Les réponses que Noah recevait de la part des internés étaient parfois perturbantes, mais ça valait toujours mieux que pas de réponse du tout. La fille s'était contenté de pointer du doigt le tableau, et la fierté non contenue avec laquelle elle le fit semblait indiquait qu'il s'agissait de sa création. Peut-être répondait-elle à sa façon, ce qui signifiait que ce tableau devait donner une quelconque indication quant à son identité. Ou alors, s'émerveillant devant ses propres créations comme tout enfant de son âge, elle exigeait des compliments avant de daigner lui parler un peu d'elle. Noah s'approcha du tableau tout en gardant un œil sur la fillette ; il était triste d'en arriver à se méfier des enfants, mais dans un endroit comme l'Asile, mieux valait se méfier de tout.
Le tableau en lui-même était relativement bien peint, surtout pour l'âge de son auteur présumé, mais le fond était totalement inintéressant. Il s'agissait simplement de la reproduction d'une partie de cette pièce froide ; comme il s'y était attendu, elle en était encore au stade primaire de l'art : elle n'avait pas encore assez d'imagination pour créer une scène de toute pièce mais, esclave de sa passion, elle ne pouvait pas attendre sa maturité artistique et devait donc se contenter de reproduire tant bien que mal le réel. Il est triste de se dire que certaines personnes, durant toute leur vie, ne peuvent pas voir au-delà du réel et en restent ainsi à ce stade, subissant leur passion sans rien pouvoir en faire, sans pouvoir l'exploiter en tant que véritable pouvoir de création. Ainsi, on pourra admirer chez cet artiste le talent avec lequel il arrive à reproduire le réel mais, passé le stade de la surprise, ses œuvres n'auront aucun intérêt car elles ne pourront jamais capter à la perfection la réalité. Mais ces peintres sont bien souvent aveugles, incapables de saisir la futilité de leur action et de leurs "créations" factices, et resteront donc de simples archivistes quand ils auraient pu être des inventeurs.
Mais en l'occurrence, le peintre de ceci n'était qu'un enfant, et non seulement elle ne comprendrait pas ses explications, mais en plus, vexée, elle persisterait dans son mutisme et Noah perdrait alors tout espoir d'en connaître un peu plus sur elle. Il fallait mieux l'amadouer, c'était la solution la plus sûre. Ainsi, le scientifique se saisit du tableau et commença à faire mine de l'analyser, de l'apprécier ; il remarqua au passage qu'il n'y avait pas d'instruments de peinture aux alentours, il se demandait bien où elle avait pu les ranger.
C'est toi qui a fait ça ? C'est très joli… tu es très doué pour ton âge.
L'avantage avait les enfants était que, dans le cas général, les procédés les plus simples fonctionnaient à merveille. Il était toujours plus facile de s'attirer leurs faveurs, et ils pouvaient parfois servir de terrain d'entraînement pour tester de nouvelles techniques de manipulation ou en peaufiner d'autres. Ainsi, sans lâcher le tableau, Noah tourna la tête vers la fillette avant de lui dire en souriant, sur un ton doux mais pas trop condescendant :
Il me plait bien, j'aimerais bien pouvoir le garder, tu apprécierais de me le donner, ou au moins de me le prêter ? Et dis-moi, tu ne m'a toujours pas dit ton nom…
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N'est que divertissement tout ce qui ne contribue pas à la recherche de la vérité