L'eau était à peine tiède. Je tournais les robinets sans comprendre lequel était le chaud et lequel était le froid, ni dans quel sens ouvrir ou fermer. J'attendais depuis longtemps déjà, le regard rivé sur la paroi du fond à travers l'eau qui coulait, me perdant dans les motifs incompréhensibles des fissures du carrelage blanc. Et plus je les regardais plus ces lignes noires me semblaient menaçantes, comme si elles traçaient un dessin ambigu, du genre de ceux dans lesquels on peut voir plusieurs choses, un canard, un lapin, un cygne, un éléphant. Je m'efforçais en vain de le déchiffrer. Si je n'y trouvais pas de sens ce n'était pas parce qu'il n'y en avait pas, c'était parce qu'il y en avait plusieurs et que mon esprit n'arrivait pas à faire le point sur un seul à la fois. Et puis la solution, pourtant évidente : c'était parce que je n'avais pas trouvé la bonne température pour l'eau. Si j'arrivais à régler les robinets correctement, le message m'apparaîtrait.
Je devais repartir de zéro. J'essayais de fermer les robinets mais j'avais beau les tourner sans fin ça ne faisait aucune différence. Je changeais de sens, tournais pendant une éternité, sans résultat. Le clapotement des gouttes sur le fond se changeait en mélodie. Puisque je n'avais pas réussi à voir, j'essayais d'écouter. C'était des sanglots que j'entendais. Et tout à coup le dessin, enfin visible : le personnage du cri de Munch, comme tracé au fusain sur la faïence. Mais avec des dents de requin comme dessinées par un enfant, juste des zigzags. Dans ses yeux vides, pas de peur. Pas de la haine. De la faim. À peine avais-je aperçu le dessin qu'il commençait de disparaître, pas en s'effaçant mais en coulant, comme des larmes d'huile noire, qui se mélangeaient à l'eau, la noircissant et la faisant monter. L'évacuation entre mes pieds avait déjà disparu sous une flaque d'encre sans reflet. Je reculais vers le bord.
- Hé !
Je tournais les robinets de plus belle, toujours sans effet. Le clapotis de l'eau s'intensifiait au contact de la flaque grandissante, les sanglots devenaient plus perceptibles. Incapable de couper l'eau, je me retournais pour sortir. Un autre mur de faïence blanche. Je refaisais demi tour. Toujours le même mur. J'hésitais à me retourner une fois encore. Le niveau de l'eau avait atteint mes chevilles.
- HÉ !
J'avais froid. Seuls les sanglots me répondaient.
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Avec l'insomnie, plus rien n'est réel.
Tout devient lointain, tout est une
copie d'une
copie d'une
copie.