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Sam 04 Aoû 2007 | 17:05 |
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Marcher. Courir. S'enfuir. S'essouffler. Paniquer.
Adossée à un arbre, à l'abri des regards, un sentiment de sécurité l'envahit. Qu'y avait-il entre les arbres ? Elle avait entendu des voix. Elle en était sure. Des cris, des plaintes. On l'appelait. Il l'appelait. Sa voix était perceptible. C'était lui. Il lui reprochait de l'avoir abandonné. Elle n'y comprenait rien. Il était parti… Elle n'avait rien pu faire pour le retenir.
Elle se laissa glisser le long du tronc et s'affala sur le sol dans un sanglot tranquille. La tête au creux de ses mains, elle souffrait. Elle était seule. Complètement seule. À nouveau seule. Il était tout pour elle… Et il avait fallu que tout s'effondre.
Assise dans l'herbe, immobile, elle regardait au loin. Peut-être viendrait-il lui rendre visite ? Elle l'attendait toujours. Parfois la chance lui souriait, elle pouvait lui parler, mais très vite, son image s'évaporait, s'évanouissait dans l'air, aussi vite qu'elle était apparue. Parfois elle était sûre qu'elle l'avait vu. C'était lui. Mais il ne la reconnaissait pas. C'était horrible. Quand arrêterait-il à la fois de la poursuivre et de la fuir ? Pourrait-elle passer à autre chose ? La hanterait-il à jamais ?
Son souffle se calma et son cœur se remit à battre normalement. Elle était fatiguée. Elle était exténuée. Couchée sur le côté, les genoux recroquevillés contre sa poitrine, elle ferma les yeux. Elle resterait dans cette position. Quoi qu'il arrive. Elle était bien, l'espace d'un instant. Elle ferait tout pour conserver cet état de paix et de sérénité. Rien ni personne ne lui ferait changer d'idées. Enfin, c'est ce qu'elle croyait… |
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Désirée Forester Schizophrène

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Dim 19 Aoû 2007 | 17:22 |
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Lumière.
Ivar n'entendit pas le battement des portes qui se refermaient derrière lui, absorbé par l'analyse du parc. Il était tôt, très tôt. Le ciel hésitait encore entre jour et nuit, se nimbait d'une teinte délicate et incertaine. L'éclairage était parfait, avant l'aube, avant l'aurore.
Personne.
Mais c'était ce qu'il voulait. Les foules le mettaient toujours mal à l'aise, lui instillant un troublant et inexplicable sentiment de culpabilité. Combiné à une peur inavouée et injustifiée que "ça dégénère". Bref, le parc était désert, et c'était tant mieux.
En route.
Il entama sa balade habituelle, chemin tortueux et aveugle, ses pas le portant d'instinct de statue en statue, de haie en haie, autour de l'étang à l'impassibilité dérangeante, évitant de s'attarder du côté de la chapelle, sans savoir au juste pourquoi. Il s'en était toujours tenu à l'écart d'instinct. Toutes ces histoires de croyances, opium du peuple, patée pour cons. Conneries. De la même manière, il évitait soigneusement de s'approcher du talus derrière lequel, il le savait pour s'y être égaré par curiosité de par le passé, se trouvait un cimetière qui clochait. Saloperie.
Mais…
Une forme blanche se découpait dans l'herbe, au pied d'un des arbres dissimulant le-dit cimetière. Il continua. Sa balade matinale ne souffrait pas d'intrus. Pas avant d'être finie. A moins que… Cette forme blanche, ça ne pouvait être… est-ce que… une robe ? une femme ? Quel luxe ce serait, de rapporter une conquête de ses errances matinales ! Ne pas s'emporter, ne pas vendre la peau de l'ours, rester naturel, ou du moins en donner l'impression, elles n'aiment que ça, les garces.
Voyons voir.
Il fit demi tour et s'approcha doucement, souplement, sans empressement, comme quelqu'un qui passait là par hasard, comme quelqu'un de détendu, de neutre, de désintéressé. C'était bien une robe. C'était donc bien une femme. Il se reprit. Ne jamais vendre la peau de l'ours. Il avait vu toutes sortes de choses ici. Quelques pas supplémentaires à la même allure lui permirent heureusement de chasser ce dernier doute. Frémissante, recroquevillée, étrange et surtout sublime, elle était là, offerte. Son visage, peut-être parce qu'il n'en distinguait que le profil, paraissait irréel, gracile et merveilleusement ciselé, ses grands yeux mélancoliques délicatement posés au-dessus d'un nez altier, d'une bouche envoûtante. Il tiqua. Mélancoliques ? Et puis qu'est-ce qu'elle foutait vautrée par terre ? Encore une tentative de suicide ? Mais qu'importe, ce teint de porcelaine, ce front d'albâtre, tout dans cette fille n'était que marbre, ivoire et nacre.
Il s'accroupit près d'elle, chevaleresque : « Mademoiselle ? Est-ce que tout va bien ? » _____________
Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi.
Friedrich Nietzsche |
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Ivar Thorgensson Schizophrène

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Lun 08 Oct 2007 | 22:28 |
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Désirée était partie au royaume des songes quand le jeune homme l'interpella. Sa voix était à peine audible et semblait venir de l'au-delà. Ses paroles, nullement menaçantes, ne la firent pas broncher. Elle resta immobile. Faire comme si elle ne l'avait pas entendu. Il devait partir. Elle devait l'ignorer.
Néanmoins, curieuse, elle ouvrit un œil. Puis les deux. L'homme accroupi près d'elle ressemblait drôlement aux anges de ses rêves… Ou n'était-ce que le soleil qui, se levant derrière son dos, lui donnait cette magnifique auréole?
Elle se redressa alors contre le tronc, replaça ses cheveux et glissa sa main sur sa robe pour en enlever les brindilles, après quoi elle tourna son visage vers l'inconnu.
Son regard sombre était si profond que l'on pouvait s'y perdre à trop l'observer. Et que dire de cette bouche ? C'était la même. Parfaite.
— Oui, vous êtes bien aimable de vous en informer, Monsieur.
Après ces mots, elle essuya discrètement les dernières larmes qui dormaient sur ses joues humides. Elle détourna les yeux vers une statue quelconque et se décida finalement à enchaîner nonchalamment :
— Êtes-vous un promeneur habitué de ces lieux ?
Elle glissa une main dans ses cheveux, jouant nerveusement avec une mèche en la tortillant autour de ses doigts délicats. Une brise tendre faisait gémir l'arbre au-dessus d'eux.
Qui était cet homme ? Que voulait-il ? Désirée semblait ne pas s'en préoccuper. Du moins, pas pour l'instant. Que pouvait-il lui arriver dans ce simple parc de toute façon ? Malgré tout, elle était bien trop amorphe pour se rendre compte de quoi que ce soit… |
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Désirée Forester Schizophrène

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Mer 10 Oct 2007 | 22:06 |
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Sybille. Elle devait s'appeler Sybille.
Sybilline. Entièrement. Sa voix était délicate, ses intonations, enjôleuses, son langage, raffiné. Cette gamine était une pièce d'orfèvrerie. Une peinture. Sa coiffure, son port de tête, son cou, son regard intense : le moindre détail était poussé à un niveau de sophistication défiant l'imagination. Sauf, peut-être… cette légère rougeur autour de ses yeux. Sauf, peut-être, le fait qu'elle était étendue sur le flanc avant qu'il ne l'approche. Il se gratta nerveusement la nuque. Sauf, peut-être, que c'était une folle, comme toutes les autres. Salopes.
La colère gagnait peu à peu Ivar. Ne pouvaient-elles donc jamais s'empêcher de se donner des airs, de jouer à ces jeux glauques et perfides, de sans cesse séduire, tromper, flouer ? Il se surprit la main sous la chemise, la remit dans sa poche. Fallait-il qu'il n'ait affaire qu'à des pimbêches névrotiques qui ne vivaient que pour trouver un mari qui leur servirait de vitrine flatteuse, trop incapables de valoir quelque chose par elles-mêmes ? Sans qu'il s'en fût aperçu, sa main était retournée contre son flanc. Un mépris poisseux l'envahissait lentement, teinté d'une rancœur dont il n'arrivait pas à cerner l'origine.
Et reflua tout à coup.
Cette charmante créature était la meilleure compagnie qu'il aurait pu imaginer pour achever sa promenade, et c'était bien la raison pour laquelle il était venu, et même revenu, à sa rencontre.
— Bof, comme-ci comme ça. Etrangement, il se sentait mal à l'aise à l'idée de lui parler de son rituel matinal. J'aime pourtant le parc à cette heure, lorsqu'il est encore embaumé de rosée.
Il lui tendit le bras : « Me feriez-vous l'honneur de m'accompagner de votre savoureuse compagnie ? » _____________
Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi.
Friedrich Nietzsche |
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Ivar Thorgensson Schizophrène

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Sam 30 Mai 2009 | 21:43 |
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Une promenade ? Dans le parc ? Avec… cet homme ? Elle ne le connaissait pas, il ne la connaissait pas. Pouvait-elle accepter une telle offre ? Il était peut-être dangereux…
— Pas plus que toi en tout cas.
— Enfin, il pouvait être dangereux.
— Et puis, qu'est-ce que ça peut bien faire, tu sais te défendre, non ?
— Sottises, de quoi parles-tu? Je suis une demoiselle. Et une demoiselle respectable qui plus est. On ne m'a pas appris à me défendre, voyons.
— Ouais, bien entendu… Essaie de faire gober ça à un autre, tu veux ?
— Veux-tu bien te taire, je n'arrive même plus à réfléchir en paix.
Logiquement, ce n'était pas une promenade matinale dans un parc aux arômes de fleurs qui avait de quoi inquiéter qui que ce soit. L'air était doux et sucré, on pouvait presque y goûter. Cependant, la vision de Désirée était toute autre. Un jardin terne et froid, grugé par le temps et les tempêtes. Un vent automnal qui lui glaçait le dos. Quelques souvenirs lui revenaient alors à l'esprit…
“ „ | C'était l'automne, l'attente avait été longue et presque insoutenable. Plus d'un mois sans nouvelles, sans sa présence à son corps. Plus d'un mois à grelotter, seule, sous les couvertures. Il serait bientôt de retour. Il lui avait écrit. Il serait là dans quelques heures. L'émotion était si forte qu'elle en tremblait. Sa courte missive avait suffi à rallumer son cœur. D'un mouchoir de soie, elle essuya ses pleurs avant de partir pour l'aéroport… |
Le bras, musclé, impatiemment tendu dans sa direction, parvint à la sortir de sa torpeur. La tête basse, elle esquissa un léger sourire timide. Elle n'avait pas l'habitude. Elle n'avait plus l'habitude. On l'avait isolée depuis l'incident et elle n'avait parlé à personne. On le lui avait interdit. C'était préférable, vu sa situation. Finalement, on avait considéré qu'elle s'était réadaptée socialement, mais ce n'était que pure fiction. Elle les avait tous manipulés. Elle voulait quitter ce maudit hôpital. Leur donner ce qu'ils voulaient était la seule solution. Son plan avait pourtant échoué. On l'avait démasquée. On l'avait de nouveau enfermée.
Elle releva finalement la tête et prit le bras de l'inconnu. Un sourire à peine visible se dessinait sur son visage de porcelaine.
— D'accord. Je veux bien vous accompagner, mais vous devez d'abord vous présenter.
— Et qu'est-ce que ça change, dis-moi? Il peut bien te baratiner n'importe quoi… Tu sais très bien comment sont les hommes, non ?
— Disparais. _____________ Certains n'ont jamais le moindre espoir, d'autres le perdent éternellement. |
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Désirée Forester Schizophrène

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Dim 31 Mai 2009 | 14:33 |
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Tout allait comme sur des roulettes. Elle faisait sa mijaurée, mais elle avait dit oui, c'était tout ce qui comptait. Ivar savait désormais décrypter le langage des femmes : dire oui quand on pense non, dire peut-être quand on pense oui. Une acceptation trop franche, c'était passer pour une salope. Eh, qui se sent morveux se mouche !
Tout à ses réflexions, il avait déjà fait quelques pas, et savourait la délicate pression de sa main sur son bras. Vite, la rassurer, lui donner ce qu'elle veut (à savoir le forfait "conte de fées premium" : chasteté/château/marmots, avec la robe en bonus si vous souscrivez dans les deux semaines).
— Je me nomme Ivar Thorgensson, et vous, jolie demoiselle ? Etes-vous nouvelle ici ?
Y aller en douceur, surtout, donner l'impression de mener la danse, mais ne pas la brusquer : il fallait la séduire sans la draguer, l'air de rien. Il n'y avait rien de plus efficace que de feindre l'indifférence pour les voir vous courir après. Il ressentit soudain une vive douleur au niveau du pectoral gauche et baissa les yeux pour découvrir que sa main s'était encore une fois faufilée sous sa chemise : elle lui avait pincé le téton avec violence. Il lui sourit en attendant sa réponse : vraiment, elle était fort jolie ! _____________
Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi.
Friedrich Nietzsche |
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Ivar Thorgensson Schizophrène

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Dim 31 Mai 2009 | 20:13 |
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Et voilà. En si peu de temps, elle était de nouveau au bras d'un homme. D'une belle apparence, musclé et surtout, ce n'était pas un de ces adolescents à peine sortis des jupes de sa mère.
— T'es vite en affaires Milady…
— Pas du tout. Ce n'était qu'un geste de pure politesse. Je ne pouvais pas refuser, je l'aurais vexé autrement.
— Bah ouais… D'accord, on va dire que je te crois.
Enfin, il savait bien jouer la comédie. Charme, délicatesse et galanterie… Il lui faisait le grand numéro! Enfin, il ne fallait pas y faire attention, il fallait rester de glace. Ce n'était pas du tout son genre de se presser avec les hommes. Elle préférait prendre son temps. Les histoires d'un soir ce n'était pas pour elle. Elle s'était donné qu'à un seul homme dans toute son existence, et cet homme avait malheureusement disparu. Elle n'était pas prête à remettre ça et repartir à zéro.
Ça prendrait du temps, beaucoup de temps avant qu'elle ait de nouveau confiance en l'amour… car c'est bien de cela qu'on parlait non ?
— L'amour, l'amour… ah les grands mots…
— Quoi encore.
— Penses-tu vraiment qu'un homme qui t'aborde, comme ça, pour la première fois, aurait envie d'une relation amoureuse avec toi ? Les hommes sont plus terre-à-terre, voyons. Il ne s'élève jamais au sentiment amoureux. Tu sais très bien quelle est la chose qu'il a derrière la tête.
— Peut-être, ou peut-être pas. Je n'ai pas envie de le juger alors que je ne connais rien sur lui. Attendons pour voir ce qu'il en est.
— Si tu y tiens… mais tu verras… que j'ai toujours raison.
La chaleur de son bras contre le sien faisait battre son cœur plus vite qu'elle ne l'aurait imaginé. Tout ça remontait à si longtemps… Les souvenirs se bousculaient dans sa tête. Elle avait l'impression de retrouver son amour d'antan, la sérénité de leur promenade, alors qu'ils venaient tous juste de se rencontrer. Des regards furtifs, des sourires timides et des cœurs qui battaient la chamade. Pourrait-elle retrouver ses délicieux moments au bras d'un autre homme ? Cela était-il possible ?
— Je suis enchantée de faire votre connaissance, Monsieur Thorgensson. Quant à moi, je m'appelle Désirée Forester. On m'a fait venir ici récemment, en effet. Il y a à peine quelques mois il me semble bien… Mes souvenirs sont flous relativement à cette période de ma vie. Et vous, êtes-vous confiné en ces lieux depuis longtemps ?
En effet, on était enfermé ici, rien de moins. Surveillé par on ne sait qui, on ne sait quoi. Reclus de la société, comme si nous étions d'horribles abominations de la nature. Mais qu'avait-elle fait pour se retrouver ici, mais qu'avait-elle donc fait ?
Le soleil levant réchauffait alors doucement la peau de leur visage. Le ciel était magnifique, on aurait dit qu'on y avait fait exploser des oranges. Elle était persuadée que si on pouvait y goûter, cela goûterait assurément le jus d'orange fraîchement pressé. _____________ Certains n'ont jamais le moindre espoir, d'autres le perdent éternellement. |
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Désirée Forester Schizophrène

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Mar 28 Juil 2009 | 0:08 |
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Depuis longtemps ?
Oui.
Ivar avait le chic pour se mettre dans des situations épineuses : il vivait de la rapine et du banditisme de bas-étage, de petites arnaques miteuses, de détournements séditieux. Bref, Ivar se retrouvait régulièrement mêlé à des histoires pas très propres, et avait toujours su mener ses combines au nez et à la barbe de la police... Jusqu'à-ce que. Jusqu'à-ce qu'il se retrouve un peu plus défoncé que d'habitude au milieu d'un coup un peu plus à l'arrache que d'habitude. Jusqu'à-ce qu'ils se fassent gauler et décident de mettre les voiles en embarquant les témoins avec eux. C'est-à-dire deux flics ayant la malchance d'être trop zélés. Et de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Ce qu'était devenu l'autre flic, il n'avait jamais eu l'occasion de le savoir. A vrai dire, ce qu'était devenue la fliquette que son acolyte et lui avaient embarquée, il n'en avait pas grande idée non plus. Le flou artistique s'étendait jusqu'à la cellule : plus de trace de ses compagnons, plus de trace de la poulette. Rôtie, la poulette. Deux semaines à essayer de lui faire croire qu'il l'avait cuite et bouffée. Quand il avait entendu cette histoire, Ivar s'était imaginé la nénette avec une pomme dans la bouche... Peut-être que le fou-rire que cette image lui avait causé avait achevé de convaincre ses détracteurs de sa culpabilité. Il se souvenait qu'on lui avait présenté une liste longue comme le bras d'analyses, de preuves, de reconstitutions, de relevés, de mesures, de bidules à Déhenne et autres. Jack le rôtisseur, qu'ils l'avaient appelé : à les en croire, on aurait retrouvé pas moins de soixante-quatorze squelettes dans sa cave, cerise sur le gâteau, portant des traces de coups d'une brutalité sans nom. Glaçage sur la cerise : il manquait les soixante-quatorze têtes. Ivar avait imaginé la tête de la fliquette sur un plateau, toujours avec sa pomme : nouvel accès de rire à sa charge. Dans une sorte de brume, il s'était laissé mener sans y croire — il était forcément en train de rêver — et voilà qu'il avait atterri ici. Depuis quand attendait-il de finir de décuver ? Depuis vachement trop longtemps. Vachement, vachement trop.
En voilà, des sujets à éviter auprès d'une jolie pépette dans le genre de sa compagne de route ! Quelle idée elle avait eue de poser une question si embarrassante ! Et si innocente en apparence. Elles étaient toujours très fortes pour ça, les pépettes. Vous tester. Chercher la merde. Trouver les vices cachés. Leur sournoiserie, pathétique quand elle était mal amenée, réussissait presque à le charmer quand elle se dissimulait sous autant de candeur.
Feinter, donc.
— Depuis un temps qui me paraît bien certainement plus long qu'il ne l'est en vrai. De ce côté des grilles, les horloges sont paresseuses, on dirait.
Vite embrayer sur un autre sujet : il ne tenait ni à lui dire ce qui l'avait amené ici, ni à savoir de quoi elle souffrait ou avait souffert. Quoi que ça pût être, le charme en serait rompu. Repenser à son internement l'avait plongé dans une sorte de fièvre, de nostalgie teintée de malaise. La complimenter sur sa toilette. Ce genre de trucs marchaient à tout les coups.
— Voilà une robe bien ornementée que vous portez là ! Une robe pour les occasions spéciales ! _____________
Si tu plonges longtemps ton regard dans l'abîme, l'abîme te regarde aussi.
Friedrich Nietzsche |
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Ivar Thorgensson Schizophrène

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Mar 28 Juil 2009 | 16:22 |
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La belle l’écoutait en lui lançant des regards furtifs du coin de l’œil. Il était bel homme et Désirée partageait certainement cette opinion, mais cela ne devait pas transparaître. Elle devait se faire aussi discrète que possible.
— Pour la discrétion, on repassera.
— Pourtant, je n'ai rien fait de mal !
— Tu n'as pas vu les yeux de biche que tu lui fais depuis tout à l'heure ! C'est presque pathétique!
— Tais-toi, tu n'y comprends rien.
Elle l'avait écouté, mais ce qu'elle avait entendu la laissait perplexe. Elle se rendait bien compte que le sujet le mettait dans l'embarras. Il avait réussi à s'en sortir, avec des phrases bien tournées, et n'avait finalement pas répondu à la question. Elle n'allait certainement pas insister, elle ne voulait pas le choquer.
Désirée savait que les hommes ne sont pas comme les femmes. Ils sont beaucoup plus imprévisibles. C’était une évidence pour elle, même si elle n’était pas réellement véridique. Elle savait (ou devrait savoir) qu'il ne faut jamais brusquer un homme. Jamais. Il ne faut jamais lui demander de promettre quoi que ce soit. Ces promesses, jamais elles ne se réaliseront. C’était sa deuxième vérité. Malheureusement, dans ses élans de folie, Désirée perdait un peu la mémoire. Et des choses lui échappaient.
— Les hommes ! Imprévisibles! Et les femmes elles? Tu y as pensé? Toi, une femme, tu es l'imprévisibilité incarnée !
— Quoi, mais tu dis n'importe-quoi ! C'est plutôt lui! Tu sais bien qu'il ne faut pas leur faire confiance.
— Et toi, tu crois qu'il pouvait avoir confiance en toi ? Il aurait dû prévoir ce qui est arrivé ? Jamais, ce genre de chose est impondérable.
— Mais qu'est-il arrivé ?
— Ah là là, ça recommence… Non, mais qu'elle cruche celle-là…
Désirée ne vivait pas dans un conte de fées, mais c’était certes beaucoup plus rose que la réalité. Cette réalité, son esprit avait tenté et tente toujours de l'effacer. C'est un mécanisme de protection. C'est pour sa survie. Car si elle se souvenait… C'est pour ça qu'on l'avait interné. Ils étaient prévoyants. Ils savaient qu'elle était complètement imprévisible.
Partie dans les brumes de son esprit, elle avait tout de même perçu les quelques mots qui étaient sortis de la bouche de Thorgensson. Des mots comme des couteaux à double tranchant. Et c’était peu dire.
— Bah voilà ! Je te disais aussi de ne pas porter cette robe… Tu vois bien que tu as l'air d'une folle là ?
— Mais pas du tout. C'est normal que je porte cette robe. Je l'ai acheté, avec les économies que j'avais réussi à ramasser depuis que je suis toute petite. C'est normal que je veuille porter cette robe.
— Ce n'est pas la question. Ce genre de robe, tu sais pour quelle occasion on la porte. Crois-tu vraiment que c'est le genre d'occasion que l'on va célébrer aujourd'hui ? Ça m’étonnerait.
— C'est à cause de mon stupide fiancé, il est toujours en retard.
Sa belle robe blanche était bien ornementée, en effet. Elle était magnifique. De jolies perles en bordaient le collet et les dentelles formaient des motifs de fleur. Des roses.
— Euh oui. C'est pour une occasion spéciale.
Sa voix avait-elle tremblé? Peut-être. Chose certaine, elle ne savait pas quoi rajouter. Avait-elle vraiment envie de raconter tout ça à un inconnu ?
Elle détourna la tête et observa l'horizon. C’était comme si le soleil levant avait la faculté de remonter le temps et de sécher les larmes. Toujours accrochée au bras de l'homme, elle se sentait bien. Même s'il pouvait être maladroit, il la réconfortait malgré lui. _____________ Certains n'ont jamais le moindre espoir, d'autres le perdent éternellement. |
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Désirée Forester Schizophrène

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