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L'Asile
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Message Ven 12 Déc 2008 | 11:51  Répondre en citant

Eh bien Melan, qu'est-ce qu'il y a ?

Le garçon tirait en arrière, de toutes ses forces. Il ne ferait pas un pas de plus.

Tu ne veux pas aller voir papa ?

Mais qu'est-ce que papa pouvait bien signifier pour ce petit être, qui durant deux ans n'avait connu que sa mère ? Le concept papa lui évoquait-il au moins quelque chose ? Sophie n'essaya pas de l'entraîner de force, elle s'accroupit face à lui et lui prit les mains :

Tu n'as pas à avoir peur, mon chéri, je veux juste que tu puisses connaître ton papa, et il ne peut pas sortir du cimetière… C'est pour ça qu'on doit aller là-bas, mais tant que je suis avec toi il ne peut rien t'arriver, ta maman connaît bien le cimetière, et il y a beaucoup de gens très gentils qui y habitent, comme ma Mère-grand, tu l'aimeras beaucoup !

Elle prit l'enfant dans ses bras et le souleva :

On y va ?

Melan blottit sa tête au creux de son cou, et Sophie franchit le seuil du cimetière. Elle non plus n'avait pas vu son frère durant deux ans. Si elle avait trouvé le courage de revenir à nouveau là-bas, c'était pour que son fils le rencontre, mais elle ne pouvait s'empêcher de craindre dans le même temps qu'il ne lui ravisse Melan comme il lui avait ravi Estelle… Le souffle de Melan dans son cou lui rappelait celui de Marc, la pression du petit corps contre sa poitrine, ses étreintes… Elle secoua la tête et continua d'avancer.

Deux ans sans revoir son frère, mais aussi deux ans privée de Mère-grand, de ses conseils, de son réconfort. Deux ans seule, avec un enfant plus muet — ironie savoureuse — qu'une tombe. Sophie manqua de se perdre, elle avait perdu ses repères, ne comprenait plus où elle voulait se rendre. Les mains de son fils la serraient fort, comme Marc un jour l'avait saisie, empreint de vigueur et de tendresse, langueur et ivresse, ardeur et caresses, remords et tristesse… Sophie chassa à nouveau ces images, pour se concentrer sur son itinéraire.

On est bientôt arrivés mon chéri.

Pas de réponse. Sophie se demandait comment Marc allait l'accueillir, elle qui l'avait laissé croupir deux ans durant, l'avait emmuré dans sa tombe, l'avait privé de sa famille, privé de sa vie, et qui revenait maintenant, comme une fleur, reprendre les choses où elle les avait laissées… Marc avait beaucoup changé durant leur adolescence, il était impatient, il était impétueux, mais surtout, il était amer. Daignerait-il même leur adresser la parole ? L'accablerait-il de reproches ? Lui ferait-il du mal ? Ou à son fils, à leur fils ? L'anxiété de Sophie croissait à mesure qu'elle voyait se rapprocher l'arbre familier sous lequel, elle le savait, se trouvait le caveau dans lequel elle avait passé tant de temps enfant.

Marc ?

Sophie se tenait, hésitante, devant l'entrée du caveau, ne sachant comment Marc ferait son entrée, ni même s'il la ferait.

C'est là qu'habite papa, comment tu trouves sa maison ? Elle est jolie ?

Sophie voulut déposer Melan au sol mais celui-ci se cramponna à elle — ce geste lui procura un plaisir indicible, même si c'était par peur, elle n'avait qu'exceptionnellement l'occasion d'établir un contact de cette intensité avec son fils — lui rappelant Marc, qui l'avait lui aussi retenue contre lui, à cet endroit-même… Elle s'accroupit donc et garda l'enfant contre elle.

Marc ? Tu es là ? Je t'ai amené Melan !

La porte du caveau s'ouvrit avec une lenteur insupportable, pour n'offrir à la vue qu'un chambranle opaque et surtout désert. Après quelques instants, Marc se décida à sortir, muni d'un large sourire :

— Eh, bonjour mon bonhomme ! Comment tu vas ?

Pas de réponse. L'enfant se raidit lorsque son père lui ébouriffa les cheveux. Marc et Sophie, tous deux accroupis, échangèrent un long regard. De l'extérieur, on aurait pu imaginer un phénomène de l'ordre de la transmission de pensée, par lequel toutes ces années à rattraper auraient été échangées dans ce simple face-à-face. Il n'en était rien, du moins pour Sophie : celle-ci ne savait ni quoi dire, ni quoi penser, et n'osait interpréter tout ce qu'elle voyait dans les yeux de son frère. Elle se décida à parler, sans savoir à l'avance ce qu'elle allait dire :

Marc, je suis désolée… je suis… j'aurais dû venir plus tôt, mais je ne savais pas… Tu sais, Melan est cataleptique, le Psychiatre dit que c'est probablement suite à l'accouchement, quand je l'ai porté à la Pharmacienne, elle a fait tout ce qu'elle a pu, mais elle n'a pas… elle n'a pas pu… tout réparer, le Psychiatre m'a beaucoup aidé, tu m'as tellement manqué mais je n'osais pas… j'avais peur, j'avais tellement peur après ce qui est arrivé à Estelle, je suis désolée, je n'arrivais pas à te faire confiance…

Marc l'embrassa.

— Je comprends, ne t'en fais pas… Tu sais, c'est presque une bonne chose, que tu ne sois pas venue plus tôt, j'ai eu le temps de beaucoup réfléchir… Je ne peux m'en prendre qu'à moi-même si tu as perdu confiance en moi, mais on a la vie devant nous pour raccommoder notre famille, ce n'est pas grave. On sera toujours quatre, même éloignés les uns des autres.
Quatre ?
— Bien sûr, avec Estelle ! Tu as l'air surprise.

A son évocation, la petite fille apparut devant eux. Marc la prit dans ses bras, exact reflet de Sophie et Melan.

Mais Estelle… Estelle est…
— Et moi ?
Ce n'est pas pareil…
— Ah bon ? Il y a mort et mort maintenant ?
Ne t'énerve pas, toi tu as toujours grandi à mes côtés, tandis qu'Estelle est morte-née, nous savons tous les deux qu'elle est morte…
— Mais moi aussi je suis mort-né ! Alors, tu veux dire que je suis juste là parce qu'on ignorait que j'étais mort ? Que je suis passé à travers les mailles du filet ? Que j'ai été privilégié, tant qu'on y est ? Que tu m'as fait l'aumône de la vie ? Et pourquoi notre fille n'aurait pas droit à tout ça ? C'est pas mieux que rien, d'être ici ? Tu refuserais ça à ta fille, tu veux la tuer deux fois, la tuer tous les jours ?

Avant la naissance de Melan, Sophie aurait fondu en larmes à moins d'un tiers du réquisitoire de son frère. Mais sa responsabilité nouvelle l'avait contrainte à développer une meilleure maîtrise d'elle-même, et par ce réflexe maternel aveugle qui consiste à faire passer les intérêts de ses enfants avant les siens propres, elle réussissait à garder son calme face aux attaques cruelles de Marc, pour Melan, pour qu'il ne subisse pas ce spectacle, pour qu'il garde un bon souvenir de son papa, du cimetière, pour qu'il ne la voie pas, elle, perdre ses moyens, pour qu'il puisse savoir qu'il pourrait toujours compter sur elle, qu'elle ne faillirait jamais à sa tâche de mère.

Ne crie pas, s'il-te-plaît… Bien sûr que j'aurais voulu ça aussi pour Estelle, j'aurais voulu ça aussi pour Melan, pour qu'il ait la chance que j'ai eue de grandir avec quelqu'un, qu'il se sente moins seul… Mais Melan peut se faire d'autres amis, l'Asile est grand, ça n'empêche pas de se voir souvent, non, mais j'aimerais aussi lui laisser la chance que je n'ai pas eue, moi, celle de vivre hors du cimetière, d'avoir d'autres perspectives… Je ne cherche pas à le priver de quoi que ce soit, ni toi, ni Estelle, mais Estelle est morte, je veux l'accepter, Mère-grand est morte également, je ne peux pas… je ne peux pas rester toujours au cimetière, je ne peux pas être avec vous toujours, sinon, c'est comme si j'étais déjà morte, Marc…
— C'est bien ce que je dis, tu me fais une fleur, finalement, de me laisser vivre… Tu n'es qu'une égoïste ! Je suis ici, ta fille est ici, ton devoir est ici, que tu le veuilles ou non, et tu es lâche de vouloir nous abandonner à notre sort quand tu as la possibilité de nous laisser vivre, quand tu as la possibilité de voir grandir ta fille, et de donner un père à tes enfants.
Je ne suis pas égoïste, je veux juste arrêter de vivre au milieu des morts ! se défendit Sophie dans une exclamation désespérée.
— Pourquoi continues-tu de nous ressusciter alors ? Quel besoin avait ta fille de prendre part à tout ça si tu veux qu'elle soit morte à tout prix ?
Mais je n'ai rien… ce n'est pas moi, je n'ai pas vou…

Sa voix mourut. Elle avait tenté de faire disparaître la fillette, mais sans succès. Sophie savait ce que ce fait signifiait : ce n'était pas elle qui l'avait rendue à la vie. Mais alors, qui ? Un Mélancolique en planque lui faisant une blague du plus mauvais goût ? A part elle, il n'y avait ici… Sophie refusait d'accepter l'évidence : il ne pouvait s'agir que du propre frère d'Estelle. Mais c'était impossible, comment avait-il… Il était trop jeune, il ne pouvait pas… Mais elle avait bien pu, à son époque… Mais les Autistes ne possédaient pas ce don, c'était insensé… Pouvait-on appartenir à deux Familles à la fois ? Le Psychiatre lui avait dit que Melan était Autiste, pourquoi lui aurait-il menti ? A moins que… la Pharmacienne… Sophie lui avait porté la jumelle de Melan… Elle seule pouvait transgresser ces règles… Peut-être avait-elle voulu laisser à Melan cette opportunité… Mais pourquoi ne pas lui en avoir parlé ? Sophie n'avait mis qu'une fraction de seconde à se poser toutes ces questions, à peine le temps pour Marc de s'étonner de son hébétude :

— Sophie, ça ne peut être que toi, tu l'auras ressuscitée inconsciemment.
Oui, c'est certainement ça… Je suis désolée, c'est un peu déplacé, je ne voulais pas…

Jamais Sophie ne se serait imaginée capable de mentir à son propre frère. Mais l'aurait-elle également imaginé capable de lui faire aussi peur ? Malgré les deux ans écoulés, elle avait l'impression de ne l'avoir quitté que la veille, l'impression de le retrouver tel qu'il avait toujours été. Pourtant, quelque chose avait changé, non ? Elle sortit de sa rêverie :

— …comme nous pourrions être heureux tous les quatre, je prendrai soin de notre fille, tu le sais…
Marc, s'il-te-plaît… il nous faut tirer un trait sur tout ça…
— Il te faut tirer un trait…
Et puis de quoi je me mêle ! J'ai mon mot à dire autant que toi ! Tu n'es pas là, depuis deux ans, pour t'occuper de notre fils !
— La faute à qui ? Hypocrite ! rugit Marc. Sophie haussa le ton en retour :
Est-ce que le plus hypocrite des deux n'est pas celui qui dit vouloir voir grandir la fille qu'il a tuée lui-même ?

Marc la gifla. Sophie, portant la main avec sa joue, le fixa non pas avec stupeur mais avec dureté. Avec tant de dureté que son regard le traversa : Marc était redevenu poussière. A tout à l'heure, Marc ! Sophie se releva, prit Estelle par la main et guida les deux enfants silencieux à l'orée du cimetière. Tandis qu'ils s'éloignaient, sa fille s'effaça peu à peu. A tout à l'heure, Estelle !

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La mort est le plus profond souvenir.
Ernst Jünger
Sophie Lefèbvre
Mélancolique


Message Jeu 18 Déc 2008 | 1:42  Répondre en citant

A genoux devant une stèle, Sophie gardait le silence. La tête baissée, ses cheveux ne permettaient pas de distinguer son expression. Elle semblait attendre, plus que se recueillir vraiment. On aurait pu espérer un peu plus d'expressivité, d'émotion, de déballages, de foison et de bavardages, de passion et de commérages, d'addiction et de sevrage, enfin quoi, Sophie, c'est la tombe de tes enfants quand même ! Mais Sophie gardait le silence, depuis une semaine, elle n'avait pas prononcé un mot, pas un mot, palindrome et rototo. Comme si son fils, en mourant, lui avait passé le relais, feu follet, mignonnet, riz-au-lait… Une semaine exactement qu'on avait retrouvé Melan mort au petit matin, l'enfant avait cessé de respirer, son cœur, cessé de battre, son âme, peut-être, cessé d'errer, la vie en tout cas avait cessé de l'habiter, les rides de se creuser, les vitres de murmurer, la bride de se tourner, et son petit visage avait semblé si serein, si achevé, si beau.

Il n'avait pas souffert et n'avait pas lutté, il avait accepté son sort avec grâce et sérénité, extase et sobriété, glace au verre pilé, comme il avait accepté sans broncher de n'avoir rencontré son père qu'une fois, car si tu allais encore sur sa tombe, Sophie, tu n'as jamais redonné vie à Marc, et ses suppliques les plus pressantes n'ont jamais su te convaincre de prendre le risque de semer encore un peu plus de mort dans ta famille… Ironie du sort, tu as achevé le travail toi-même, il y a sept jours, et sept ans après Estelle.

Son fils était-il réellement mort sept jours auparavant ? Sa fille, sept ans plus tôt ? Et le petit Autiste, était-ce sept ans avant encore ? Marc et elle avaient-ils sept ans à cette époque, Marc était-il donc mort sept ans avant l'épisode de l'Autiste anonyme ? Une tragédie finement orchestrée, devant laquelle Sophie n'avait tout d'abord pas su comment réagir. Elle avait passé de longues heures à fixer le petit lit de Melan, comme s'il n'était question que de patience et de volonté pour le faire réapparaître, sortir de l'ombre.

Et voilà qu'elle fixait pareillement leur tombe, celle de Melan mais aussi d'Estelle. Peut-être espérait-elle vivre à travers les yeux de Melan, immobile et muette, comprendre mieux ce qu'il avait pu ressentir au long de sa courte vie ? Peut-être Sophie n'avait-elle plus conscience d'être là, au milieu du cimetière qu'elle aurait pu traverser les yeux fermés de bout en bout, non loin de l'endroit où son frère et elle avaient coutume de jouer, non loin de la tombe de Mère-grand, ta vie, Sophie, tient dans vingt-cinq mètres carrés de dalles fendues.

Les suppositions auraient pu s'accumuler à l'infini, dans ces infinis que seuls les vrais silences savent appréhender, si deux enfants n'avaient pas émergé timidement de derrière la stèle. Pâles et indécis, ils se tenaient par la main. Sophie releva la tête et ceux-ci vinrent se placer devant elle. Aucun mot ne fut échangé durant des instants qui auraient aussi bien pu être des heures. Sophie tendit les mains vers eux, comme pour les prendre dans ses bras, ou peut-être juste leur prendre la main à chacun : un geste dont jamais le sens ne serait expliqué, les deux enfants étant restés parfaitement immobiles, regardant leur mère sans curiosité ni familiarité. Attendaient-ils qu'elle se mette à parler, comme deux petites statues de poussière ? C'est ce qu'elle fit.

Mes chéris…

Elle s'arrêta, et le silence étendit à nouveau sa chape sur le trio, avec lenteur, comme la poussière se dépose, invisible, en couches de plus en plus épaisses, sur les étagères, les livres, les souvenirs, les rires, les bouts de vide, les ficelles, les mots, les sauts, les marelles, les cris, les prières, les pleurs étouffés dans un oreiller, étouffés jusqu'à l'asphyxie, il y avait mille manières de mourir et mille autres de tuer, Sophie n'en connaissait que peu, c'était vrai, mais cela suffisait déjà amplement, c'était vrai également.

J'espère que vous êtes heureux tous les deux.

Elle n'obtint aucune réponse, bien évidemment. Qu'il était étrange de s'imaginer Melan auprès d'Estelle, elle qui avait pris soin de l'éloigner du cimetière pour éviter de subir le spectacle des deux enfants parodiant son enfance à elle, elle qui avait préféré subir l'affront que lui avaient fait les Autistes d'accepter l'enfant de celle qu'ils avaient toujours rejetée, elle qui avait privé son fils de père et de sœur pour lui laisser une chance de vivre parmi les vivants, pour mieux ensuite le renvoyer parmi les morts. La place du survivant n'était certainement pas attribuée au plus méritant. Que n'aurait-elle pas donné pour échanger de place avec son fils ! Et pourtant, elle était la cause de tout ça, de bout en bout. Melan était-il réellement heureux au sein de sa famille, au sein des fantômes et des cadavres ? Qui espérait-elle berner à part elle-même ? Les enfants restaient muets, laissant à Sophie autant d'occasions supplémentaires de divaguer.

Je ne voulais pas… Je…

Vraiment, Sophie, tu ne voulais pas ? Alors pourquoi, pourquoi l'as-tu fait ? Pourquoi as-tu rendu à son père le fils que tu as toujours essayé de protéger de lui, pourquoi as-tu renoncé à ton rôle, à ton devoir de mère ? Pourquoi te priver d'un des rares bonheurs que tu aies tiré de ton histoire, après t'être tant battue pour le porter, le garder, l'élever ? Etait-ce sa ressemblance de plus en plus flagrante avec Marc qui t'indisposait ? Ou son mutisme inaltérable, inaliénable, bac à sable, non-solvable, non-potable, coin de table ? Etais-tu jalouse, tas de bouse, de ses petits camarades ? Avais-tu peur qu'il ne ranime, minime, sa sœur, te rappelant vos odieux crimes, Moleskine, à toi et à ton frère ? Le petit enfant que vous aviez tué, votre union maudite, pas si vite, le meurtre d'un de vos propres enfants, poil aux dents, n'était-ce pas déjà assez pour ne pas tolérer la vue d'Estelle, bagatelle ? Avais-tu peur qu'il ne suive ton propre chemin et n'enfante des monstres en engrossant sa jumelle zombie ? Ou bien, as-tu perdu le courage de lui aménager l'enfance que tu as toujours rêvé d'avoir, toi ? As-tu simplement voulu suivre l'exemple de ton frère, ton frère par qui tu t'es déjà laissée si souvent entraîner de par le passé ? En as-tu eu assez de l'absence de mots, d'étreintes, de sourires, de craintes et de rires, dépeintes et déchires, une main qui s'étire, au loin le collyre, en as-tu eu assez de ce silence étroit et opaque auquel te ramenait toujours Melan, assez de toujours tourner les mêmes pages du même livre, sans cesse ?

Ce qui est arrivé n'est pas de votre faute… Votre père et moi étions trop jeunes, nous avons fait des erreurs. Je suis désolée. C'est vous qui en faites les frais. Vous n'y êtes pour rien.

Bien sûr, Sophie, que c'était ta faute.

Une larme perla enfin au coin d'un de ses yeux, pour glisser lentement jusqu'à son menton, suivant tendrement la courbe de sa joue, en redessinant le velouté, s'attardant sur les moindres reliefs de son duvet, et en en suivant le contour elle semblait frémir, vibrer à l'unisson avec un cri contenu, comme la corde d'un violoncelle sous la caresse de l'archet.

Je ne viendrai plus… Je veux vous laisser tranquilles, je veux que votre sommeil soit calme. Adieu mes petits bouts…

N'est-ce pas un peu hypocrite, un jeu hétéroclite, dingue et insolite, Sophie, d'imaginer, y m'a giflée, y va neiger, que tes enfants dormiront d'un sommeil paisible, lorsque l'on sait comment on les y a, Alésia, plongés, pataugé, ravaudé ?

Je vous aime.

Etait-ce un sanglot ou bien un ricanement qui venait de lui échapper ?

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La mort est le plus profond souvenir.
Ernst Jünger
Sophie Lefèbvre
Mélancolique


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