Un chemin vaut l'autre
De l'autre côté du miroir
L'Asile
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Monologue

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Message Sam 31 Mai 2008 | 11:40  Répondre en citant

Au bruit de pas vifs qui croissaient à son approche, Céleste décrocha un à un ses doigts de ceux de la jeune femme au sourire énigmatique plantée de l'autre côté du miroir. Le Directeur la dominait de son ombre imposante, celle dans laquelle elle était venue se vider des douloureux abcès psychiques et qui avait essuyé son sang envahissant et sale, mais il ne subsistait rien de cette intimité passée. La chaleur indistincte et dérangeante qui l'avait envahie quelques instants plus tôt semblait s'être brusquement évanouie dès lors que les souvenirs ravivés par l'échange sanguin s'étaient estompés, dès le moment où elle lui avait tourné le dos pour aller à la rencontre de son reflet.

Un peu plus loin dans la verrière le miroir s'était reconstitué ; ou peut-être ne l'avait-elle jamais vraiment brisé ? Comme on tente de reconstituer un songe au réveil, des éléments essentiels de l'histoire manquaient cruellement. La longue silhouette, malgré ses vagues luminosités rougeâtres là où un semblant de chair dépassait de la cape, ne dégageait plus rien de réconfortant ou de familier, mais plutôt ce mélange déroutant de répugnance latente et d'indifférence qui le constituait dès les premières minutes de leur rencontre; comme si tout en Céleste, de sa crasse indubitable à son constant silence bestial, de ses petits poings crispés par l'habitude à son regard fixe et pesant, tout en elle l'irritait profondément.

La jeune femme baissa les yeux vers ses mains qu'elle ouvrit, avec précaution, prévenant la douleur. Mais aucune douleur ne survint. Ses plaies étaient apaisées, pas moins suintantes et vives que l'heure passée, mais elles n'éveillaient plus chez Céleste ni rage ni culpabilité ; les stigmates froides d'une guerre passée, c'est tout. Ses pieds nus portaient encore les auréoles rougeâtres du sang séché, ses vieux habits étaient aussi froissés et humides qu'à l'habitude, en somme elle avait gardé son apparence de fragilité violente ; elle ne ressentait absolument plus aucune douleur sans que cela ne lui cause de tension particulière. Pour une fois, l'absence de violence physique ne la perturbait pas à outrance, au contraire, elle aurait presque aimé cela si au plus profond de son esprit poisseux l'idée d'une rechute n'avait pas débuté son cheminement.

…Merci. Mais cela ne fait plus mal du tout, vous savez.

Et Céleste de s'asseoir, au beau milieu de la verrière, dos contre l'un des innombrables miroirs ; sortant de sa poche l'écharpe et les aiguilles qu'elle avait en main peu avant l'arrivée du Directeur et continuant son ouvrage sans plus de commentaire.

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La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Dim 06 Juil 2008 | 23:35  Répondre en citant

Alors ce serait tout ? Elle avait tout explosé. Elle en avait foutu partout. Elle l'avait souillé, elle l'avait supplié, embrassé. Elle comptait s'en tirer comme ça. Un foumillement désagréable lui parcourait les doigts. Merci, mais je n'ai plus mal. Allez dégage, je n'ai plus besoin de tes services. Après m'être disputée avec mon reflet, après avoir ravagé ta verrière et répandu ma bourbe partout, après t'en avoir mis plein la soutane puis m'être contemplée en toi pour mieux m'aimer moi-même, j'ai maintenant bien plus important à faire.

Tricoter.

Le dégoût emplit le Directeur comme le métal en fusion son moule : parfaitement lisse, sans éclaboussures. Elle était repue d'elle-même, contente, presque fière, quasi-dédaigneuse. Il n'était plus raisonnable d'espérer qu'elle nettoie derrière elle. Le sang, les détritus, ce n'était pas pour elle, non, elle, elle pouvait se contenter de rester assise et d'attendre qu'on s'en occupe. En tricotant. On la nourrirait, on la coucherait, on la torcherait, on la viderait, on la remplirait, baudruche flasque et impie.

Etant entendu qu'il n'était pas du ressort du Directeur de se charger de besognes de cet ordre, celui-ci tourna les talons, abdondonnant à son misérable sort cette pauvre loque. Tricote donc, et étouffe-toi avec, à défaut que je ne t'étrangle moi-même… une douleur fulgurante au creux de ses paumes lui arracha un hurlement. Il baissa les yeux : elles étaient intactes. Il se retourna et braqua vers la folle deux tisons incandescents. Evidemment, c'était elle. Elle le narguait. Le provoquait. De la fumée aurait pu sortir de ses naseaux.

Il se précipita vers elle et se pencha sur son ouvrage qu'il lui arracha presque des mains, déclenchant ce faisant un nouveau cri de douleur. Cramponné à elle à son tour, il lui jeta : Ça te fait rire peut-être ? Réponds !

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Le Directeur



Message Jeu 10 Juil 2008 | 21:43  Répondre en citant

Reprendre son ouvrage automatique, là où tout avait commencé, attendre, une nouvelle fois, peut-être simplement goûter au miraculeux silence de sa conscience, peut-être appréhender un nouveau déchainement de rage inexpliquée ; mais attendre avec calme, en tout cas, purgée. Les bruits de pas décroissants, qu'elle écoute d'une oreille distraite, pour rythmer sa besogne réflexe ; détachée des évènements récents comme par crainte de raviver les questions métaphysiques qu'ils avaient effleurées.

Mais pas le temps de s'enliser dans cet instant de sérénité. Hurlement de douleur doublé de surprise enragée ; cela faisait longtemps qu'elle n'en avait pas poussé un de ce genre elle-même, compagne soumise de ses mutilations. Mais pas le temps d'analyser le cri plus en profondeur, sa provenance, son écho dissonnant dans le miroir derrière son dos ; que déjà le Directeur lui ôtait des mains aiguilles et lainage, puis s'agrippant à sa chemise hurla à nouveau de douleur, comme si la jeune femme eût été capable de lui envoyer un violent coup de jus au moindre contact.

Ça te fait rire peut-être ? Réponds !

Abasourdie, Céleste écarquilla ses yeux glauques : on pouvait y lire un peu de pitié, et beaucoup d'incompréhension. Bien sûr, elle n'était pas indifférente à sa douleur qu'elle connaissait trop bien, non, mais elle ne voyait absolument pas en quoi elle pouvait l'aider. Par réflexe, elle accrocha fermement à son col sombre ses deux mains mutilées, au cas où la situation vire brusquement au bain de sang.

Lâchez moi. Vous étiez déjà loin, je n'ai pas pu vous toucher, cracha Céleste d'une voix agacée, mais sans animosité.
Puis, reprenant plus doucement : Je peux faire quelque chose pour vous aider…?

La folle était sincère, et sa voix d'un calme balsamique aurait pu la surprendre elle-même, si elle avait été en mesure de s'écouter. Dans le miroir auquel elle était adossée, se détachait lentement de son crâne bouclé la silhouette du double temporairement canalisé. Posant la tête sur l'épaule de la jeune femme, l'autre Céleste, dont seul le visage rond et incandescent émergeait de la vitre, s'adressa au Directeur avec un mielleux et délicat sourire de cannibale :

Qu'est ce que vous attendez, pour lui foutre votre poing dans la figure ? Elle se fiche de vous cette petite saloperie. Non pas que ce soit un plaisir d'être dévisagée, mais ce ne serait pas la première fois, et puis, elle commence à me taper sur les nerfs avec sa naïveté poisseuse.

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Céleste
Schizophrène


Message Jeu 10 Juil 2008 | 23:39  Répondre en citant

Pas touché pas touché, depuis quand il y avait besoin de se toucher pour s'atteindre, de qui se moquait-on ! Et joue ton hypocrite avec ça, parodie ma sollicitude feinte, enquiers-toi donc de moi, après m'avoir rejeté, tu as tout faux, tout faux, mademoiselle !

Ah oui ? Et ta partie de jambes en l'air dans le cloître, tu as eu besoin de me toucher pour me la faire subir, salope ? Qu'est-ce que tu m'as fait ? pépia-t-il de plus belle, à mi-chemin entre la fureur et la panique. Mais contre toute attente, ce ne fut pas elle qui lui répondit.

Ah, la sale pute de Schizophrène. Le voilà, ton vrai visage. C'est toi, alors, c'est toi, c'est toi qui joues aux marionnettes, toi qui croyais pouvoir me piéger à travers elle, toi qui as utilisé ses lèvres et mon visage pour te masturber. La verrière avait connu plus de bris de glaces encore que de reflets. Le Directeur y vit l'occasion de confirmer la tendance.

Foin de la folle, elle ne comprenait rien à ce qui se déroulait dans sa propre tête, vivait passivement chaque situation et ne savait que venir chouiner dans ses basques. Non, celle qui l'intéressait, c'était l'autre. Le Directeur la lâcha et s'approcha encore, à quatre pattes. Sans sa soutane qui traînait par terre, il aurait pu avoir l'allure d'un fauve, avec ses mauvais yeux rouges. Il s'adressa à Céleste par-dessus son épaule, exhalant un murmure au visage de son reflet. Les fous, il n'avait jamais rien voulu en savoir, mais les reflets, il avait dû apprendre à vivre avec.

Ahhh… Tiens, oui, je pourrais le faire, je pourrais, tu sais que j'en ai foutrement envie, peut-être même que j'en ai envie depuis avant même de vous avoir rencontrées, mes cochonnes, envie de lui défoncer le nez dans une vitre, envie de la voir passer à travers, envie de la secouer par les cheveux jusqu'à ce que son scalp me reste dans les mains pour lui faire bouffer, ou que votre putain de crâne se fende, oui, je pourrais faire tout ça, dans l'ordre, dans l'ordre inverse, et puis dans le désordre, à l'infini, à l'infini de tous vos reflets de petites salopes… Mais pourquoi toi, tu ne le fais pas toi-même ? Qu'est-ce que tu fous, derrière ta vitre ? Tu t'ennuies, peut-être ?

L'idée de briser le miroir lui revint en tête, nette et précise. Il aurait pu peindre la scène. Et s'il fracassait cette glace, la tête de cette morue tomberait-elle comme une pomme pourrie, détachée de son corps ? Ou ne ferait-il qu'ajouter au désordre innommable des lieux ? Un élancement lui provint de ses mains, et le garda de se précipiter.

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Le Directeur



Message Mer 03 Sep 2008 | 0:30  Répondre en citant

A quoi jouait-on ? Voilà que les reflets devenaient témoins médusés d'une situation improbable. Alors que la folle prenait des allures de saintes, mains nouées sagement dans les cotonnades, yeux niais écarquillés par l'incompréhension ; le sage de pacotille, maître du jeu à qui voulait bien l'entendre, se trainait à genoux pour babiller avec les esprits errants des bas-fonds de l'Asile. Le capuchon frôla l'oreille de Céleste pour aller à la rencontre du reflet compulsivement attentif, enflammé par les abominations que lui chuchotait la chimère sur un air vivifiant de défi attendu.

Le nez collé à la vitre, aussi prêt que possible de l'homme — peut-être était-ce la première fois qu'on lui parlait ainsi, sans la confiner dans son statut de monstruosité inconsciente malencontreusement éveillée — elle constata avec une pleine satisfaction que rien ne l'avait jamais autant excitée. Rien plus que ces petits projets sordides, fantasmes avortés par le partage avec l'une des principales protagonistes ; rien que cette violence banalisée, sentimentalisée, décrédibilisée par l'enthousiasme du Directeur lui-même. Et elle aurait voulu lui hurler, les narines écrasées contre la glace embuée, un sourire gargantuesque aux lèvres rouges, de continuer de débiter ces mots là, encore; à l'infini, à l'infini de tous ces reflets d'elles et d'eux qui s'agitaient, affamés derrière les miroirs irraisonnés…

Tu t'ennuies, peut-être ?

Mais voilà de quoi briser net l'escalade jouissive des tortures mentales que l'autre Céleste s'inventait déjà, sur la digne lignée du maître à penser. Vexée. Il est acquis qu'une femme, au moindre reproche, à la moindre humiliation, peut se transformer en harpie pour peu qu'elle soit d'humeur versatile; mais que dire alors d'une telle cannibale que rien, pas même les propositions délicieusement sanglantes du Directeur, ne parvient à combler ? Oh, susceptibilité mesquine de celle dont le désir — même en délire onaniste — est bafoué…

Il y eut un spasme électrique, un grésillement écœurant lorsque l'autre Céleste pénétra l'antre de son double vivant. Enfin nez à nez avec le Directeur, la folle véritable ne put empêcher ses canines acérées de percer son sourire soigneusement retenu : une envie soudain de mordre dans la lueur charnelle sous la capuche camouflé ; mais s'accrochant de ses petites mains brutes aux épaules de l'homme elle se redressa devant lui. Deux doigts posés sur le front, elle fit le tour de sa tête pour mimer une ouverture crânienne ; puis, les ongles le long de la trachée et du cou, une pendaison suave et plutôt plaisante. Son souffle court s'accélérait, bestial, odorant. Les joues rougeaudes ne parvenaient pas à la rendre plus avenante : écœurante, obscène à tout casser.

Qu'est ce que je t'ai fait ? C'est là qu'il faut creuser, alors, pour te faire peur ? Ou est-ce juste du mépris pour les choses de la chair, un dégoût impuissant d'intellectuel forcené ? Te toucher, non, elle ne le pourrait pas même si elle le voulait. Mais ce n'est pas la peine…

Les doigts appuyés excessivement sur les carotides, la jeune femme dominée par elle-même semblait s'en donner à cœur joie à ne pas venir au bout de ses petites affaires et de son discours nébuleux. L'autre main vagabondait sous la chemise tandis qu'elle fixait le Directeur avec obstination : extrayant de la poche de son pyjama un éclat de miroir, elle lui sourit, exilée loin derrière le voile salement humide des yeux en myosis verdâtre. Sans relâcher la pression qui la faisait suffoquer de plaisir, la main tenant le tesson de miroir se fraya un chemin sous les boucles grasses de sa nuque et vint soudain percer la chair en une longue trainée sanguinolente.

Puisque tu es sensible à son plaisir, tu ne dois pas être indifférent à sa douleur, n'est-ce pas ? C'est toi qui as provoqué cela, ou c'est elle ? Qui as décidé d'échanger ses états d'âme, et pourquoi elle ne semble rien savoir des tiens ? Je n'ai rien à perdre, tu sais. Cette peau-là ne m'appartient pas vraiment.

D'un geste brusque elle retira le tesson, les yeux luisants fixés sur la nuque courbée du Directeur.

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Message Sam 13 Sep 2008 | 12:43  Répondre en citant

Ainsi, sa tirade avait eu l'effet escompté. L'autre n'avait pas mis longtemps à mordre à l'hameçon, se mettre à découvert, sortir de son terrier dégueulasse, comme un fœtus contrefait d'une vulve sordide.

C'était maintenant qu'on commençait à rigoler.

Dans un relent de putrescence, elle lui souriait, confiante, fière d'elle, suintante d'œstrogènes avariés, vomissant la sensualité, cette catin frustrée. Lorsqu'elle le toucha, il eut un sursaut de dégoût et resta crispé, immobile, à quatre pattes, attendant la fin de son cirque les épaules tendues, comme révérencieux.

Et la folle, l'autre, parla. Sous la couche de provocation concupiscente, les mots touchaient juste, les idées étaient pertinentes, trop pertinentes. Comment avait-elle pu si rapidement comprendre ? Les yeux grands ouverts, le Directeur gardait la tête baissée, lui refusant de savourer cette victoire. Et ses yeux ouverts lui offrirent un spectacle qui dépassait probablement de loin les espérances de la folle (l'autre) : dans la glace derrière elle, au fur et à mesure qu'elle esquissait sa chorégraphie perverse, se rallumait, le long des lignes qu'elle traçait sur son corps, une certaine lueur rouge, au sein de laquelle on pouvait deviner de fines arabesques, entre le barbelé et le motif tribal.

Les mains du Directeur se mirent, dans un nouveau spasme douloureux, à rougeoyer à leur tour, se parant, le long des dizaines de coupures sur les mains de Céleste, des mêmes motifs délicats. Le Directeur comprit alors. Tout. Mais n'en ressentit que plus de panique encore. Le souffle court, il ne vit même pas Céleste, l'autre, lui porter le coup de grâce : dans le cou de son reflet, une épaisse ligne rouge s'embrasait suivant la direction que l'internée lui imprimait. Toujours à quatre pattes, il porta sa main à sa nuque et crut presque y sentir du sang chaud et poisseux.

Il hurla. De terreur.

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Le Directeur



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