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Mer 25 Juin 2008 | 23:22 |
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Ann poussa la "porte" de la Chapelle et se jeta à l'intérieur.
Affalée de tout son long sur le sol froid et dur du lieu saint, elle se sentait plus vivante que jamais.
Son coeur battait comme un taureau contre sa poitrine, mais comme enfoui dans la naphtaline — ou le ressac lointain de la mer, car ici l'apaisement pesait comme une chape de plomb.
Incolores, ses larmes fusaient sur ses joues et, basculant sur le dos, elle en étala le sel sur son cou et la naissance palpitante de ses seins.
Puis elle éclata d'un rire méchant et bienheureux, et, les bras en croix, les jambes à l'abandon, ouvrit les yeux.
Une armée de couleurs pétarada alors dans ses iris.
Retenant un cri de surprise, la jeune femme se cambra puis s'apaisa complètement.
Elle était à présent un légume bienheureux contre le sol.
Avec ce seul impératif.
Ne cligne pas des yeux.
Tranchantes, aigrillardes, si belles, les figures de couleurs se détachaient sur la voûte noire, la petite voûte noire protectrice et oppressante.
Vert, bleu, rouge, vert. Vert, bleu, rouge vert. Jaune. Orange. Blanc, blanc, BLANC !
Ses yeux la brûlaient.
Elle ferma les paupières.
L'instant suivant, Ann était debout, devant l'autel. Elle balaya d'un geste violent les fleurs qui le recouvraient. Le vase bleu et nuage se fracassa à terre et elle s'empara, de ses mains sales et griffues, du tissu de l'autel.
Longtemps, elle y enfouit son visage. Elle était redevenue tout à fait calme. Droite, sereine et tendue, elle ne bougeait plus. Droite, sirène étendue — verticale, cherchant dans le châle un parfum d'enfance, un contact soyeux où imprimer ses baisers édulcorés, un soutien de ce putain de ciel vide.
Le visage d'Ann réapparut.
Le châle glissait lentement vers l'arrière de la tête, coiffure de petite vieille.
Les traits de la femme s'étaient affaisés, elle avait l'air parfaitement stupide, comme dans une extase molle, avec des yeux d'enfant qui redécouvraient tout et une inexpressivité angélique. Le cours de sa respiration était très lent, très régulier. Le moindre de ses muscles saillant et saturé sembla fondre.
Annet tomba à genoux, les bras le long du corps comme deux objets inutiles, le tissu glissant de son crâne pour venir border ses pieds sales ; dans un geste d'ivresse, elle renversa la tête en arrière, laissant le soleil explosif caresser son visage offert, palmsodiant d'inaudibles paroles en une litanie sombre.
Notre Père, qui êtes aux cieux que votre nom soit sanctifié que votre règne arrive que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien et pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés et ne nous laissez pas succomber à la tentation mais délivrez-nous du mal délivrez-nous du mal délivrez-nous du mal…
On aurait dit une mélodie d'amour et Ann, tout à fait inconsciente, avait oublié le reste du monde — et tout ce qui, en lui, à tout moment pouvait lui nuire. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Ven 27 Juin 2008 | 10:39 |
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La porte de la chapelle s'ouvrit de nouveau, très silencieusement. Une longue silhouette noire, cernée par la chaude lumière de l'extérieur, se distingua un instant, puis disparut quand la porte se referma. Plusieurs bruits de pas se firent entendre. Ne bougeait qu'un masque blanc qui semblait léviter tranquillement. Puis, ce masque s'avéra être planté sur un corps long et maigre quand la lumière des vitraux éclaira la silhouette.
Etrange… Je voyais l'asile plus grand.
White parcourut la pièce du regard, son masque sans expression tourna de droite à gauche, jusqu'à ce qu'il se pose sur la femme effondrée. Visiblement, il ne s'agissait pas d'un membre de l'équipe de soin, loin de là. L'Autiste s'interrogea. Peut-être se trouvait-il dans la salle d'attente… Salle qui ressemblait étrangement à un lieu de prières. Il fronça les sourcils, ce que son masque vénitien ne laissa pas transparaître. Après avoir longuement hésité, il continua sa marche à travers la chapelle, pour aller s'asseoir sur l'une des nombreuses chaises de la bâtisse. Il choisit celle qui se trouvait en face d'Ann Strokes. Juste face à lui, et donc au dos de la jeune fille, s'étendait un immense vitrail représant l'archange Saint Michel en plein combat contre un démon. L'espace d'un instant, White eut l'impression que le diable lui avait souri, mais ce n'était pas le cas. Des dizaines d'ombres passèrent à travers la chapelle avc une lourde démarche, White les salua en otant son chapeau noir.
L'Autiste mit ensuite ses deux mains sur ses genoux et attendit, le corps droit. Son masque était figé vers Ann, mais impossible de déterminer s'il la regardait vraiment.
— Inutile de vous énerver jeune fille. Le médecin va venir d'une minute à l'autre. Dans le mot "salle d'attente", il y a "attente", tâchez de vous en souvenir.
Il avait parlé, mais déjà il semblait totalement détaché de la jeune fille. Dans son attitude figée, avec ce masque inexpressif, il aurait pu ressembler à une statue diforme. _____________ "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous."
Erasme |
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White Autiste

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Ven 27 Juin 2008 | 12:03 |
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La mélodie chrétienne se poursuivait toujours, de plus en plus bas, jusqu'à ne plus être qu'un murmure, qu'un souffle, qu'une caresse lointaine, sur les lèvres d'Annet. A genoux sur le sol, affalée sur ses talons, le linge immaculé au bout des orteils noirs, la jeune femme oscillait doucement de l'arrière vers l'avant, de l'avant vers l'arrière, de l'arrière vers l'avant, dans la transe exclusive de sa berceuse d'enfance. Elle était molle jusqu'à l'ivresse, ne pensait plus à rien qu'à l'apaisement total, si rare, si précieux, qui l'enveloppait toute entière, jusqu'à ralentir les battements de son coeur.
Il lui semblait qu'elle allait s'arrêter là de vivre, et c'était comme retourner dans le ventre chaud d'un être bienveillant, où elle avait sa place et où aucun intrus ne pouvait pénétrer. Rien à voir avec la fougue de la petite mort, où tout pareillement s'oubliait, ni même avec la violence soudaine de la Mort, la vraie, la brutale, celle qui vous arrachait sans crier gare par le bras du prochain ou celui du hasard. Non, c'était un long, un doux amollissement ; les rouages sans défauts allaient vers l'inertie, et il lui semblait qu'elle allait fondre jusqu'à l'oubli total, ne laissant sur le sol qu'une flaque de graisse — et rien de plus, sans rien demander de plus.
Inutile de vous énerver jeune fille. Le médecin va venir d'une minute à l'autre. Dans le mot "salle d'attente", il y a "attente", tâchez de vous en souvenir.
Annet bondit.
Elle ouvrit les yeux. Prit une grande goulée d'air.
Les losanges criards vinrent épingler ses yeux alors que son coeur, soudain électrisé, sembla exploser.
Elle n'avait entendu personne entrer!
Mais devant elle se trouvait quelqu'un, ou quelque chose, un visage, un visage blanc, flottant sans corps, sans expression, ou plutôt si, juché sur la silhouette déplumée d'une cigogne noire. Ô cruelle apparition ! En l'espace de quelques secondes, Annet était passée d'un extrème à l'autre.
Elle avait bondi sur ses pieds, foulant le tissu blanc de l'autel ; ses yeux noirs exorbités fixaient le masque blanc — et, alors que ces paroles peinaient à faire route jusqu'à son cerveau endormi, son coeur cognait contre ses poumons.
Qui était-il ? Elle était seule, elle avait ouvert les yeux, il était là, assis devant elle, les mains sur les genoux, la regardant ! La regardant, lui, le masque blanc sans expression humaine! Il était apparu !
Que voulait-il ? Pourquoi jamais, jamais de repos? Pourquoi le médecin ? Pourquoi jusqu'ici !
Et ces paroles, que signifiaient-elles ?
Terrorisée, Ann s'arracha à sa tétanie momentanée pour courir se réfugier derrière l'autel, sur lequel elle imprima les paumes de ses deux mains, comme pour se donner du courage. Elle se meurtrit au passage les pieds sur ces éclats de verre bleu qu'elle avait fracassé. Ses cheveux lui tombaient, noirs et filasses, devant le visage — et, tremblant violemment, totalement départie de la nonchalance méfiante et méprisante qui lui était coutumière, elle avait tout à fait l'aspect d'une démente.
— Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous foutez ici ?! Qu'est-ce que vous voulez ?! hurla-t-elle en désordre, ne sachant trop à qui, de l'apparition spectracle ou de l'homme improbable, elle s'adressait si violemment. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Ven 27 Juin 2008 | 13:09 |
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Alors que la femme en fureur s'était soudainement levée, White avait l'esprit plongé dans l'intense contemplation des vitraux. Il voyait désormais l'archange terrasser le démon avec une fougue non soupçonnable. Le pauvre diable semblait jeter un regard désespéré vers l'Autiste, il lui tendit une main griffue, comme s'il cherchait une quelconque aide. Mais alors que l'homme masqué allait se lever pour secourir ce faible Belzebuth, les nombreuses ombres qui étaient apparues auparvant revinrent à la charge, elles s'assirent tout autour de l'Autiste et commencèrent à entamer quelques chants de prières.
Tiens… Ce n'est donc pas une salle d'attente. Qui l'eut cru ?
White n'était pas croyant, mais, par convention, il leva les mains au niveau de son visage, comme pour prier, ce qui eut l'air de satisfaire nombre des fantômes pieux. Soudain, un immense cri émana de l'une des ombres… Non, ce n'en était pas une, c'était une femme, en chair et en os. La même que tout à l'heure, White l'avait oubliée. Son cri semblait sorti du plus profond de ses entrailles, et il fit fuir toutes les ombres. White jeta un regard au vitrail, il était de nouveau comme avant, et le diable avait cessé de gémir ou d'envoyer des cris. Cris… Ce mot rappela à White la présence de l'étrange jeune fille. Il ne lui avait pas encore répondu, et un relatif silence, uniquement brisé par la forte respiration de la Paranoïaque, s'était installé.
White fit un sourire à la première femme qu'il rencontrait dans l'Asile. Elle ne put voir ce sourire car le masque ne dévoilait rien. White se leva et entama une longue révérence tout en otant son chapeau.
— Voyons, vous ne me reconnaissez pas ? C'est moi : White. Je suis bien étonné que vous n'ayez pas entendu parler de moi car figurez vous que j'arrive à l'instant dans cet asile. Maintenant que vous leur avez fait peur, je pense que nous ne sommes plus que deux. Il paraîtrait donc logique de discuter ensemble non ? C'est vrai, que faire d'autre après tout ?
White se rassit alors tout naturellement, revenant à sa posture figée. Il reprit cependant la conversation qu'il venait pourtant de terminer.
— A ce propos, que font les médecins ? Je commence à m'impatienter. _____________ "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous."
Erasme |
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White Autiste

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Lun 30 Juin 2008 | 12:00 |
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Le masque mettait du temps à répondre et Ann Strokes, crispée derrière l'autel, bouillonnait de l'intérieur.
Avait-il seulement entendu ses paroles? Il n'avait pas d'expression, elle ne pouvait même pas savoir s'il la regardait. Elle avait l'impression d'être transparente et traquée à la fois, comme par un fantôme attaché seulement à vous, par moments, et dont on ne peut se défaire.
Elle aurait voulu piétiner d'un cri nouveau ce silence trop tendu, mais n'osait. Sa présence dans l'église, l'immatérialité de sa silhouette décharnée donnaient à White une allure surnaturelle, exagérée sans cesse par son propre état post-extatique.
Alors elle se contentait de le regarder de ses yeux de démente, comme si, par ce simple regard creusé par la fièvre, elle voulait le forer de part en part.
Et puis White bougea, White parla, et Annet s'arracha du filet de ses doutes. Certes elle oscilla un instant : des phrases comme vous ne me reconnaissez pas ? ou maintenant que vous leur avez fait peur, je pense que nous ne sommes plus que deux lui hérissèrent le poil. Mais le masque venait de révéler qu'il n'était qu'un pensionnaire d'asile, attendant ses soignants.
Qu'un pensionnaire d'asile!
Une honte cuisante monta aux joues d'Annet. Dire qu'elle avait sombré dans un tel état de frayeur (un esprit, ah! quelle drôle d'idée!), qu'elle s'était montrée dans un tel était de frayeur, juste pour… ce clown!
L'idée lui était insupportable et forgea dans ses yeux la lame rougeoyante de la haine.
Et l'autre qui babillait comme si la situation s'y prêtait. Derrière son masque d'impassibilité, elle n'aurait pas été étonnée qu'il se réjouisse du sale tour qu'il venait de lui jouer. L'enflure…!
Demeurant toutefois derrière son autel, Annet aurait aimé avoir quelque lourd candélabre à lui jeter. Mais de là, elle ne pouvait que parler. Pas parler, non, pas faire la causette pour l'occuper ! Elle répugna même à l'interroger sur tous ces points sombres qui n'étaient peut-être que folie, sur le fait qu'elle puisse le reconnaître ou sur l'Asile dans lequel ils étaient censés se trouver, ou encore sur ces médecins qui n'avaient rien à faire dans une église ou même à la surface de la terre.
— Vous n'avez pas répondu à ma putain de question !lança-t-elle donc, d'une voix apaisée mais beaucoup plus dure. Qui êtes vous et que faites vous ici?!
La dernière question n'était plus nécessaire. Elle ricana, épanchant son mépris comme basse vengeance.
— Vous croyez que l'on va venir vous ausculter dans un lieu de prières?! Enlevez d'abord votre putain de masque, espèce de tordu!
Car l'homme était homme mais demeurait dérangeant. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Lun 30 Juin 2008 | 13:00 |
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White ne comprit pas vraiment pourquoi la jeune fille parlait toute seule. Elle semblait encore un peu énervée à en croire son vocabulaire, mais sa voix, elle, semblait plus calme… Calme certes, mais acerbe également, et White n'aimait pas trop cela. De toute manière, la jeune fille ne s'adressait pas à lui, il le savait. D'ailleurs, dès qu'il avait remarqué qu'elle ne répondait pas à sa question, il s'en était détaché sans même qu'elle le remarque. Il observait à présent le haut plafond de l'église. Le bâtiment était éclairé et spatieux, sauf à l'entrée, un peu plus obscure. Cela angoissait quelque peu l'Autiste. En entrant, il n'avait pas remarqué l'obscurité, attiré par la lueur des vitraux, mais à présent, il savait que pour partir, il devrait traverser cette zone trop sombre. Il détestait cela.
Soudain, les mots lieu de prières résonnèrent dans les oreilles de White. Plongé dans sa rêverie, il avait totalement oublié où il se trouvait. Il fallait qu'il rejoigne l'Asile, inutile de perdre son temps ici. D'ailleurs, il n'appréciait pas beaucoup la compagnie. Les ombres l'angoissaient un peu, le diable semblait cacher quelque chose et la jeune paranoïaque n'avait rien de plus rassurant. L'autiste s'apprêtait à se lever pour partir, quand de nouveaux mots heurtèrent violemment ses tympans… Enlevez d'abord votre putain de masque…. Il n'entendit même pas la suite, soudain plongé dans une fureur sans pareille.
— Enlever mon masque ? hurla-t-il avec une voix que l'on ne pouvait lui soupçonner, bien plus grave que celle au ton atone qu'il avait utilisé jusque là.
Il s'était levé brusquement, faisant basculer sa chaise. Ses deux longs bras saisirent alors le dossier du siège d'à côté dans un long mouvement et la jetèrent tant bien que mal entre Strokes et lui. La lourdeur du mobilier l'avait empêché de jeter la chaise plus loin, mais s'il l'avait pu, sans doute aurait-il heurté la jeune fille de plein fouet. Durant tout le temps de la crise, Ann put entendre la voix de White hurler des paroles incompréhensibles à l'intérieur de sa tête, comme si l'homme masqué se trouvait dans son esprit même. Puis, les voix de l'Autiste s'éteignirent ; dans l'esprit de Strokes tout comme dans la chapelle.
Le lourd claquement provoqué par la chute de la chaise laissa place au silence. La longue silhouette de White oscillait de bas en haut au fil de sa respiration. Soudain, elle redevint immobile. L'Autiste venait de se calmer. Il toucha du bout des doigts son masque de céramique, comme pour l'empêcher de tomber.
— Veuillez m'excuser pour cette réaction excessive, dit-il d'une voix calme. Où en étions-nous déjà ? Ah oui, vous vouliez quitter cette chapelle. Je me ferais un plaisir de vous accompagner jusqu'à l'extérieur.
White ne voulait pas passer la sortie obscure seul, il avait besoin d'une présence à ses côtés. Il fallait qu'Ann l'accompagne. Dans tout les cas, il n'enlèverait pas son masque. Lui demandait-t-il d'enlever son visage lui ? Non. Soudain, il se remémora la question initiale de la jeune fille. S'il voulait qu'elle l'aide à sortir de la chapelle, autant lui être agréable.
— J'oubliais : mon nom est White, tout comme mon visage. Et mon but est le même que nous tous ici : rencontrer le Directeur. _____________ "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous."
Erasme |
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White Autiste

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Lun 30 Juin 2008 | 13:53 |
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Les paroles d'Ann, une nouvelle fois, semblèrent ne faire aucun effet sur le masque. Jusqu'à…
Enlever mon masque?
Ann eut tout juste le temps de sourire : elle se doutait bien qu'un tel masque, que tout masque cachait quelque chose de monstrueux. Ainsi elle n'attendait pas seulement la réaction violente de White, elle la déclenchait.
Jusqu'ici, tout allait bien. Elle savourait sa victoire sur l'impassibilité blessante du masque.
Mais sa délectation fut de courte durée. La violence alla au-delà.
Il empoigna la chaise et, sans attendre la suite aisément devinée, la jeune femme se recroquevilla derrière l'autel, à l'abri des regards et des éclats de bois.
Jusqu'ici, tout allait bien : sa victoire était suprenante, lui inspirait certes un peu de frayeur — qui la grisait. Mais c'était victoire toujours : ah, le grand, le noble être masqué ! Voilà qu'en une phrase à peine, elle l'avait poussé à de telles extrémités.
Et puis, la même seconde, tout ce ravissement interne s'effaça.
Soudain, les cris de White, inintelligibles, violents, acides, rompirent les parois de son crâne. Heurtée, Annet saisit sa tête entre ses bras, boucha ses oreilles, ferma les yeux, crispa ses lèvres ironiques.
Rien n'y fit. Elle était recroquevillée toujours derrière la pierre de l'autel. Les paroles cessèrent bientôt, en même temps que le fracas de la chaise qu'elle n'entendit pas. Mais la sensation demeurait : l'esprit à vif, mutilé, violé. C'était une humiliation comme tant d'autres, la première de cette sorte, rivalisant d'intensité — et Annet, se remettant de ces douloureuses secondes, essuya sur ses joues quelques larmes salées.
Le silence reprenait ses droits. Les nouvelles paroles du masque faisaient partie du silence. Le silence était dans sa tête. L'autre parlait. Annet n'était pas en état encore. Elle resta cachée derrière l'autel. Elle aurait voulu fumer une cigarette, serrer le châle autour de ses épaules. Balayer les doutes qui l'assaillaient, lui interdisant le repos auquel elle avait touché, jadis, avant que l'intrus ne vienne.
Ses doutes. Etait-il un homme ? Ça n'était plus sûr à présent. Elle avait été présomptueuse. Elle avait été imprudente. C'était tellement tentant. Cela ne se reproduirait plus. Elle savait à présent à qui elle avait affaire. Annet était comme un enfant borné qui n'apprend que par la baguette qu'on n'a pas le droit d'arracher les pattes des insectes.
— Je ne vous excuse pas. Ne recommencez plus.
La voix, moins autoritaire qu'elle aurait dû l'être, s'élevait de derrière l'autel jusqu'à la voûte de la chapelle. Elle était pleine, ferme, mais vibrante encore d'une émotion mal contenue, mal dissimulée.
Pourquoi devrais-je sortir ? J'étais bien, ici, sans vous. Laissez-moi seule. Je me fiche de votre nom. Je ne veux pas sortir. Je ne veux pas rencontrer votre directeur. La voie est libre. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Lun 30 Juin 2008 | 20:04 |
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Un sourire déchira le visage de White, ce que personne d'autre que lui ne pouvait savoir. De toute manière, la seule personne présente à part lui ne le regardait pas. Ann était en effet encore cachée derrière son autel, comme un prêtre timide. Sa voix vibrait légèrement, sans doute venait-elle de vivre pour la première fois la crise d'un Autiste. Mieux valait qu'elle n'essaie jamais d'enlever le masque si une si simple "séance" l'avait émue. Pourtant, malgré l'attitude de la jeune fille, White ne pouvait s'empêcher de l'apprécier. Elle voulait être seule, il la comprenait. Il l'aiderait donc… Mais seulement si elle faisait de même.
L'immense Autiste se retourna lentement vers l'entrée, qui lui parut plus sombre encore qu'auparavant. Cette obscurité était dûe à l'absence totale de vitrail à cet endroit. Les vitraux dégagaient en effet tant de lumière que ce qu'ils n'éclairent pas paraissait d'autant plus sombre. White décida soudain de s'approcher de l'autel, en deux grandes enjambées, il fut à quelques mètres à peine de Mademoiselle Strokes.
— Vous me mentez jeune fille. Vous dites vous moquer de mon nom après me l'avoir demandé à deux reprises… Mais là n'est pas la question. Voyez-vous, je ne vous demande pas de sortir, juste de m'accompagner jusqu'à la porte. Puis, vous serez seule. Ce n'est pas plus difficile que cela.
La grande silhouette se tourna une fois de plus vers la grande porte d'entrée, noire, sombre. White y voyait toutes les ombres de tout à l'heure, concentrées en un amas dégoulinant d'une substance noirâtre. Leur regard semblait empli d'une haine sans fin. De son côté, l'archange sur le vitrail souriait de toutes ses dents, prêt à demander à son armée d'attaquer l'Autiste. Après un frisson d'angoisse, White plongea ses yeux dans ceux d'Ann.
— La voie peut vous paraître libre, mais croyez-moi, elle ne l'est pas. Cela ne vous coutera rien de m'accompagner… Jusque quelques pas… _____________ "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous."
Erasme |
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White Autiste

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Mer 02 Juil 2008 | 17:24 |
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Un silence suivit les paroles d'Ann. Le masque s'était retourné vers le couloir d'entrée, mais elle ne pouvait pas le voir. Assise au pied de l'autel, les genoux serrés contre sa poitrine, elle attendait qu'il parte. Qu'il parte, qu'il parte seulement. Pour une fois, elle ne demandait rien de plus — et attendait, sans regarder, cripsée comme un enfant qui a peur dans le noir.
Mais soudain il fut là, à nouveau, soudain il parla, à nouveau, sans qu'elle l'ait vu venir. Comme la première fois — en moins peur.
Annet tressaillit et tourna vers le masque deux yeux accusateurs. Il ne lui avait fallu que quelques secondes pour se remettre debout, les mains sur le bord de l'autel, prête à s'enfuir au moindre geste.
Annet détestait ce genre de surprise, qui l'engluait dans le sentiment d'insécurité le plus profond. Elle n'avait aucune maîtrise, aucune maîtrise sur White. Chose amplement suffisante pour le détester. Car craindre et haïr n'étaient qu'un seul et même mot dans l'esprit obtus de la jeune femme. Et comment ne pas craindre l'homme-esprit dont elle ne pouvait freiner la trop rapide marche ?
Vous me mentez jeune fille. Vous dites vous moquer de mon nom après me l'avoir demandé à deux reprises… Mais là n'est pas la question. Voyez-vous, je ne vous demande pas de sortir, juste de m'accompagner jusqu'à la porte. Puis, vous serez seule. Ce n'est pas plus difficile que cela disait-il — et Annet, les yeux plissés par la méfiance, ce qui lui donnait un air méchant, le disséquait du regard.
L'accusation était fondée, mais cela était clair et Ann ne relèva pas. Bien sûr il ne s'était agi que de manifester son désintéret, son rejet du masque pour qu'il s'en aille. Chose qui n'avait pas marché. Mais elle n'en n'était pas à une insulte près ; elle en avait essuyé tant que les insultes glissaient sur elle, mots trop maniés, jetés, reçus, digérés, devenus monnaie courante, mots qui ne devaient plus leur agressivité qu'à la langue fourchue qui les lançait.
Mais là, en effet, n'était pas la question. La question était, à nouveau, de sortir de la chapelle. Soit ! Elle ne demandait rien de mieux ! Qu'il s'en aille !
Mais il voulait qu'elle l'accompagne. Qu'elle l'accompagne jusqu'à la sortie. Cela sentait le roussi.
Traquenard.
Forcément. Traquenard.
Elle n'était pas son chien, elle n'était pas aussi stupide !
Qui l'attendait au dehors ? Elle préferait de loin rester planquée, des heures s'il le fallait, derrière l'autel, les chaises ou quoique ce soit d'autre.
Et puis elle commença à comprendre.
Ce long regard qu'il avait lancé dans l'allée. Ce frisson. Oui, ce frisson… et ce phrasé presque implorant.
Elle avait longtemps exercé. Il avait peur.
Annet soudain renversa sa tête en arrière, dans un éclat de rire aigu qui se répercuta violemment contre la voûte. La situation se renversait. Elle n'était pas l'animal traqué. C'était le masque. Le masque avait besoin d'elle. Quelle ironie !
Ses dents plombés luirent dans les ténèbres, alors que sa poitrine s'élevait par secousses. Abattant le canal de sa peur, laissant libre cours à toute sa joie sadique et méprisante, elle avait braqué son index pointu sur la grande silhouette noire et ridicule, et s'exclaffait :
— Vous avez peur ! Oui ! Vous avez PEUR ! _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Jeu 03 Juil 2008 | 8:54 |
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Le doigt accusateur d'Ann était pointé vers White qui ne comprenait rien aux moqueries de la Paranoïaque. Il se contenta de tourner la tête et de s'approcher de l'un des vitraux, lentement, sans réellement faire attention aux rires de Strokes. Il posa la main sur le verre froid. L'image représentait la grande Faucheuse, ailée, sa faux menaçait de trancher les femmes et hommes placés sous elle, parmis lesquels on pouvait voir un roi, un moine, ainsi que plusieurs gens du peuples et leurs enfants. Le roi tourna le visage vers White avant de prononcer ces mots.
Moi aussi j'ai peur, ne t'inquiète pas.
Il lancait en même temps des regards craintifs vers la Mort, qui elle ne sourcillait guère, le visage protégé par une large capuche. White déplaça sa main de manière à masquer le visage de la Belle. Le roi en fut si soulagé qu'il adressa un large sourire à l'Autiste. Il en fut de même pour tous les pauvres gueux représentés sous la Mort, qui se mirent à danser gaiement, et ce jusqu'à ce que White retire sa main. La Faucheuse se mit alors à haleter, avant de jeter un méchant regard à l'homme masqué.
Ne te mêle plus de ça ! Allez, déguerpis ! cracha-t-elle.
White se retourna alors vers Ann Strokes. Imperturbable il avança lentement vers elle, son masque de céramique fixement dirigé vers le visage de la jeune fille. Il se posa, droit, à quelques pas à peine, et resta là, sans rien dire au départ, sans bouger. Puis, Ann put entendre… non, elle put percevoir la voix du jeune homme, qui résonnait de nouveau dans son esprit, mais bien plus calmement cette fois-ci.
< Nous avons tous peur. A présent, aidez-moi je vous prie. > _____________ "C'est bien la pire folie que de vouloir être sage dans un monde de fous."
Erasme |
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White Autiste

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