Céleste regardait ses doigts qui roulaient, boulochaient et torturaient la laine épaisse pour former un semblant d'écharpe, maugréant à voix basse pour faire illusion de tristesse. A mesure que se constituait l'objet artisanal, de machiavéliques projets plus sanglants et obscènes les uns que les autres s'élaboraient avec délectation dans son esprit malade. Un sourire paisible se dessina sur ses lèvres... Elle voyait, oui, avec précision, les veines bleues sur le cou maigre de la gamine, elle entendait le craquement sourd des os qui cédaient sous ses mains, friables, mignons, abominablement mignons; et le bruit du sang qui s'écoule, le bruit...
La jeune femme sursauta. Le bruit du sang ? Un pic d'adrénaline stoppa net sa création artistique tandis qu'elle osait un regard inquiet entre les branchages. L'autre Céleste, dédoublée, accroupie devant Luce qui pleurait à gros bouillons, enroulait délicatement son écharpe autour du cou de la petite en lui susurrant des mots consolateurs et doux, serrant doucement le joli bout de tissu autour de son cou.
- Non, non, pas ça...
Et tandis qu'elle étouffait tendrement la fillette de mots réconfortants et calmes, d'envoûtantes paroles qui bercent si bien les enfants, que jamais Céleste n'aurait imaginé connaître, imaginé trouver au fond de sa mémoire soigneusement censurée; l'autre Céleste aux mains brutes souriait à son double d'un air moqueur.
- Non, ne le fais pas ! C'est juste une enfant ! Je ne veux pas !
- Mais si, c'est ce que tu veux. Depuis le début.
- Non, je t'en prie...
- Je ne te veux que du bien, chérie.
Céleste enfonça ses ongles dans la branche sur laquelle elle se tenait, fébrile, incapable de hurler comme dans ces cauchemars que l'on ne peut que contempler. Elle ne voulait pas la mort de la gosse, elle ne l'avait jamais vraiment désirée, seulement obsédée par son reflet dans ces grands yeux naïfs et cruels, par son narcissisme habituel, par son désir d'auto-destruction. Comment avait-elle pu laisser les choses tourner ainsi, et pourquoi restait-elle passive, fascinée, en attente, pleine de culpabilité et d'envie, le souffle court, incapable de résister.
Alors, l'autre Céleste la quitta du regard pour caresser la joue de Luce. Elle se releva, attrapant la main de l'enfant qui maintenant reniflait ses grosses larmes et esquissait un rire cristallin. Elles s'éloignèrent toutes les deux de l'étang, laissant Céleste seule dans ses fantasmes et son horreur, incrédule devant ce spectacle. Jamais, au grand jamais, elle ne se serait imaginée capable de ça...
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La violence sucrée de l'imaginaire console
tant bien que mal de la violence amère du réel.