qu'il avait englouti. Quant à ce qui s’était enfui le long du conduit, la plupart se fondirent dans les ténèbres au sens propre du terme.
La chose énorme qui s’était affalée sur la berge s'en sortait apparemment beaucoup mieux. Bien qu'elle fondait toujours, ses gémissements s’étaient atténués, et peu à peu, une silhouette se dessina en hésitant. C’était comme si, contrairement aux autres entités, celle-ci avait en tête une image imprécise d'un corps à animer ; elle tâtonnait, revenait sur les détails, mais tendait inlassablement vers un archétype défini.
Elle se souvenait …
Bientôt une humaine silhouette se dessina, se redressa dans un geignement incontrôlé ; clairement reconnaissable malgré les lambeaux indéterminés qui la recouvraient intégralement. Volant son visage.
Sur ces membranes agonisèrent les dernières bribes de vie/idées/??? jaillies du néant ; s'affaissant une à une, elles fusionnèrent définitivement avec leur support, y imprimant des fossiles de teinture. Des runes, des symboles ésotériques. Leur essence, leur nom. Les haillons maculés à leur tour se soudèrent, formant robe et pèlerine aux contours déchiquetés.
Steven arracha d'un geste l'exuvie qui recouvrait ses yeux, et contempla avec incrédulité la cicatrice sur le mur dont il était sorti. Pendant de longues secondes, seuls ses cheveux bougeaient, en silence. Ils séchaient leur ichor.
Puis un grand rire, fou, hystérique, incontrôlable s’échappa de la gorge de l'Interné, et ses échos bondirent de paroi en paroi, et de paroi en paroi encore, jusqu’à l’éternité ; tandis que sans que le cerveau paraisse y être pour quoi que ce soit, les pieds jaillirent et se mirent à courir, courir vers n'importe où, vers un lieu en trois dimensions données, vers la lumière, vers la sortie, vers l'Asile retrouvé.
Libre !!! _____________ Until you have the courage to lose sight of the shore, you will not know the terror of being forever lost at sea. |