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Mer 04 Juin 2008 | 12:25 |
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L'air recommenca à circuler dans les poumons de Luce, et Luce à percevoir : l'ombre d'un corps au dessus d'elle, des lèvres sur ses lèvres, une forte odeur dans ses narines. Mais toutes ces impressions étaient floues, éthérées, et la fillette n'était sûre de rien. Elle n'entendit qu'à peine les paroles de Céleste ; elles ne firent pas route jusqu'à son cerveau.
La respiration de la fillette était rauque et concentrait tous ses efforts. Elle avait redressé le buste, posé une main sur son ventre et regardait droit devant elle, sans rien voir, les yeux vides.
Il fallut plusieurs minutes pour que la respiration de Luce s'apaise et se taise, plusieurs minutes pour que son visage reprenne couleurs et expressions, pour qu'enfin la fillette redécouvre ce qui se passait autour d'elle.
Alors elle posa ses deux grands yeux bleus sur Céleste et dit, l'air satisfait d'elle-même:
— J'ai failli mourir !
Cela lui paraissait une aventure tout à fait extraordinaire, et elle en avait oublié Raton. De l'intervention de Céleste, elle ne gardait que l'ivresse de la première bouffée d'air puis le malaise de cette odeur dérangeante.
Parfaitement remise, Luce se remit debout d'un bond et tassa, l'air mécontent, sa robe dégoulinante.
— Aaaah, je suis saaaaale ! Maman ne va pas être contente.
Elle fit la moue. Mais elle décocha un regard à Céleste, et dit :
— Toi aussi, tu es toute sale ! Pourquoi tu es encore en pyjama ? Tu as de la fièvre ? Il faut voir le Docteur. _____________ Humpty Dumpty sat on a wall * Humpty Dumpty had a great fall * All the king's horses and all the king's men * Couldn't put Humpty together again |
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Luce Hystérique

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Mer 04 Juin 2008 | 22:09 |
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La princesse s'était dressée sur ses jambes plus vite qu'il n'avait fallu de temps à Céleste pour reprendre ses esprits. Elle restait affalée à même le sol, les yeux flous, tandis que Luce s'ébrouait en prenant soin de remettre un peu d'ordre dans ses dentelles trempées, une moue insatisfaite sur son délicat visage de poupée. S'apercevant qu'elle tenait encore le rat dans le creux de son poing, elle relâcha d'un geste vif la bestiole qui rampa vers sa petite maîtresse.
La voix de Luce parvint aux oreilles de la jeune femme avec le bourdonnement incompréhensible qu'un insecte rôdeur produit dans l'obscurité : que lui voulait-elle encore ? Pourquoi cette légèreté, cette innocence dans la voix ? Elle avait "failli mourir", disait-elle. En effet, et de plus d'une manière à la fois. Ne s'était-elle donc aperçue de rien ? Il était encore temps de reprendre le dessus sur cette traîtresse de conscience, recouvrir une relative décence psychique, et gagner la confiance de cette enfant pour le moins candide et peu inquiétée par les démons de Céleste. Dans quel but, ça, l'internée ne le savait pas encore, mais il lui semblait impératif de se prouver qu'elle était capable de surmonter ses pulsions et de communiquer avec la petite créature de façon neutre… Pas le temps de programmer quoi que ce soit que déjà Luce l'interrogeait avec intérêt, la dévisageant à nouveau tout en défroissant ses jupons carmins.
— Je ne sais pas… Je n'ai pas d'autre vêtement ici. Mais je ne suis pas malade ! Ce n'est pas un pyjama de malade, et je n'ai aucune envie de revoir ces ordures de médecins, marmonna Céleste, réalisant soudain que son pyjama était effectivement de ceux — tissu rêche et couleur terreuse — que l'on trouve dans les hôpitaux.
Se redressant, elle s'assit en tailleur dans l'herbe et tenta à nouveau d'allumer une cigarette — par pur et stupide réflexe — et comme pour démontrer à Luce qu'elle ne parviendrait pas à la troubler avec quelques remarques faussement naïves. Comme pour oublier la réflexion perturbante qu'elle venait d'avoir, Céleste secoua vivement la tête et osa planter son regard vaseux dans les grands yeux clairs de la môme indiscrète :
— Tu n'as pas froid ? Je sais tricoter un tas de choses, mais tu es si maigrichonne, je ne crois pas que je pourrais. Elle toisa la petite, une lueur vague et contenue au fond des yeux. ll va sécher ton déguisement, fais pas cette tête-là. Et puis elle est où ta mère ? Il vaudrait mieux que je te conduise à elle. _____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. |
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Céleste Schizophrène

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Dim 08 Juin 2008 | 16:19 |
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Ecoutant avec perplexité les premières paroles de Céleste, Luce baissa le nez. Le gros mot de Céleste ne la faisait pas rire cette fois ; la fillette détestait aussi les Docteurs, mais sa Maman l'ayant assurée de leur nécessité, elle n'aurait jamais osé livrer le fond de sa pensée — tout aussi haineuse, peut-être davantage, que celle de Céleste.
La voix de celle-ci et l'odeur âcre de sa cigarette tirèrent provisoirement Luce de cette mélancolie passagère.
— Je suis pas maigrichonne ! protesta-t-elle avec énergie. Et ma robe, ça n'est pas un déguisement, d'abord !
Puis son regard plongea à nouveau et elle reprit à mi-voix : Maman, elle fait la sieste. Faut pas la déranger.
Quelques secondes s'écoulèrent, Luce renifla, puis explosa à nouveau d'enthousiasme.
— Mais, j'ai une idée ! Maman pourrait te prêter une robe! Pourquoi tu n'as pas de vêtements, toi, tu n'habites pas ici ?! Tu serais bêêêlle, avec ! Elle en a tellement, je suis sûre qu'elle t'en prêtera une !
Surtout si tu me tricotes un bonnet…! ajouta-t-elle, avec un petit air fourbe et négociateur.
Raton rampait vers ses pieds mais elle ne lui prêtait aucune attention. _____________ Humpty Dumpty sat on a wall * Humpty Dumpty had a great fall * All the king's horses and all the king's men * Couldn't put Humpty together again |
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Luce Hystérique

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Dim 08 Juin 2008 | 21:14 |
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La jeune femme donna un coup de pied distrait dans le rat qui continuait de ramper vers sa propriétaire : quelque chose la dérangeait profondément dans le lunatisme de l'enfant, qui lui rappelait un peu les propres tumultes de sa vie intérieure, comme si elle eût elle aussi lutté contre la force d'une idée qui lui donnait parfois l'air d'un misérable petite spectre triste, incapable de comprendre qu'il vient de mourir.
Où était sa mère ? Faisait-elle la sieste au bord de l'étang, ou pire… Au fond ? Soudain, Céleste n'eut plus aucune envie de se débarrasser de l'enfant, bien au contraire, un élan curieux et plutôt doux s'emparait de sa personne. Une mère. Sanguinaire créature aux instincts cruels, bestiaux, capable de reprendre la vie donnée par un seul accès de colère ; vampire vidant la chair de sa chair de tout espoir de survie indépendante. Une mère : ce simple mot lui causait un malaise semblable à celui qu'elle ressentait lorsque le bruit de sa respiration ou du sang palpitant à ses tempes prenait le dessus sur tout autre son. La jeune femme toisa Luce. Elle aurait voulu la toucher à nouveau. Non pas laisser l'autre lui dicter des horreurs ; simplement effleurer ses joues, la caresser, la porter… La protéger, même, elle qui ne savait plus faire que cela, se protéger des autres.
Tu as essayé de l'étrangler et tu parles de protection ? C'est de sa mère dont elle a besoin, et jamais tu ne seras une mère, plus jamais, tu as déjà eu ta chance et tu t'es empressée de tout détruire ; es-tu jamais parvenue à préserver quoi que ce soit plus de quelques instants ? Pauvre folle. Tu es complètement folle.
Céleste renifla bruyamment pour chasser les images rouges qui crépitaient devant ses yeux. Quelque chose coulait sur ses pommettes, probablement ses cheveux encore dégoulinants ; elle secoua la tête et retourna se poster contre le tronc de l'arbre. Sortant de sa poche la laine et les aiguilles, elle se mit à coudre avec la frénésie qui lui était habituelle, sans que cela n'altère son air soudain grave et figé, rongé par la peine.
— Je n'ai emporté que ça ici. Je vois bien qu'ils sont moches, mes vêtements, et je sais qu'ils puent, mais c'est ce qui me ressemble. Toi tu peux te déguiser en princesse, tu as les yeux qu'il faut pour ; moi je suis trop vieille, trop sale, j'aurais juste l'air plus grotesque. Si c'est encore possible.
Elle soupira profondément et déglutit. Déjà, un voile humide freinait son travail de tricoteuse. Puis elle reprit sans énervement ni conviction, comme si la moindre émotion supplémentaire risquait de la faire éclater en sanglots :
— Tu sais, il n'y a pas que les médecins que je hais. Je déteste les "Mamans" et les mômes comme toi. Alors va t'en, maintenant, tire toi… Va réveiller ta mère, va jouer avec elle, je peux pas faire ça. _____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. |
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Céleste Schizophrène

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Lun 09 Juin 2008 | 18:27 |
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Heurté par Céleste, Raton couina et Luce baissa les yeux, cette fois, pour une toute autre raison. Découvrant le rat marthyrisé, la fillette poussa un petit Oh! et se pressa de se courber pour le prendre dans ses bras. La petite chose chaude dégorgeait un jus noir contre son corsage défait — et Luce, sans accorder davantage de soin à l'animal, braqua deux yeux assassins sur Céleste. Quelques minutes auparavant, elle la tenait encore pour la Sauveuse du précieux rongeur.
Rien ne la fit rechavirer dans l'enthousiasme d'attifer d'une belle robe cette poupée géante, afin de l'arranger un peu et de la rendre tout à fait aimable. Céleste s'éloignait, dépourvue de tout enthousiasme ; Luce ne le comprit pas, et interpréta ses paroles comme un manque de bonne volonté. Elle avait envie que Céleste soit belle, alors Céleste serait belle ! Comment osait-elle se traiter ainsi ?! Elle la ferait belle, voilà tout!
Ça n'était jusqu'ici qu'un caprice frustré comme elle en avait connu beaucoup. Mais les paroles suivantes de Céleste lui furent tout simplement intolérables. Elle ne la croyait pas, NON, elle ne la croyait pas une seconde!
Ses petits poings serrés (Raton sur son épaule), la fillette tremblait littéralement de rage. Ses yeux avaient pris la courbure de la colère, pour ne pas céder au désespoir.
— NON ! NON, ça n'est pas vrai, TU MENS ! MENTEUSE, MENTEUSE ! se mit-elle à crier, hystérique. Puis elle ramassa à pleines mains de grosses poignées de terre et se mit à les jeter, violemment, sur Céleste — hurlant toujours : Menteuse, menteuse, sale MENTEUSE ! _____________ Humpty Dumpty sat on a wall * Humpty Dumpty had a great fall * All the king's horses and all the king's men * Couldn't put Humpty together again |
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Luce Hystérique

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Mar 10 Juin 2008 | 22:01 |
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Céleste restait figée sous la pluie de mottes de terre et de hurlements stridents, hystériques, d'une violence démente venant d'une si frêle personne. Peut-être pleurait-elle sans même s'en rendre compte, et l'ignorance de sa propre détresse la dégoûtait plus encore que sa faiblesse : le souvenir d'une ronde de petites filles piaillantes, trépignantes, armées de cailloux, en danse diabolique autour de son enfance recroquevillée. Elle n'aurait même pas pensé à protéger son visage, ses doigts persévérants dans leur ouvrage de la laine avec une vitesse effrayante et sans que cela ne semble altérer les réflexions de la jeune femme. La terre odorante et humide butait contre ses joues, tombait entre ses seins avec un acharnement redoublé à chaque seconde, comme si Luce eut essayé d'enterrer vivante la tricoteuse insensible qui n'avait que faire de ses caprices et frustrations.
Regardez moi ça : elle est aussi pourrie que toi ! Les vers lui sortent du nez. Ainsi sont les petites filles, je t'avais prévenue… Des poupées bourrées de vice et de terre, vides, vides, vides.
Céleste releva les yeux vers la gamine qui se démenait à l'insulter aussi fort que possible. Sous l'effet de la rage frustratoire qui s'était emparée de son petit corps, Luce s'était métamorphosée en une affreuse créature décharnée et spectrale, les yeux emplis de colère enfantine, frappant Céleste de toute sa pauvre force par l'intermédiaire des poignées de terre. La jeune femme se faisait violence pour rester passive, ne saisissant pas l'élan qui lui faisait monter des larmes aux yeux autant que des fourmis brûlantes dans les mains. La petite rengaine des hurlements stridents en appelait d'autres, anciennes et plus cruelles, plus brutales ; des réminiscences enfantines au goût métallique du sang sur les lèvres. Des dizaines de petites aux yeux pâles qui bourrent de coups le corps nerveux de Céleste. Luce n'avait plus rien d'attendrissant, d'enjôleur, de tentant. Une copie pâlichonne d'autres tortionnaires minuscules que la jeune femme avait connues, elle n'était rien de plus sous son masque de fantôme rageur.
Mais pourquoi tu restes ici ? Tu n'as donc aucune dignité pour te laisser rabaisser ainsi par une garce de son espèce ? Laisse-moi lui mettre une raclée, c'est tout ce qu'elle mérite, la fiancée du rat !
En un éclair, Céleste bondit sur ses pieds, comme émergeant du cercueil de rage et de terre que la petite Luce construisait autour d'elle avec acharnement. Elle saisit fermement les poignets de la môme et s'agenouilla devant elle afin de pouvoir capter son regard haineux, plongeant ses yeux dans les siens sans parvenir à ressentir la moindre colère, la moindre tentation de perversion violente ; malgré la brutalité maladroite des gestes il n'y avait en Céleste que tristesse et… compassion, ou tendresse peut-être, ce n'était pas le genre d'émotion à laquelle elle était habituée. Malgré la laideur de la petite en pleine crise d'hystérie Céleste refusait de détourner les yeux, qui se remplissaient inexplicablement de larmes abondantes.
— Oui, menteuse, et sale, oui. Je mens quand je te dis que je vous déteste. J'ai peur, juste… vraiment très peur. Et toi ? Tu ne m'as pas encore dit de mensonge depuis que tu es ici ? Tu crois que je suis la seule à blâmer ? Ne lève plus jamais la main sur moi si tu n'as pas envie que je te rende tes coups, parce que moi, je pourrais bien en avoir très envie.
Incapable à présent de soutenir le regard de la gamine, car le sien était brouillé d'humidité, Céleste relâcha ses poignets. Puis laissa tomber sa tête ronde et ébouriffée sur le petit torse au corset éventré, s'attendant probablement à d'autres coups, à d'autres cris et tentatives de fuite, qu'elle était tout à fait préparée à laisser passivement couler. _____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. |
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Céleste Schizophrène

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Ven 13 Juin 2008 | 14:40 |
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Luce levait un nouveau poing rageur vers le ciel lorsque Céleste agrippa son poignet. La fillette, aussitôt, lâcha la poignée de vase qui dégoulina le long de son bras. Ses yeux s'étaient écarquillés, elle attendait le coup qui viendrait punir son insolence. Mais la voix et le regard de Céleste (Luce ne savait pas lire les regards) étaient étonamment calmes.
La grosse tête de Céleste tomba sur la poitrine de l'enfant qui, comme un petit animal farouche, s'écarta brusquement. Le front de Céleste était trop lourd, elle attendait le coup et puis, elle n'avait pas envie. A part Raton, Luce n'avait jamais câliné personne.
— Menteuse, Menteuse, tu mens encore ! cria-t-elle, le visage froissé mais non plus haineux.
— Tu n'as pas peur, les Grandes Personnes elles ont pas peur ! Ici, y'a pas de monstres ! Y a que des poissons et moi, j'ai neuf ans ! T'es rien qu'une menteuse !
Elle renifla, et ses yeux bleus s'emplirent soudain de larmes.
— Moi j'ai pas menti, non, je ne mens jamais ! C'est vrai que j'ai failli mourir ! Et ma Maman, elle fait vraiment la sieste, parce qu'elle est malade ! Et toi aussi, t'es malade, parce que t'es en pyjama et que t'as peur de tout ! _____________ Humpty Dumpty sat on a wall * Humpty Dumpty had a great fall * All the king's horses and all the king's men * Couldn't put Humpty together again |
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Luce Hystérique

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Mar 17 Juin 2008 | 12:36 |
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Le contact tiède de la peau de la gamine contre son front ; réconfort furtif, inconsistant, volé forcément. Elle le savait bien. Alors pourquoi ce putain de sentiment d'abandon venait-il pourrir son esprit ? Qu'espérait-elle, embourbée dans sa crasse et sa niaiserie ; depuis quand on s'attire la sympathie d'un enfant avec autre chose que du miel ? A croire que la gamine était contagieuse, Céleste se sentait de plus en plus stupide et bornée. A nouveau envahie par ce vide intense de n'être à la hauteur de rien, même et d'autant plus agenouillée devant ses démons incarnés.
Laisse-moi prendre ta place ! Au lieu de pleurnicher devant cette petite conne qui te manipule sans que tu ne bouges le petit doigt ! Laisse moi m'en occuper, c'est mon tour !
Dans les oreilles de Céleste résonnent les hurlements stridents, perturbés, inquiets de la fillette, d'où les notes enfantines dénotent d'une émotion fébrile. Malade. Voilà la conclusion indubitable de la môme vexée. Malade comme sa mère, morte comme sa mère, peut-être. Malade à cause du pyjama collé à sa peau, de ses mains brutales qui désirent encore coller au petit cou, malade irrémédiablement à cause des hantises qui collent à chacun de ses mots. Une enfant malade, une enfant menteuse, terrorisée et bien plus faible que l'autre hystérique hurlante ne le serait sans doute jamais. Voilà, elle n'était rien de plus, et son corps boueux et trop grand soudain était celui, muni d'une étiquette indécollable, que l'on embarque pour la morgue.
Laisse-moi prendre ta place ! Laisse-moi prendre ta place, tu es trop faible, tu es trop incapable de quoi que ce soit face à cette morveuse ! Laisse moi faire imbécile, laisse moi… !
Un vertige désagréable s'empara de la jeune femme, suivi d'un grand claquement, semblable à un coup de feu, résonnant sur ses tempes et puis plus rien. Elle releva la tête vers Luce, qui, au bord des larmes, se taisait enfin. Quelque chose avait changé sans qu'il soit possible de discerner quoi, une imperceptible chaleur qui avait soudain coloré les joues de Céleste, et rendu à la silhouette nerveuse de la jeune femme sa force et sa hauteur. Elle se releva et vint se planter devant Luce, un sourire doux et inhabituel sur les lèvres.
— Tu as raison. Je suis une menteuse. Tu m'excuseras ? Je t'ai raconté n'importe-quoi parce que je voulais voir quelle sorte de petite fille tu es… Tu es franche et courageuse, c'est très bien chérie. Ta mère doit être une femme très agréable pour que tu sois aussi mignonne.
Elle tendit une main qui ne tremblait plus vers Luce, son sourire plein de tendresse acide dévorant son visage aux traits comme étrangement défroissés.
— Je ne voulais pas t'énerver. Est-ce que tu veux que l'on joue toutes les deux, pour me faire pardonner ? On pourrait aller pêcher du poisson, si tu en as envie… _____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. |
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Céleste Schizophrène

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Mar 17 Juin 2008 | 14:10 |
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La petite Luce ravala laborieusement ses larmes et observa avec défiance celle qui lui faisait face.
Le changement subit d'attitude de Céleste ne lui plaisait pas. Devant l'autre Céleste, elle se sentait toute-puissante, elle se sentait devant une autre petite fille, ou devant une Adulte qui ne la traitait pas comme une petite fille. Elle avait crié, elle avait insulté, elle avait jeté de la boue sur Céleste, mais, ou peut-être parce qu'elle l'aimait. Luce avait ri à la mort et regardé avec naïveté les aiguilles de Céleste, lorsque celle-ci la méprisait. A présent que Céleste apparaissait souriante, solide, attentionnée, la fillette sentait le danger. Elle n'aimait pas cette nouvelle Céleste. Son sourire condescendant, sa voix calme qui avouait sans complexe le mensonge, comme si ça n'était qu'une bagatelle, comme s'il suffisait d'une flatterie pour se faire pardonner le test immonde auquel elle l'avait soumise. Et elle lui étalait son miel de Grande Personne sur la peau et, comme ça si ça n'était pas suffisant, sur les beaux cheveux de sa maman ! Luce détesta ça, l'offre hypocrite qui suivit, et tout le reste. Mais surtout ça.
Entre tristesse et mépris, elle regarda la main tendue de Céleste, plusieurs secondes, sans un bruit. Puis elle fronça le nez et recula de trois pas.
— Non, je ne veux pas, déclara-t-elle de sa petite voix pointue, intransigeante. Plissés, ses yeux se vrillèrent sur ceux de Céleste.
— Y'a pas de poissons. Tu l'as dit. Y'a que des ssssaloperies.
Elle recula d'un pas encore — acheva enfin : Et puis de toute façon, t'es plus ma copine. _____________ Humpty Dumpty sat on a wall * Humpty Dumpty had a great fall * All the king's horses and all the king's men * Couldn't put Humpty together again |
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Luce Hystérique

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Ven 20 Juin 2008 | 21:38 |
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Le visage gluant d'hypocrisie sucrée de l'autre Céleste se tordit en un rictus désagréable, comme si, sous la peau dont la tiédeur nouvelle lissait un peu les cicatrices, se mouvait un second visage aux expressions contraires. Cela ne dura qu'une fraction de seconde, le temps que Luce aux grands yeux fasse étalage de sa lucidité incontestable et inattendue ; cette misérable poupée de chiffons sanglants avait donc une âme ? Il ne pouvait s'agir que d'un artifice passager et instinctif, c'était inconcevable autrement. Inconcevable, mais néanmoins intéressant. Comme à la chasse, tout le charme ne résidait-il alors pas dans les larmes de la biche pourchassée sans relâche depuis des heures, et que l'on abat avec une délectable satisfaction d'accomplissement personnel ?
— Oh… Tu le penses vraiment, n'est-ce pas ? Je regrette d'avoir perdu ta confiance aussi stupidement. Je voulais juste me racheter en t'aider à trouver de la nourriture, mais tu n'as sans doute plus faim ; et surtout pas envie que je t'accompagne… Pardon, souffla tristement la jeune femme avec une moue de déception.
Puis, trainant ses pieds nus et boueux sur la berge, courbée par la fatigue émotionnelle comme l'aurait été Céleste elle-même ; elle grimpa avec une molle agilité jusqu'en haut de l'arbre d'où elles avaient observé la petite Luce organiser sa partie de pêche. L'autre Céleste dégagea la laine et les longues aiguilles de ses poches, puis entreprit de confectionner une petite chose à l'utilité obscure. Un linceul, peut-être ? Les pensées du double tyrannique allaient à vitesse grand V, et Céleste n'y pouvait strictement rien, confinée derrière le miroir des pupilles glauques. La petite finirait bien par avoir faim. Elle avait beau être maigrichonne, et manquer cruellement du seul attrait que possédait une petite fille : la très avenante tendresse charnelle ; elle n'en était pas moins humaine et son estomac n'allait pas tarder à réclamer. Alors, peut-être — songea l'autre en agitant avec appétit ses aiguilles démesurées — peut-être bien qu'une opportunité s'offrirait à ses pulsions insatisfaites. _____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel. |
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Céleste Schizophrène

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