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Mar 19 Fév 2008 | 19:46 |
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Un soupir ; son stratagème n'avait pas eu la même efficacité qu'auparavant. L'autre était coriace, finalement. Avait-il percé la barrière de ce sourire ? Ou était-il tout simplement trop négligent pour se rendre compte de toute l'importance de cette réaction, ou encore l'avait-il tout simplement interprété différemment, ce qui dénoterait une âme aussi sournoise qu'il se plaisait à penser l'avoir deviné ? Comment comprendre ses paroles autrement que comme une sympathique invitation à ne plus lui casser les pieds et revenir pour une hypothétique rencontre ultérieure qu'il se ferait un devoir d'éviter comme la peste, et certainement pas une incitation à poursuivre cet échange-ci ?
Pourquoi cette question soudaine dans ce cas ? L'homme voulait-il sous-entendre qu'il n'y aurait aucun intérêt pour lui à revenir ? Un piège sans nul doute. Maladroit. Fallom ne doutait pas un seul instant de l'attention qu'on lui portait. C'était bien là le nœud du problème d'ailleurs. Il ne désirait pas qu'ils en apprennent trop à son sujet. Conserver un espace secret, accessible à bien peu de monde sinon personne. Des choses qu'il était le seul à reconnaitre comme des leviers potentiels sur cette volonté qu'il voulait inébranlable.
— Vous ne le désirez pas ?
Qu'allait-il répondre à cela ? Il ne pouvait nier vouloir en savoir plus, étant l'instigateur de la poursuite de la discussion. Et s'il proposait un nouvel échange, cela ne coutait rien de lui en laisser l'illusion. En espérant qu'il s'en contente et ne cherche pas à renchérir par une nouvelle interrogation, un nouveau trait visant uniquement à tester l'épaisseur de ses défenses.
— J'imaginais pourtant que ce serait le cas…
Et ajoutons là dessus un grand regard innocent, peut-être un peu dérangeant avec les cernes monumentales dans lesquelles baignaient ses yeux rougeoyants. Ce serait du plus bel effet n'est ce pas ? _____________
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Fallom Tenk Paranoïaque

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Lun 03 Mar 2008 | 1:29 |
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Le Psychiatre eut un rire discret.
Discret car encore une fois, il n'exprimait nullement l'amertume qu'il ressentait en réalité ; simplement un rire de convenance, destiné à détendre, à rassurer, à transmettre un peu de chaleur.
Amertume, car il savait qu'il commettait une erreur au moment où il l'avait commise, et il avait à en payer désormais le prix. Le soupir de l'interné avait été pour lui une tornade, cette exhalaison de lassitude, dernier souffle d'un lien fragile qui se rompt. Il avait brisé un équilibre précaire, rétabli le doute, l'incertitude, l'angoisse, la méfiance peut-être, chez Fallom. Il n'avait d'autre choix que de poursuivre, alors qu'il avait conclu depuis longtemps que cela n'était pas la solution la plus appropriée. Il les avait placés dans une impasse, et non content d'avoir détruit une partie de ce qu'il avait réussi à tisser avec son patient, il se voyait obligé de continuer à piétiner leurs efforts pour, paradoxalement, rattraper sa faute. Ce qui se solderait dans le meilleur des cas par un retour à la case départ. Et il ne le devait qu'à ses propres travers.
Détente, car il importait d'étouffer l'angoisse dans l'œuf en lui coupant l'herbe sous le pied. Dédramatiser en laissant entendre que le sujet n'était en aucun cas digne de tant d'inquiétudes. Exprimer la surprise, faire entendre qu'on était à des lieues de ce que le patient s'est imaginé. Sans pour autant le tourner en ridicule — la paranoïa est un couloir étriqué dans lequel on rebondit d'un mur à l'autre.
Chaleur, car le spectacle des yeux enfiévrés de l'interné, sa naïveté suintante de souffrance, étaient un spectacle pénible au Psychiatre. Mais n'était-ce pas là sa raison d'être ? Tarir les larmes, assécher les angoisses, souffler cette lueur de désarroi des yeux de ceux qui se sont perdus en eux-mêmes ?
— Je vous reverrai avec grand plaisir, soyez-en certain.
Une remarque courtoise et simple. Trop simple. Sujette à trop d'interprétations. Susceptible de trop d'arrières-pensées. Fallom aurait tôt fait de ne voir que l'hypocrisie et le désir d'en finir derrière ces mots qui, quoi que sincères, ne feraient pas le poids face à la machinerie dissécatoire d'un Paranoïaque. Il fallait frapper fort. Et au cœur de la cible. Répondre aux soupçons d'hypocrisie par une franchise irréfutable.
— Vous ai-je donné l'impression de penser le contraire ? Pour tout vous avouer, je craignais que cela soit vous qui n'y teniez pas !
Finir sa phrase dans un ton musical, transposition du petit rire de tout à l'heure, feindre la légèreté alors que dans ces quelques mots sont emprisonnés des enjeux colossaux. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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Jeu 06 Mar 2008 | 12:45 |
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Au moins avait-t-il compris cela. Il ne se dérobait pas, acceptait les règles mises en place. Pas inintéressante en fait, cette discussion. Et puis, tant qu'à faire, puisqu'on l'observait sûrement constamment, autant en apprendre davantage sur la personne en face, ses faiblesses, pour peut-être parvenir un jour à leur échapper. Pour l'instant, l'apparence était bien trop contrôlée. Juste ce petit sourire. Mais il y en avait peut-être plus.
— Vous craigniez ? Eh bien… Je ne pensais pas avoir tant d'importance.
Petite pique, mais avec un sourire presque sincère cette fois-ci. Il fallait l'avouer, ce jeu commençait à l'amuser tandis que, sournoise, traîtresse, cette petite voix au fond de son esprit sortait progressivement de la bulle dans laquelle il l'avait enfermée. Mais non. Ce ne pouvait être cette homme, la compagnie qu'il souhaitait tant sans vouloir se l'avouer. Quelqu'un pour accepter son univers retranché et les nombreuses restrictions inhérentes. Quelqu'un avec qui converser, partager, rire peut-être sans crainte de voir quelques-unes de ses paroles disséquées, certains de ses gestes critiqués, certains de ses actes jugés.
Celui-ci était trop impliqué dans ce système qui l'oppressait. Sûrement. Avec ce titre sans nom qui suggérait une quelconque responsabilité. Trop de doutes. Cet air sincère pouvait être un masque, ce ton agréable un piège tendu pour le lier. Et pourtant… Pourtant il n'arrivait pas à s'en méfier, ne pouvait percevoir une gêne en l'entendant, comme il en avait l'impression dans de nombreux autres moments. Ces petits accents qui ne résonnaient pas convenablement à ses oreilles, trop… forcés. Des paroles fausses, mais pas à ce moment. La franchise demandée s'offrait, la dissimulation était repartie, s'était enfuie pour trouver d'autres voies, le tromper d'une autre manière. Il croyait, et c'était trop rare dans les rapports qu'il pouvait entretenir avec les autres habitants des lieux. Il ne pouvait s'en aller sans voir où tout cela déboucherait.
— Pour tout dire, oui, j'entretenais quelques doutes. Je vous croyais bien trop préoccupé par vos activités pour en trouver le temps, vu les circonstances de notre rencontre.
N'avouons tout de même pas que ces "doutes" pouvaient alors s'exprimer en ces simples termes : « Laissez-moi tranquille ! »
Bien en contradiction avec certaines de ses envies du moment. _____________
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Fallom Tenk Paranoïaque

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Jeu 06 Mar 2008 | 18:47 |
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Et facta est lux.
Fallom ne manquait décidément pas de ressources. Car ce n'était pas le Psychiatre qui les avait sortis de l'impasse mais l'interné, s'offrant soudainement au dialogue, baissant les armes le temps d'un sourire, une seconde seulement, mais une seconde où son visage s'était éclairé — plutôt, avait recouvré la lumière que filtraient jusque lors les nuages de l'inquiétude. C'était bien Fallom qui avait rattrapé le faux pas du Psychiatre, faisant par-là même un progrès stupéfiant, preuve d'une volonté immense.
La gorge serrée, celui-ci ne put répondre que par un sourire à sa boutade, un sourire tout aussi franc que celui de son patient, désarmé, débarrassé à son tour du poids des faux-semblants, de la frustration ravalée. Il s'interdit de prononcer un mot, craignant qu'en trahissant son contentement il ne réveille la défiance de l'interné. Mais voilà que déjà Fallom poursuivait, sur un ton résolument plus serein, l'entretenant sans ciller de ses disponibilités. Sous couvert de rudesse, l'interné, en reprochant au Psychiatre son manque de disponibilité (supposé), ne faisait que le demander.
Il prit un court instant pour préparer à sa réponse. Poursuivre la conversation impliquait de tout remettre en jeu. Il se devait de suivre le pas de Fallom, hésitant, timide et contradictoire, de ne pas se laisser emporter par son succès, leur succès, ne pas dépasser les bornes fragiles que l'interné repoussait à chaque instant avec un courage infini. Fallom l'avait invité à rester encore un moment, lui avait offert la possibilité d'être entendu. Ne pas la gâcher.
— Mon activité consiste précisément à me rendre disponible pour mes patients — mon devoir m'y astreint par ailleurs. Je suis au service de qui me demande. Quant aux circonstances de notre rencontre, j'en profite pour vous réitérer toutes mes excuses, elles sont le fruit du hasard le plus malheureux.
Une fois de plus, le Psychiatre jouait quitte ou double. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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Ven 14 Mar 2008 | 1:00 |
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Hey ! Vous n'étiez pas censé répondre si vite ! De l'enthousiasme, d'accord, mais pourquoi se précipiter tellement ? C'est comme pour la franchise et l'honnêteté, à trop en donner, ça en devient douteux. Ni d'une, ni de deux, voilà que notre fou replonge dans sa crise, allègrement, s'en allant croiser les jolies sirènes Méfiance, Colère et Prostration dans les eaux desquelles il se noie bientôt, s'étrangle, s'étouffe, succombant à leurs charmes.
Pauvre petit Ulysse, désirant si fort protéger ses compagnons de voyage des perturbations des profondeurs. Il faudra plonger cette fois, les arracher à elles de tes propres mains, si tu décides de ne pas les suivre. L'amertume de cette écume de doutes revient si rapidement. Ne te précipite pas trop tout de même, tu pourrais en souffrir, immédiatement même.
— Partez maintenant.
Le temps d'un battement de cils, les lèvres se sont à nouveau abaissées, les yeux se sont déplissés. Des flots morts au centre de l'oeil du cyclone. Le gargouillement suivant accompagne la fuite. Appel d'air semblable à un grognement affamé, duquel pourraient surgir nombre de tentacules, crocs, griffes, membranes visqueuses prêtes à agripper la nourriture passant à proximité. La force de cette faim pourrait en effet les faire surgir, ou en tout cas nous n'en sommes pas bien loin. Impossible de poursuivre le jeu soudain, c'est trop… gênant. Il se retourne, fait quelques pas rapides vers le couvert des arbres, n'osant trop regarder tous ces fruits sans doute empoisonnés. _____________
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Fallom Tenk Paranoïaque

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Jeu 20 Mar 2008 | 20:22 |
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Touché.
Bien que déçu de la réaction de Fallom, le Psychiatre ne pouvait que se féliciter de son authenticité : son repli précipité était la preuve que l'interné avait été sincère et avait baissé sa garde. Fallom n'avait pas eu peur du Psychiatre mais de lui-même : il avait dépassé ses propres limites, avec un courage stupéfiant. Lui laisser le temps de comprendre ce qui lui était arrivé, de prendre de nouveaux repères. Les Paranoïaques du genre de Fallom étaient incapables d'avancer dans le noir avec une lampe torche. Il fallait qu'ils voient et sachent tout, tout de suite. Il fallait des projecteurs aux quatre coins de la pièce avant d'y poser un pied. Explorer ? Pas question. Un Paranoïaque sait tout ce qu'il y a à savoir.
Si le Psychiatre avait été un stratège froid et calculateur, il serait en effet parti. Lancer un au-revoir audible et dénué de rancune, laisser l'interné ruminer les derniers instants quelque temps, livré à sa solitude, dédramatiser, rejouer les scènes, en faire la synthèse et le bilan, en extraire la sève, la distiller selon sa recette, et enfin réaliser, avec plus ou moins de remords, son emportement. L'interné avait besoin de ce temps, de ce délai pour assimiler les derniers échanges, traverser le, ou plutôt les chocs de cette courte entrevue.
Mais le Psychiatre était joueur. Non pas qu'il aimât prendre des risques, surtout pas avec ses patients. Fallom avait fait montre de ressources insoupçonnées : qui savait ce dont il était encore capable ? Le Psychiatre n'était ni un stratège, ni un imprudent. Le Psychiatre avait pour devoir de mettre en œuvre tout ce dont il était capable pour le bien de ses patients. Le Psychiatre avait encore une carte à abattre. Et le Psychiatre était un homme de parole.
Il lui fallait donc jouer serré. Braver l'interdiction de Fallom, aller au-devant de lui, sans lui laisser le sentiment d'une intrusion, d'une agression, d'une perquisition de son intimité déjà trop mise à nu. Le Psychiatre pouvait fournir à son patient une garantie de son honnêteté, une preuve flagrante de sa loyauté. Abattre sa dernière carte et partir, laissant à Fallom tout le loisir d'en faire l'usage qui lui convenait. Il se dirigea calmement vers l'interné, le rattrapa et posa sa main sur son épaule (qu'elle était maigre et dure ! Le Psychiatre sentait dans ces angles l'expression directe de la souffrance de l'interné), restant derrière lui :
— Fallom, je ne peux pas partir sans vous faire savoir une dernière chose : vous avez le don de vous rendre invisible — du moins il m'a semblé que vous l'ignoriez. Vous apprendrez à la maîtriser au fil du temps. J'espère qu'il vous rendra service. A bientôt. J'espère vous revoir.
Il tourna les talons et s'en fut sans hâte, ne s'attendant pas à ce que l'interné lui réponde — mais qui pouvait savoir ce dont Fallom était réellement capable ? Le Psychiatre avait toutes les raisons d'espérer des progrès rapides pour ce patient. Pour l'heure, il pouvait le quitter sans sentiment d'échec ou d'inachevé. Il avait abattu sa dernière carte. _____________ Seul qui se perd entier est donné à lui-mêmeStefan Zweig |
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Le Psychiatre

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Ven 28 Mar 2008 | 0:35 |
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Une main sur l'épaule. Depuis combien de temps personne ne l'avait touché volontairement ? Longtemps, très longtemps… Trop longtemps ? Sans doute. Son sang se fige, son souffle cesse de circuler brusquement. La suffocation le guette.
Respirer.
Les mots arrivent, empêchent le volute d'air emprisonné dans ses poumons de ressortir, obstruant le fil de ses pensées. Cela n'avait pas de sens. Impossible. Il aurait du s'enfuir plus rapidement. Ne pas se laisser tenter par la curiosité de voir si on le retiendrait et être maintenant soumis à un affreux dilemme. Il n'y avait aucune raison logique à cette révélation. Aucune raison d'y croire. Et aucune manière de le vérifier si toutefois on le croyait sans se mêler volontairement à d'autres.
Cruel.
Il s'était ouvert oui, et le voilà maintenant piégé. On avait profité de ses failles pour le bruler à vif, déchirer son âme à défaut d'emprisonner son corps. Une torture bien plus effroyable que ce qu'il avait imaginé. Nul besoin de substances chimiques, d'usage de force brute, de cette série de traitements physiques à n'en plus finir qu'il avait pressenti. La sincérité avait fait bien meilleur appât, et le piège s'était refermé, laissant les derniers doutes pourrir au centre de la désillusion.
Le fou s'enfuit au moment où on le relâche, sans un regard en arrière, une nouvelle obsession en tête, qui le poussera à bien des changements. Une seule question : et si c'était vrai ? _____________
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Fallom Tenk Paranoïaque

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Sam 05 Avr 2008 | 11:22 |
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Le Psychiatre

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