L'air sur la peau comme un attouchement métallique. Tension intolérable, Céleste serre les dents, les mots se pressent au bord des lèvres mordues, saignées à blanc par les secrets contenus. Ses yeux tournés vers la bouteille, comme de vieilles plaies gorgées de sang en attente; enfouir encore l'humiliation de ne plus savoir se donner, renier les douleurs vives qui s'agglutinent au bord des cils. A quelques mètres, tout près, angles droits et rassurants de l'esquisse aimée. Elle pense à ces mains hésitantes, douces, à l'air frais du cloître, à la brûlure tendre qui ouvrait ses entrailles. Elle a aimé, elle le sait.
Pourquoi est-ce si difficile, pourquoi maintenant ? Pourquoi ce calque, cette chambre immonde sur une tendresse toute neuve, cette fureur qui la tenaille, ce goût de sang à l'idée d'embrasser ces lèvres pourtant désirées ? Malgré la censure tyrannique de sa mémoire blindée, les décors ressurgissent, les hématomes s'échauffent. La violence la terrasse comme un coup au plexus. Céleste ne croit pas aux fantômes. Alors pourquoi s'acharnent-ils ?
Elle pense à lui, à cette ombre furtive maintenant toute proche, à son odeur encore si présente sur sa chair à elle, sa peau nue, tendue par l'appréhension, par la peur, à la délicatesse de ses gestes qu'elle ne mérite pas. Elle sait qu'il n'y est pour rien, qu'elle est la seule fautive dans cette interdiction au plaisir, à la paix, et cela la dégoûte, elle pense qu'elle se hait. Et puis elle ne pense plus. Empoigne la bouteille et pour ne pas la fracasser sur la seule personne qui l'ai jamais aimée, l'éclate sur le mur, et avec, ses genoux, ses mains, son front, submerge par sa propre violence cette chair punching-ball qui a été la sienne, les mots qu'elle ne peut pas prononcer, les remords qu'elle ne se permet pas d'avoir, tout s'échappe brusquement dans un écoulement souverain.
Et quand elle n'a plus rien à dire, enfin, elle se tait. Le vin moucheté sur la peau blanche. Le souffle court, recroquevillée sur le sol, le vêtement doux et soyeux qui découvre sa peau; est-ce toujours le même ? Elle garde les yeux clos, dans ce néant cotonneux qui suit l'explosion. Elle se dit qu'elle lui a sûrement fait peur. Qu'il l'a peut-être quittée, effrayé, dégoûté, embarrassé. Mais au moins à présent, il sait. Que le seul danger qui les guette, la seule ombre à planer sur leur cocon naissant, c'est elle-même. Et qu'elle préfère encore moisir seule dans ses effluves avortées de tendresse plutôt que de prendre le risque de le blesser.
Son corps meurtri étant enfin vécu comme ce qu'il est, ses pleins, ses ombres, ses déliés, elle n'a pas honte de sa nudité, et dans l'obscurité de son étourdissement, elle se sent bien. Autour d'elle quelque chose à changé. Les mains invisibles prêtent à l'asphyxier se sont évaporées. En fait, elle aimerait qu'il soit encore là. Oui, elle aimerait bien, un peu plus près.
- Où es-tu…?
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La violence sucrée de l'imaginaire console
tant bien que mal de la violence amère du réel.