Moins grande qu'on serait tenté de l'imaginer, la bibliothèque foisonne de rayonnages disposés de manière incompréhensible et où s'entassent pêle-mêle livres, disques, ordinateurs, télévisions, phonographes… et bien d'autres supports et ustensiles dont le mode d'emploi reste introuvable.

Au détour d'une pile d'ouvrages poussiéreux, un couloir discret dans lequel sont réparties avec régularité des portes opaques d'où ne s'échappe aucun son : les salles de projection. Nul n'a jamais élucidé leur fonctionnement : sans écran ni projecteur, murs, sol et plafond restituent une ambiance aux limites de l'hallucination. Rêves ? Souvenirs ? Les objets eux-mêmes semblent y acquérir une vie propre, comme si eux aussi pouvaient conter leur histoire. Fait singulier, les plus assidus n'y verront jamais deux fois la même chose, comme si chaque scène se trouvait chaque fois enrichie par celles lui succédant, perméable à chacun de ses spectateurs.

Une theorie voudrait que tous les univers imaginables y soient représentés, fragments d'une mémoire vivante et agissante meublée à l'aune des constructions mentales des internés, se nourrissant de leurs souvenirs aussi bien que de leurs fantasmes, pillant l'imaginaire conscient comme inconscient de ses usagers. Pour d'autres en revanche, les songes des internés seuls ne suffisent pas, et de loin, à expliquer l'hétérogénéité des scènes qui s'y déroulent, non plus que leur prégnance : bien qu'imprévisibles, elles visent toujours, en un certain sens, dans le mille.