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Ven 20 Mar 2009 | 23:08 |
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Les insinuations précédentes, plus développées, plus diluées également, s'étaient infiltrées sournoisement dans l'esprit du Bibliothécaire. Le raisonnement amené en plusieurs étapes créait dans son esprit son lot de supputations, de doutes et d'hypothèses associées, laissait la porte protégeant la définition de son être se fissurer lentement sous l'effet de ces coups de boutoir idéalement placés.
Quelques coups supplémentaires auraient peut-être suffi.
Trop d'enthousiasme de la part de l'assaillant sans doute, la précipitation devant une victoire à portée de main. Un coup plus violent certes, mais bien mal ajusté. Il y a des risques à frapper un homme à terre si le coup est mal ajusté. Un sol trop meuble, et la lame pourrait s'enfoncer, laissant le porteur sans défense. Trop dur et elle pourrait se briser ou pire, tenir le choc au contraire du poignet qui la soutient. Qui savait…
Au moins ce coup ci aura-t-il eu le mérite de rassembler les forces disloquées, désorientées par les assauts précédents. S'attaquer à la dignité du Bibliothécaire directement ? A son orgueil ?! Suggérer un abandon de la part de ses données ne représentait pas une faute personnelle, mais ceci, ceci !
Les étincelles issues de la combustion de volumes rares se rassemblèrent en une sphère luminescente, rappelant au fou ses croyances passées. Leur représentation matérielle importait peu, seuls comptaient les esprits dans lesquels elle s'était distillée. La connaissance ne disparaissait pas totalement, pas pour des événements récents. Il fallait juste la trouver. Suivre la piste de mémoire qui commençait en face de lui et se terminerait par une synthèse de toutes les expériences de sa manifestation.
Commencer par plonger ses mains dans la merde.
Oh oui, cette idée lui plaisait, lui arracha un petit sursaut du coin des lèvres, rapidement réprimé.
— Pas de guérison sans guérisseur.
Reprise de quelques notes d'une voix aigre, brisée.
— C'est lors d'une discussion avec l'un de vos Patients que vous avez eu l'information ? |
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Le Bibliothécaire

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Lun 13 Avr 2009 | 11:51 |
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Une pâleur dissipée, une étincelle ravivée, une posture réaffirmée, un sourire dissimulé, peut-être n'étaient-ce là que des vues de l'esprit du Psychiatre, des objectivations d'une intuition plus profonde. Peu importait : le Bilbiothécaire était de retour. Il ne s'avoua pas immédiatement en avoir éprouvé du soulagement, vite doublé par cette éternelle concurrence, presque un regret de l'avoir sauvé des eaux. Il était néanmoins rassurant de n'être plus seul à ressentir le problème, à s'y pencher, à en être conscient mais également préoccupé. Bien que malsaine et biaisée, l'implication du Bibliothécaire avait quelque chose de réconfortant, confrontée au mutisme, ou plutôt à l'absence du Directeur.
Cette remarque aigre-douce, pas de guérison sans guérisseur, c'était tellement lui, et tellement eux : les énigmes, les frictions, les rivalités… Le Psychiatre aurait pu disserter des heures durant sur toutes les implications contenues dans ces quelques mots. Même s'il n'en avait pas compris le sens, ce ne fut pas cette première phrase qui surprit le Psychiatre, mais la question qui lui succéda. Il en oublia d'interroger son collègue sur ces histoires de guérison, pour faire face à une autre foule de questionnements. Il regimbait à l'idée de confier au Bibliothécaire les informations qu'il lui demandait, non pas par peur de perdre un quelconque contrôle, mais plutôt par désir de le maintenir dans cet état d'angoisse dont une partie de lui se régalait. Allons, c'était exactement la même chose, il fallait être honnête. Allait-il mentir ? De quoi avait-il donc si peur ? Comprenait-il au moins le phénomène dont il faisait lui-même l'objet ?
— Non. Je l'ai simplement su. Ou plutôt, je l'ai senti.
Un pas en avant, peut-être, vers une conciliation, ou bien, plus simplement, un instant éphémère de collaboration, un aveu du bout des lèvres, hypocrite. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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Lun 20 Avr 2009 | 23:35 |
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SBAFF !
Tout juste remonté des profondeurs de la fosse de ses idées folles, encore appuyé au bord de la cuvette en espérant que plus aucune remontée ne lui soulèverait l'esprit, notre rongeur des passés matérialisés fut à deux doigts de se faire replonger avec force dans les eaux nauséabondes de ses doutes.
Sentir. N'est-ce pas justement ce qu'il n'avait su faire concernant cette pièce entrée aux mains des fous ? Et tout cela prononcé sous forme d'aveu arraché, alors que dans le fond, l'autre devait prendre un plaisir sadique à lui répondre de la sorte. Comment le croire en fait ? Pourquoi devrait-il se fier à ses perceptions actuelles alors qu'il y avait bien plus simple pour vérifier les assertions du Psychiatre.
— Eh bien… Je ne suis pas sûr de comprendre de quoi vous parlez, mais cela commence à m'énerver. Ne pouvant faire l'expérience actuellement des sensations que vous décrivez, je vais me rendre compte sur place. M'accompagnez-vous ?
Le bibliothécaire ne pouvait avoir dans le même temps confiance en lui-même et en l'existence de ce signal qui aurait été perçu et non référencé dans sa bibliothèque. Il en prit réellement conscience au moment même ou cette phrase lui franchit les lèvres, au point d'ajouter une invitation qu'il ne désirerait pas autrement. Car bien sûr, il espérait de tout son coeur qu'il s'agisse d'une affabulation, consciente ou non. Le léger délire lui faisant prendre une toute autre personnalité s'était maintenant enfui bien loin.
— Si réellement les événements se sont déroulés comme vous le pensez, il faut de toute manière que nous tentions de remettre les choses en ordre.
Dans le cas contraire, il serait amusant de voir les expressions qui pourraient se dessiner sur le visage de cet homme insupportable. |
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Le Bibliothécaire

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Mer 27 Mai 2009 | 20:01 |
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Le Psychiatre ne ressentit qu'un intense soulagement en voyant son collègue prendre le problème aussi au sérieux. Ses inquiétudes trouvaient enfin une justification, peut-être trouveraient-elles un exutoire, du moins feraient-ils front ensemble. Et même si ses dilemmes moraux ne concerneraient probablement personne d'autre ici-bas, il aurait de quoi nourrir ses réflexions avec autre chose que des conjectures.
Le Psychiatre connut un tel regain d'optimisme que l'irritation du Bibliothécaire, plutôt que de le replonger dans leurs vieilles querelles, ne fit que lui rappeler qu'il en avait été lui-même la source, et il ne sut que s'en sentir coupable. Le temps d'un instant, son élan fut purement fraternel, et son sourire sincère. Un état de grâce qui ne durerait certes pas, mais à cela il ne pensait même pas : ce genre d'instants se vit seconde à seconde. Il prit son partenaire par le coude :
— Ce que j'ai ressenti, c'est comme un vide, oh rien de spectaculaire, mais, vous savez, comme une porte qu'on entr'ouvre et qui laisse échapper une bourrasque qui serre le cœur. Une brèche, un appel d'air. Un déchirure dans la carte. Une enclave.
Il réalisa qu'il le découvrait lui-même au fur et à mesure qu'il l'expliquait : c'était la première fois que le Psychiatre avait l'occasion de mettre des mots sur cette expérience.
— Je ne sais pas à quoi ceci est dû. Je veux dire, ni ce changement, ni le fait que je sois capable de le ressentir. Je ne sais pas si d'autres pièces nous ont échappé et si la moitié de l'Asile est déjà entre leurs mains, mais j'en doute, puisque je sens qu'une seconde chambre est en train de sombrer. C'est comme un câble trop tendu et qu'on sent s'effilocher, comme une vitre sur laquelle on appuie doucement mais constamment et qu'on sent se distendre prodigieusement, se distendre à un point tel qu'on sait qu'elle ne pourra que se briser.
Sa proximité avec les internés était-elle à l'origine de ce privilège ? En ce cas, à quel camp appartenait-il ? Son monologue inspiré retomba comme un soufflé, et avec, la griserie de son détachement : s'il avait eu à choisir, aurait-il choisi de faire équipe avec pareilles figures de pouvoir plutôt qu'avec les rêves et les idéaux des internés ? Il n'était nullement nécessaire d'être deux pour constater ce qui lui-même savait déjà. Le temps leur était peut-être compté.
— Je vais aller tâcher d'avertir les autres. Si vous tenez à constater le spectacle de vos propres yeux, rendez-vous dans la chambre 108. Je vous propose de nous retrouver ici dans quelques heures : qui sait si mes sensations ne sont pas erronées ? Vous pourrez auquel cas me dire en quoi je me trompe.
Cette dernière phrase, innocente, n'était qu'une tentative hypocrite de racheter son sentiment de supériorité fraîchement retrouvé, en lui laissant imaginer, ponctuellement, une inversion des rôles. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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Lun 01 Juin 2009 | 17:58 |
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Et voilà, il y avait à nouveau un but, une organisation, des schémas à suivre qui permettraient de choisir parmi les données à disposition celles qui parviendraient le mieux à le guider dans les heures voire les jours à venir. Les discussions qu'il avait avec le Psychiatre avaient cela de bon qu'elles lui permettaient toujours de savoir dans quelle direction il devait se tourner ; suivre les souvenirs qui s'opposaient à la théorie du comportement ou s'approcher de cette dernière en les occultant ou donnant plus d'importance à d'autres et surtout rechercher les informations que demandait la nouvelle voie choisie.
Il ne cherchait rien de plus en fait qu'une certitude de savoir où classer les informations multiples qu'on lui confiait, rien de plus oui. Quoique si on lui avait demandé, il aurait affirmé avoir sa propre volonté indépendante des idées d'autres. Une volonté qui le poussait maintenant vers l'entrée de la chambre 108 et l'étrange remue-ménage qu'il y aurait par là-bas, semblait-il.
— Soit, je vous retrouverai plus tard, en un autre endroit j'imagine également, parce que ça pue par ici tout de même.
Et le voilà sorti. |
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Le Bibliothécaire

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Lun 01 Juin 2009 | 20:55 |
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Les dés étaient jetés. Le Psychiatre laissa son collègue s'éloigner, la démarche si rigide qu'on l'aurait presque cru boiteux. L'engouement laissa place à une amertume un peu douce : ne venait-il pas de confier un peu trop d'informations à ce misérable ? Qui savait l'usage malsain qu'il aurait pu faire de ses secrets. Allons, n'était-ce pas là qu'une réaction de l'escalier ? Il était fort heureux de savoir que le Bibliothécaire s'en allait de ce pas se jeter dans la gueule de loup.
Oui, tout ça puait.
Il vérifia son reflet dans le miroir : la coupure sur sa gorge était propre et nette. Il lui fallait désormais avertir les autres Instances. Malgré son absence de répugnance à entrer en contact avec elles — comparé au Bibliothécaire — il ressentait pourtant de l'appréhension. Une crainte sourde de s'entendre révéler, lui aussi, d'autres secrets, de devoir découvrir que l'alerte n'aurait pas été donnée assez tôt, qu'il n'avait perçu qu'une secousse dont l'épicentre se serait situé bien plus profond dans les entrailles de l'Asile, une fissure qui aurait mené jusqu'à une faille fondamentale. Il chassa ces pensées et se dirigea à son tour vers la sortie : ils mesureraient bien assez tôt l'ampleur des événements.
Prochaine étape : le laboratoire. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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