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Lun 13 Oct 2008 | 21:58 |
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Noah s'éveilla doucement, petit à petit. Il se mit péniblement debout, et commença à regarder aux alentours. Il faisait nuit, et les environs n'étaient éclairés que par la douce lumière de la lune. Encore à moitié endormi, le regard du jeune homme dériva lentement sur les alentours, dans l'espoir de savoir où il était. Il se trouvait juste au bord de ce qui semblait être un petit étang, à la surface beaucoup trop calme et qui, dans la nuit, ne révélait que le reflet de la lune ; il n'y avait dans le ciel aucune étoile, aucune nuage, n'était présent que l'astre blanc, dans un silence qui en devenait presque sinistre. L'eau n'était entourée que d'herbe, du moins à première vue ; il n'y avait aucun arbre, ou aucune plante. Noah parvenait à apercevoir au loin les lueurs d'un bâtiment qui ressemblait à un grand manoir. Tout cet endroit paraissait étrange… des étangs et des manoirs, il en avait déjà vu, mais cet endroit semblait différent, lointain…
C'est alors que l'explorateur prit conscience de sa situation. Cela vint comme un choc, totalement inattendu, et qui lui procurait une intense satisfaction : il avait réussi. Sa quête avait touché à son but, il avait enfin accompli son objectif, et cela l'avait mené plus loin, dans un autre monde. Comment en était-il si sûr, il ne le savait absolument pas, mais la joie qu'il ressentait était assez forte pour effacer toute forme de doute de son esprit. Il avait atteint une étape primordiale de son voyage, et ceci était la preuve évidente que tout ce qu'il a fait n'était pas vain ; mais il n'allait pas s'arrêter là, il fallait qu'il explore ce nouveau monde, qu'il utilise toutes ses connaissances pour…
La joie laissa instantanément place à l'effroi. Il avait tout oublié. Il se souvenait de son nom, de ses surnoms, et avait la certitude qu'il avait pour mission capitale de comprendre l'origine de l'univers et son mécanisme. Il se souvenait aussi des leçons qu'il avait retenu de sa vie antérieure (ce qui implique aussi qu'il savait en avoir eu une), mais ne savait pas d'où il les a tiré. Sa mémoire sociale a été totalement effacée, comme si son esprit avait besoin d'être vierge pour assimiler les nouvelles choses que ce monde avait à lui apprendre. Ou peut-être qu'il n'avait simplement pas besoin de ces souvenirs, peut-être que ses connaissances du comportement humain suffisaient, et qu'il allait maintenant en apprendre plus afin de se rapprocher encore un peu du Savoir ultime. Les innombrables fenêtres éclairées du bâtiment au loin semblaient l'appeler, et Noah commença donc à faire le tour de l'étang pour se rapprocher de la lueur, tel un moucheron ayant aperçu une lampe. Il espérait simplement qu'il n'allait pas se brûler les ailes.
Cette dernière pensée, lancée à la va-vite par son esprit, se fit plus persistante que ce à quoi son auteur s'était attendu. Et si ce bâtiment était un piège ; et si il se rapprochait tellement du Savoir que cela devenait dangereux pour les créateurs de l'univers, qu'ils soient divins ou pas. La peur revint encore dans l'esprit de Noah, plus forte encore qu'auparavant en ce qu'elle se contentait de lui rappeler des faits objectifs que sa raison ne parvenait pas à contredire : il était perdu dans un endroit inconnu, en pleine nuit, et on lui avait fait un lavage de cerveau. Que faisait-il là, pourquoi était-il là ? Son courage s'étant évanoui aussi vite que sa joie, Noah s'assit lentement sur l'herbe. Après tout, la température était douce, une légère brise lui caressait le visage, et le calme était particulièrement reposant. En plus, il avait toujours aimé la nuit, il se sentait plus en sécurité dans l'obscurité.
Noah resta là à fixer l'étang, tandis qu'il cherchait en vain à se rappeler ce qu'il avait bien pu faire dans son ancienne vie. Et, bien évidemment, il voulait surtout savoir pourquoi il était là. |
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Noah Mélancolique

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Mar 14 Oct 2008 | 0:03 |
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Cybèle errait au bord de l'étang. Enfin, c'était ce qu'elle avait voulu. Elle aurait aussi bien pu déambuler ailleurs. Peu importait parfois la destination. C'était en l'occurence ce qu'elle avait voulu. Comme tout était simple, quand on était une déesse. Cybèle marchait donc au bord de l'étang. Quoi de plus banal ? La nuit n'était ni trop fraîche, ni trop moîte, ni trop sombre, ni trop brumeuse. Tout à fait le temps qu'elle aurait souhaité. Quoi de plus normal ? Sur les berges de l'étang, glissant dans l'herbe d'un pas de mannequin, Cybèle méditait.
Quoi de plus naturel ?
Les éléments étaient là où ils evaient être, là où elle les avait voulus. Les choses se déroulaient selon le cours qu'elle leur avait dicté, comme elle les avait écrites, la partition, d'elle-même, déroulait la symphonie du beau. Tout se passait correctement, tout se passait comme elle l'avait décidé. Jusqu'au moindre brin d'herbe lui procurant la délicieuse sensation d'une étoffe onctueuse sous ses pieds. Jusqu'au halo blême qui enveloppait la lune, comme un carcan ouaté de chloroforme. Comme tout cela était réel ! Cheminant paisiblement, Cybèle se délectait des miracles qu'elle accomplissait. Sa précision croissait de pas en pas, ses idées toujours nouvelles, toujours plus ciselées, s'accomplissaient d'elles-mêmes. Elle n'avait rien à craindre. Quoi de moins prévisible ?
Et, pourtant, quoi de moins imprévisible que cette forme un peu plus opaque, à quelque distance encore, cette forme, elle le savait, vivante, respirante, cette forme qu'elle avait elle-même créée, qu'elle avait elle-même livrée à toute la beauté de son existence et qui resplendissait, dégorgeante de vie. Cette créature, quelle qu'elle fût, et quel qu'ait pu être le degré de surprise qu'elle avait suscité chez Cybèle, ne croiserait pas son chemin par hasard. Les signes étaient évidents : elle l'attendait. Immobile, en un lieu désert où Cybèle aimait à méditer et à une heure où elle ne pouvait espérer rencontrer qu'elle, Cybèle. Impossible de s'y méprendre.
Alors, sans un mot, Cybèle parcourut les quelques mètres qui la séparaient de la créature et s'assit à ses côtés. Les réponses viendraient d'elles-mêmes, en leur temps. Les questions aussi, peut-être. _____________
You have to give up. You have to give up. You have to realize that some day you will die. Until you know that, you are useless. – Tyler Durden |
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Cybèle Paranoïaque

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Mar 14 Oct 2008 | 19:12 |
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Plongé dans sa réflexion qui, il fallait bien l'admettre, était pour le moins stérile, Noah ne remarqua pas tout de suite l'arrivée de la femme. Celle-ci avait dû se déplacer silencieusement mais, en tout cas, il ne la vit que quand elle s'assit à côté de lui. Cela fit sursauter le jeune homme, qui pensa d'abord à se relever pour se préparer à se défendre, mais il comprit bien vite que cette personne n'était animée d'aucune intention hostile. Elle arborait un sourire doux, presque maternel, qui avait le don d'effacer instantanément tout soupçon à son égard. Noah fut sidérée par sa magnificence, qui combinait beauté naturelle et un usage précis de maquillage et de bijoux, ni trop ni trop peu ; sa coiffure était assez impressionnante, même si elle devait exiger trois heures de soin de chaque matin.
Mais le scientifique qu'était Noah n'allait pas se laisser déborder par son admiration, et continuait d'écouter sa raison, qui lui rappelait que même le fruit le plus beau pouvait s'avérer pourri. Même s'il serait stupide de tenter de nier qu'il trouvait cette personne particulièrement séduisante, il saurait garder ses esprits. Quelque chose d'autre l'avait déjà intrigué en elle : l'aisance avec laquelle elle était venue s'assoir à côté de lui donnait l'impression qu'elle contrôlait totalement la situation. Noah se demandait même si elle ne le connaissait pas déjà, et s'il elle avait, d'une façon ou d'une autre, contribuée à l'amener dans ce lieu.
Mais apparemment, elle n'était pas décidée à parler, et Noah ne pouvait pas attendre plus longtemps. Il demanda timidement, encore impressionné par la beauté de cette apparition :
— Qui… êtes-vous ?
Il marqua une pause avant d'ajouter :
— Où est-ce qu'on est ?
Si elle était si sûre d'elle, c'était qu'elle connaissait parfaitement ce lieu ; et il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle répondrait franchement. |
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Noah Mélancolique

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Jeu 16 Oct 2008 | 0:54 |
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Un sourire teinté d'une légère amertume étira discrètement les lèvres de Cybèle, comme un sirop dont on ne se rappelle le goût qu'un instant avant d'en avaler la cuillère — tout en ayant conscience qu'il le faudra bien… Assise au bord de l'eau, contemplant le reflet parfaitement lisse et immobile de la lune qui nimbait leur silouhette d'un étrange manteau tissé d'ombres, Cybèle fit une nouvelle fois face à la présomption qui caractérisait sa divinité. Son sujet ignorait tout d'elle et du monde qui l'entourait, rendu à sa liberté, il en venait à douter même des évidences.
Quelle leçon devait-elle tirer de ce constat ? Tout d'abord, qu'elle avait échoué à guider sa progéniture sur le chemin du libre arbitre, elle en prenait chaque jour davantage conscience. Ensuite, que le chemin du bonheur leur était tout aussi étranger, probablement pour les mêmes raisons car aux yeux de Cybèle, le bonheur était une variable très intime, qui ne pouvait émaner que des choix de chacun, et donc dépendait directement de la liberté dont ceux-ci disposaient. Enfin, qu'elle était affectée de la déroute de ses sujets, et que ce lien qui subsistait entre elle et ses créations était probablement une partie du problème comme de la solution.
Cybèle ne pouvait pas se permettre de se leurrer plus longtemps avec son propre pouvoir. Elle ne pouvait pas donner de réponses toutes faites à son fils, elle devait lui permettre de faire l'expérience de la réalité lui-même, de trouver les réponses qui feraient du monde, son monde.
— Qui voudrais-tu que je sois ? Et où voudrais-tu être ? lui renvoya-t-elle avec un sourire compatissant.
Peut-être que Cybèle ne posait pas ces questions qu'à son sujet. Peut-être que d'autres réponses, d'autres conclusions, naîtraient de cet échange. _____________
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Cybèle Paranoïaque

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Jeu 16 Oct 2008 | 20:34 |
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Le moins qu'on puisse dire, c'est que Noah ne s'était pas attendu à ce genre de réponse. Cette personne voulait assurément le tromper, quant à savoir quel intérêt elle y trouvait… Peut-être était-elle juste là pour lui gagner du temps, pour l'occuper autant que possible pendant que d'éventuels agresseurs se dirigeaient vers lui. L'explorateur, ne désirant surtout pas être stoppé dans sa quête, songea d'abord à s'enfuir, mais effaça tout de suite cette possibilité. Non seulement, ne connaissant absolument pas l'endroit, il n'irait pas bien loin, mais en plus les agresseurs auraient largement eu le temps de s'emparer de lui pendant son sommeil. Donc, si elle n'était pas là pour le retenir, que pouvait-elle bien vouloir ? Pourquoi refusait-elle de dévoiler son identité, et même ce qu'elle savait sur ce lieu étrange ?
Il trouverait sans doute les réponses à ces deux questions avec le temps. En attendant, il allait jouer le jeu ;
— Qui j'aimerais que vous soyez…
Noah fit mine de réfléchir quelques instants, ses yeux s'égarant sur l'espace infini que semblait constituer l'étang, avant de reporter son regard sur l'inconnue :
— Un guide, qui pourrait me donner diverses informations utiles, comme ce qu'est ce bâtiment là-bas, fit-il en pointant du doigt le manoir, ou encore la raison de ma présence ici. Et vous pourriez peut-être même me dire me qui vous êtes, ajouta-t-il avec un ton ironique, un léger sourire naissant sur ses lèvres.
Puis, se rappelant qu'une seconde question lui avait été posée, il poursuivit avec un air beaucoup plus triste :
— Où je voudrais être… Dans un monde où le mépris et l'égoïsme ne sont pas omniprésents…
La parole avait précédé la pensée, et Noah fut surpris d'entendre ces mots sortir de sa propre bouche. C'était comme si quelqu'un s'était emparé de lui juste le temps de s'exprimer ; et cette personne avait emmené une forte douleur avec elle. Et pourtant, cette émotion particulièrement désagréable ne lui était que trop familière. Peut-être que, même si sa conscience avait oublié les évènements, l'inconscient de Noah en avait encore un souvenir vif, et cherchait à extérioriser des souffrances qu'il avait dû refouler ne serait-ce que pour conserver sa santé mentale. C'était sans doute une façon de lui transmettre des indices sur sa vie passée, pour l'aider à s'en souvenir.
Et en même temps, son inconscient venait de le trahir en dévoilant ses pensées les plus profondes, et il avait devoir redoubler de prudence avant de parler, de peur que ça se reproduise ; il ne savait que trop bien comment certaines personnes étaient capables d'exploiter la moindre forme de faiblesse afin d'en faire une arme redoutable. Noah tenta donc de se rattraper maladroitement, en espérant que son interlocutrice n'avait pas fait attention à ce qu'il avait dit :
— Excusez-moi, je veux dire que j'aimerais bien n'être pas trop loin de chez moi, il doit être tard et je suis un peu fatigué…
Et pourtant, comme un ultime appel à l'aide, Noah plongea son regard dans celui de la femme, afin qu'elle puisse essayer d'y lire la vérité et l'éclairer à son propre sujet. _____________ N'est que divertissement tout ce qui ne contribue pas à la recherche de la vérité |
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Noah Mélancolique

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Dim 19 Oct 2008 | 13:30 |
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Cybèle savait déjà ce qu'il faudrait répondre à la créature. Malheureusement, elle savait que ce qu'elle s'apprêtait à dire ne serait pas reçu comme il se devait, que les réponses qu'elle ne pouvait pas lui fournir exigeaient pourtant de l'être, en somme, que sa progéniture, paniquée devant la liberté qui était sienne, restait paralysée et refusait de faire un pas de plus dans le noir, sans une main réconfortante pour guider ses pas.
Et pourtant, il le fallait bien, car le premier pas est le seul difficile. Aussi, Cybèle, s'attendant à ne se heurter qu'à un déni obstiné, alimenté par l'angoisse, garda le silence. Et le fit durer, le plus possible, afin de donner du poids aux mots qu'elle prononcerait, afin de donner l'impression à la créature qu'elle avait longuement mûri sa réflexion, et d'obtenir de lui plus de considération quant à sa réponse choquante, ridicule, imbécile peut-être. Semblant sonder les tréfonds de l'étang, elle tirait son enseignement de la Nature-même, c'est-à-dire des lois qu'elle avait indiquées au monde. Lorsqu'elle sentit que le fil ténu qui alimentait encore la conversation vibrait à se rompre, elle parla enfin :
— Ta vie sera ce que tu en fais. Le monde est empli de noirceur, mais aussi de beauté. Il faut la pluie, pour jouir du soleil.
Elle lui laissa quelques secondes pour s'imprégner de l'état d'esprit qu'elle lui demandait de rechercher, puis reprit, pointant l'Asile du doigt :
— Ce bâtiment, lui aussi, sera ce que tu en fais. Prends-y ce dont tu as besoin, ignore le reste — elle se tourna enfin vers lui, plongeant ses yeux dans les siens pour mieux appuyer son apophtegme — le monde est là pour toi, prends de la vie ce que tu trouves beau, et néglige l'infamie, la vie est trop courte pour s'en désoler ou même la combattre, saisis le monde, secoue-le et fais-en tomber les plus beaux fruits.
Certainement, la créature ne l'entendrait pas de cette oreille. Le pas qu'elle lui demandait de franchir était trop grand, trop brusque. Mais que pouvait-elle faire d'autre, que lui montrer le chemin, aussi ardu fût-il ? Il n'en était pas d'autre qui le conduisît à la béatitude. Afin de lui permettre de se laisser convaincre, Cybèle s'offrit au dialogue, tout en dissimulant sa divinité à son sujet afin de ne pas l'asservir dans une dévotion aveugle : peut-être, se croyant son égal, aurait-il plus de facilité à s'approprier son expérience.
— Je suis Cybèle, et toi ? _____________
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Cybèle Paranoïaque

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Lun 20 Oct 2008 | 17:18 |
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Apparemment, cette femme, Cybèle, avait une vision assez utopique du monde. Celui-ci serait un paradis s'il n'était là que pour apporter de la joie à ses habitants. Mais l'expérience avait montré à Noah que ce n'était pas le cas, et cette planète ressemblait plus souvent à l'enfer. Le bonheur n'est pas accessible à tous, seuls les plus chanceux peuvent l'atteindre ; ils naissent souvent avec d'ailleurs.
Ce qu'elle lui dit plus tard le choqua au plus haut point, tout en révélant l'erreur qui lui faisait croire que le monde était beau : son imagination avait pris le dessus, et avait totalement chassé la raison de son esprit. Noah avait appris assez tôt que l'imagination était le pire des fléaux, car elle donnait naissance à l'espoir, et l'espoir conduisait irrémédiablement à la déception. Et il avait été déçu trop souvent et trop douloureusement pour laisser son imagination continuer à fausser son esprit. Son pouvoir corrupteur résidait principalement dans le fait qu'elle transformait la réalité, la déformait constamment pour donner l'illusion d'un monde idéal à sa victime. Mais l'esprit rationnel du scientifique était, heureusement d'ailleurs, trop développé pour lui permettre de sombrer dans la béatitude idiote à laquelle de trop nombreuses personnes avaient déjà succombé. Maintenant qu'il n'était plus aveuglé par l'imagination, le Savoir lui était devenue accessible. En se débarrassant de cet ennemi, il avait pu s'élever au-dessus de la multitude et se lancer dans la quête de la vérité, la seule quête qui ait de l'importance.
Hélas, sa supériorité lui faisait également goûter à la solitude. Mais c'était un prix à payer, et il l'assumait totalement ; mais il ne resterait peut-être plus seul très longtemps, s'il parvient à déchirer le voile de mensonges dans lequel Cybèle est enfermé, peut-être pourra-t-il la sauver. Son infection spirituelle était à un niveau très avancé, mais il allait tout faire pour la soigner, pour l'éclairer. En espérant qu'elle ne rejetterait pas la vérité sous prétexte qu'elle est dure à accepter, et qu'il est toujours plus agréable de vivre parmi ses chimères. Noah regarda Cybèle dans les yeux, comme elle l'avait fait plus tôt, avant de commencer à tenter de lui expliquer son point de vue :
— Vous… Tu dis que ce bâtiment sera ce que j'en ferai ; je ne sais pas pour toi, mais moi je ne suis pas un dieu, je ne décide pas de l'essence des choses. Si je me laisse envahir par l'imagination, effectivement je serais tenté de croire que c'est exactement ce que je voudrais qu'il soit, mais je ne saurais jamais ce qu'il est réellement. Le monde est un système, pour le comprendre il fait le considérer dans son ensemble ; on ne peut pas succomber à la voie de la facilité et n'accepter que ce qui nous plaît. Comment peut-on espérer découvrir la raison de notre présence ici si toutes les données que nous avons sont fausses ?
Il lui laissa un instant pour saisir la portée de ces mots, comme elle l'avait fait pour lui avant ; peut-être que s'il employait sa méthode, il parviendrait mieux à se faire comprendre. Une fois le temps de compréhension jugé suffisant, il poursuivit, avec un ton un peu plus énervé :
— Tu considères que je dois prendre tout ce que je peux pour moi ? Alors ainsi tu compares l'être humain à un parasite, voire à un virus ; comme nous, ceux-ci prennent toute l'énergie vitale de leur victime en laissant ce qui ne leur plait pas. Excuse-moi, mais je refuse d'être aussi égoïste et nuisible que tu me le demandes.
Cette dernière réponse paraîtrait sans doute froide. Et elle l'était. Mais certaines choses ne pouvaient pas être comprises en douceur. Noah ne pouvait maintenant plus qu'espérer que Cybèle se montrerait assez ouverte d'esprit pour accepter tout ce qu'il a à lui enseigner. Pour conclure, il ajouta avec un sourire doux:
— Je m'appelle Noah. _____________ N'est que divertissement tout ce qui ne contribue pas à la recherche de la vérité |
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Noah Mélancolique

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Mar 28 Oct 2008 | 13:19 |
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Comme l'avait craint Cybèle, le petit être n'était pas encore assez fort, assez mûr, pour embrasser la simplicité de la vérité. Il se réfugiait dans des systèmes logiques qui, à son échelle, ne signifiaient plus rien, et il ne semblait pas prêt à abandonner encore sa bouée de sauvetage rationnaliste. Mais cette fois, Cybèle n'accomplirait pas de miracle, Cybèle ne convaincrait pas de force, Cybèle laisserait les réflexions de sa créature suivre leur cours, en définitive, elle lui accorderait cette liberté si chère à ses yeux. Peut-être, en se plaçant à son niveau, l'amènerait-elle à envisager de nouveaux horizons : Cybèle quittait son piédestal pour tenter de comprendre ce que c'était que d'être humain.
— Il n'y a pas que les parasites ou les viri. Il existe des symbioses, à petite ou à grande échelle, de la flore intestinale à l'écosystème dans son ensemble. Crois-tu que le lion qui dévore la gazelle soit un parasite ? Et pourtant, il ne prend que sa part, sans se soucier du reste.
Cybèle s'arrêta brusquement et baissa le regard. Voilà pourquoi elle regimbait tant à laisser ses créations jouir de leur libre arbitre : pour elle, l'homme et l'animal étaient situés sur le même plan d'existence et elle avait oublié d'accorder à l'homme tout ce qui faisait de lui un être noble et paradoxal. Mais, si l'homme pouvait jouir du beau, il pouvait également s'attrister du mal, et la nature, aveugle, lui offrait les deux dans des proportions égales. Le regard toujours lointain, elle reprit :
— Tu pourrais me répondre que les lions ne se posent pas la question du bonheur. Mais l'homme appartient à la nature et, en tant que tel, y participe au même titre que l'animal. De la misère et de l'injustice, tu en trouveras toujours si tu cherches assez. Tu l'as dit toi-même, tu n'es pas un dieu, comment espères-tu accéder aux tenants et aux aboutissants de quelque chose qui te dépasse ?
Le petit homme voulait savoir ce qu'il faisait ici, la réponse s'imposait d'elle-même : ce qu'il faisait ici, c'était quelque chose entre s'interroger et se morfondre. Il aurait pu faire bien d'autres choses ici, comme ailleurs. Libre à lui de jouir des possibilités offertes, de fournir lui-même une raison à sa présence en ce monde plutôt que de l'attendre d'une quelconque déduction logique, du destin, de la fatalité ou de quoi que ce soit d'autre qui, d'une manière ou d'une autre, ne pourrait que le dépasser, tandis que Cybèle avait voulu que chacun tienne les rênes de son propre destin. Lier bonheur et connaissance était à ses yeux le plus risqué des paris : elle s'était donné tant de mal à rendre les choses simples pour ses enfants, pourquoi se donnaient-ils tant de peine pour ré-emmêler l'écheveau ? Mais c'était là une considération que Cybèle se devait de garder pour elle. Consciente que son argumentaire resterait vain, elle décida d'accompagner son fils sur le sentier de la révélation d'une manière plus concrète, et peut-être moins morbide. Oui, Cybèle serait sa marraine, et le guiderait dans le monde qui l'entourait en lui montrant comment n'en tirer que du bonheur. Elle releva enfin la tête et lui adressa un sourire empathique :
— Que comptes-tu faire, Noah ? _____________
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Cybèle Paranoïaque

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Mer 29 Oct 2008 | 22:51 |
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Même s'il n'en laissait rien voir, la fierté de Noah fut froissée par les paroles de Cybèle. Comment osait-elle le comparer à un animal, lui qui souffrait déjà de n'être qu'un homme ? Mais on ne pouvait pas lui en vouloir pour cela, elle ne connaissait pas Noah et ne faisait qu'agir de la façon naturellement déterminée par son caractère. Mais pourtant, réduire l'homme à l'état d'animal restait une grossière erreur, le potentiel des humains était beaucoup plus grand. L'animal était condamné à ne rien chercher d'autre que sa survie, mais l'homme n'était pas obligé de rechercher le bonheur à tout prix. Noah avait toujours refusé la simple quête du bonheur car trop égoïste ; il ne croyait pas en l'existence de symbiose dans la nature. La quête de la vérité, en revanche, pouvait profiter à tous, même si elle était bien plus difficile à réaliser. Le scientifique refusait de se contenter de rechercher sa satisfaction personnelle alors qu'il pouvait avoir quelque chose de beaucoup moins futile.
— Dis-moi, tu n'es pas en train de considérer que le lion et la gazelle ont une relation symbiotique ? Le lion prend sa part sans rien donner en échange, c'est pour cela que je considère qu'il s'agit d'un parasite. Mais ce n'est pas la question.
Noah s'arrêta de parler quelques instants, juste le temps de réfléchir à la forme qu'il allait donner à ses idées. Il fallait qu'il fasse comprendre à Cybèle qu'il ne pouvait pas accepter la vie futile et sans intérêt qu'elle lui proposait.
— Quoi que tu en dise, les tenants de ce monde ne me dépassent pas. Vois-tu, si l'homme est supérieur à l'animal, c'est parce que celui-là est capable de réfléchir, de se libérer de son instinct. Beaucoup de gens acceptent de ne rechercher que le bonheur, et tous ceux-là sont, quoiqu'il en disent, atrocement égoïstes. Ne sois pas naïve, la symbiose n'existe pas, tout ce qui profite aux uns nuit nécessairement aux autres, c'est comme ça.
Tu veux que je te dise pourquoi je refuse de me contenter de chercher mon bonheur ? C'est tout simplement parce que je refuse de n'être qu'un parasite. Ne faire que rechercher sa satisfaction personnelle sans se soucier du reste, c'est bien mener une vie totalement sans intérêt, voire nuisible. A quoi cela servirait-il de vivre si on est juste là pour s'amuser un peu avant de mourir ? Non, si nous n'étions là que pour ça, on ne nous aurait pas donné la faculté de réfléchir. Nous avons forcément été créés dans un but précis, et je suis intimement convaincu que, personnellement, mon but est de comprendre le fonctionnement de l'univers, afin d'éclairer le reste de l'humanité à ce sujet. En comprenant ces mécanismes, nous serons sans doute mieux à même de savoir comment agir, comment faire pour que tout le monde soit heureux. Vois-tu, je cherche toujours le bonheur, mais pas le mien, celui de tout le monde. Le tien y compris.
Cela fait longtemps que je sais que je ne serais jamais heureux… je ne me souviens plus comment j'ai compris ceci, mais je le sais. Et au moins, je ferais en sorte que d'autres puissent l'être à ma place. Si de toute façon tout espoir est perdu pour moi, il est logique que je me sacrifie.
Noah reporta son regard sur Cybèle. Il espérait vraiment que contrairement aux autres, elle ne se contenterait pas de se moquer de lui. Mais l'homme était comme ça, dès qu'il tombait face à quelque chose qui sortait de l'ordinaire, il le refusait, chercher à le vaincre, soit par la haine, soit par la moquerie ; en l'occurrence, Noah avait pu rencontrer les deux. Mais il aimerait tant se souvenir précisément de qui lui était arrivé… Néanmoins, il avait le sentiment que ce n'était qu'une question de temps, car à chaque instant, plus de sentiments lui revenaient. En attendant, il devrait vivre avec cette insupportable ignorance. _____________ N'est que divertissement tout ce qui ne contribue pas à la recherche de la vérité |
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Noah Mélancolique

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Mar 02 Déc 2008 | 16:38 |
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Cybèle ne contint que difficilement les soupirs qui pressaient sa gorge durant la tirade du petit homme. Ce n'était pas sa vision des choses uniquement qui était bornée, c'était lui tout autant, et il restait imperméable à chacune de ses suggestions, retranché derrière ses arguments contradictoires. Et à bien y réfléchir, il était tout autant imperméable à la réalité des choses. Fallait-il être fou, pour prétendre embrasser le fonctionnement de l'univers lorsqu'on est homme ! Fallait-il être aveugle, pour se croire sacrifié sur l'autel de la connaissance ! Et d'où tenait-il donc cette prétendue science de son destin ? Non content de s'arroger la connaissance de plans qu'elle, Cybèle, avait passé des millénaires à mettre en place, il aurait voulu, à elle, Cybèle, lui dire mieux qu'elle-même ce qu'elle, Cybèle, avait voulu pour le monde et pour ses occupants ? Et dans le même temps, il avouait son ignorance des lois de l'univers !
Et comme il escamotait ses questions, pour mieux se réfugier dans la rhétorique ! Qu'il était facile de débattre assis et immobile du sens de l'existence, tandis qu'il passait à côté de tout ce que le monde avait à lui offrir ! Oui, le petit être était certainement terrorisé, pour se montrer aussi illogique. C'était la panique qui le faisait agir ainsi, et Cybèle entreprit de la rassurer :
— Je ne te parle pas de lions et de gazelles. Je te parle de la nature dans son ensemble. Je te parle de l'univers dans son ensemble, dont tu dis vouloir comprendre les plus intimes mécanismes. A cette échelle, un lion et une gazelle ne sont rien, et si un lion est un parasite pour la gazelle, à l'échelle du monde, il apporte sa part à l'écosystème en contribuant à son équilibre et à sa sauvegarde. Ce que fait l'homme de plus que l'animal, c'est se rendre conscient du rôle qu'il occupe dans cet univers, mais il n'est nul besoin de modifier ce rôle, faute de quoi, c'est le monde qui s'en trouve déséquilibré. Il s'agit pour l'homme de l'accepter et d'en jouir en connaissance de cause.
Comme il était dérisoire pour la créature qui lui faisait face d'espérer obtenir ne serait-ce qu'une infime compréhension de ce que seul le divin pouvait concevoir, à tous les sens du terme ! Son discours montrait les limites du genre humain, cette espèce grandiose mais qui ne pouvait raisonner qu'à partir de son propre plan d'existence. Et ce plan était bien trop bas pour ce que Noah souhaitait, ainsi l'avait voulu Cybèle, car le monde ne pouvait connaître qu'une unique source. L'homme n'était pas là pour modifier l'ordre des choses mais au contraire le préserver, et Cybèle l'avait créé pour ne plus être seule à jouir en chaque instant du sublime qui émanait de chaque chose. Mais avait-elle fait une erreur ? Fallait-il donc être un dieu pour s'en rendre capable ? C'est à tout le moins ce que semblait penser le petit homme qui lui faisait face.
Elle hésita. Etait-il encore utile de soumettre toutes ces considérations à Noah ? Les entendrait-il seulement ? Cybèle préféra garder ses pensées pour elle-même. Le petit homme aurait tout le loisir de se bercer d'illusions, il était homme et le resterait, c'était chose certaine. Sa quête éperdue se heurterait à sa nature-même, et si Cybèle ne pouvait pas lui faire entendre raison, elle le laisserait comprendre par lui-même, peut-être, ce pourquoi il avait réellement été fait. Ne le condamnait-elle pas ce faisant à échapper au bonheur et à la quiétude ? Mais que pourrait-elle lui promettre en le contraignant à la croire d'office ? Une doctrine imposée de force que le petit être n'aurait pas les moyens de remettre en question le ramènerait à un statut d'animal obéissant aveuglément à des lois qui le dépassent. S'il en était capable, en temps voulu, il accéderait à la béatitude.
Il était temps de passer à la pratique :
— Tu ne m'as pas répondu, que comptes-tu faire ? _____________
You have to give up. You have to give up. You have to realize that some day you will die. Until you know that, you are useless. – Tyler Durden |
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Cybèle Paranoïaque

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