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L'Asile
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Frottements

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Message Ven 06 Mar 2009 | 23:15  Répondre en citant

Ce passage a été bien moins fracture que le premier. Cette fois-ci, l'intrusion a été infime, délicate. Staccato l'a prise comme une preuve incontestable de son bannissement. Il est à présent de cet endroit-ci, dont il ne connaît rien. Les pierres blanches et moussues n'existeront plus que dans les quelques moments où il rassemblera

quoi ?

où il se rassemblera suffisamment pour un petit voyage, touriste triste et allitérant.
De sa démarche chaloupée, l'homme avance dans la petite bâtisse de pierre. Les vitraux prisment la lumière. Les rayons mutilés, en sept, toujours en sept, forment des rosaces agonisantes, qui sont plutôt jolies, à bien y regarder. Staccato avance lentement. Le fantôme de ses pas en écho emplit, seul, le vaste silence de l'édifice. Gothique, soufflent des connaissances poussiéreuses. Gothique forcément. Le roman ne conviendrait pas ici. Trop simple, trop rond, trop solide, trop là. C'est tant mieux. Staccato est bien plus flèches minérales délirantes que laborieux clochers.

Asthme en dépression atmosphérique. Le vent agite des feuilles à peines racornies, en un délicieux froufrou végétal, que la pierre disloque, comme le vitrail avec la lumière.
Echo des pas, bruissement des feuilles, ligne de basse et percussions. Gracile, d'abord, la voix de Stacatto s'élève, gagne en puissance, dans un air sans paroles, brisé lorsque l'air cesse de mouvoir les branches et coupe la sono naturelle.

Un bout de bois mort traîne sur le dallage fissuré. Entre les doigts un peu blêmes du voyageur, elle se fait symbole du chef d'orchestre de cette — si bien nommée — pastorale.
La symphonie s'élève, retombe en cascades tandis que les minutes s'égrènent. Lentement, Staccato baisse sa baguette. Les éléments ne jouent plus que leur air propre, l'unité a disparu. Satisfaction, la mélodie était parfaitement réussie. Ne manquait qu'un public.

Apaisé, l'homme s'assoit sur l'un des bancs. Et le temps, toujours fugace, reprend son vol.

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Penchons-nous sur le néant : la fin de toute fiction personnelle.
Staccato
Autiste


Message Sam 07 Mar 2009 | 19:43  Répondre en citant

Un public, il s'en trouva un, et ce bien que Staccato n'en eût pas eu conscience. Le Psychiatre, en même temps qu'il se reprochait son voyeurisme, s'en réjouissait : le spectacle déployé par l'interné n'en avait été que plus authentique, plus intime. Aux mouvements malhabiles mais décidés du chef, il avait tenté de se représenter la pulsation lente, intemporelle, des éléments qui semblaient plus dicter sa sarabande à l'Autiste que l'inverse. Les chants et contrechants s'entremêlaient dans la lumière chiche des vitraux par trop affadis, et l'on n'eût pu distinguer, encore une fois, si l'interné la dirigeait ou s'il suivait simplement, depuis son humble position, les circonvolutions oisives des paillettes de poussière sous les voûtes, et ses gestes en accéléraient encore les tourbillons, et chacun des deux danseurs pressait toujours son compagnon, sur un rythme pourtant plus doux que le soupir de l'herbe se couchant sous le poids du vent, le poids du temps, l'écrasement de l'éternité.

Le Psychiatre n'osa pas applaudir, trop soucieux de préserver le silence fragile qui venait seulement de se faire. Il quitta la porte qu'il avait précautionneusement refermée dans son dos et se dirigea avec lenteur vers le banc qu'occupait l'interné, faisant sonner ses pas afin de s'annoncer déjà. Parvenu à sa hauteur, il s'assit cérémonieusement à l'autre extrémité du banc, avant de commenter sobrement :

— Quelle interprétation audacieuse, et si pleine de vie !

Tous les sens en alerte, il tentait de s'interdire de trop conjecturer des réactions de son nouveau patient — car l'aisance avec laquelle il s'était approprié l'espace n'était en rien synonyme de familiarité, au sein d'un asile.

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Seul qui se perd entier est donné à lui-même
Stefan Zweig
Le Psychiatre



Message Mer 11 Mar 2009 | 17:28  Répondre en citant

Le Verbe. Staccato n'a pas subi sa blancheur vitriolée depuis un moment. La douleur, comme il l'a craint deux inspirations, ne surgit pas. De l'autre côté, les voix se déroulaient, riches, profondes, lovées dans des kilomètres de tissus soyeux. Mais où donc étaient les mots ? Il n'y avait aucun sens à y revenir. L'exil rend ignorant, voilà toute la vérité. Les prunelles de l'homme fixent les effets du son. La voix en face de lui s'est déployée, terrestre, recouvrant le sol de pierre de cet humus, avant-garde de la végétation.

Staccato est poli. Et Staccato se rend compte qu'il ne serait pas très convenable de prolonger ce silence. Après tout, l'autre s'est contenté d'un commentaire, agréable, qui plus est. Aussi la tête se penche-t-elle sur le côté et les iris se rétrécissent-ils en un sourire amène. Enfin espérons-le. Les paroles, à présent, s'amoncèlent au bord des lèvres. Les deux parois de chair se maintiennent quelques instants immobiles, pour le plaisir de sentir le bouillonnement des sons à venir, le vertige des possibles. Lorsqu'il aura brisé le silence, Staccato condamnera tant de choix au néant…

Je vous sais gré. Mais ça n'était qu'une fantaisie impromptue vous savez. L'audace… s'est lovée dans un ailleurs que j'ai perdu. C'est dommage. Je vous l'aurais bien montrée.

Cela fait-il si longtemps ? Staccato, ta narration te parle, t'ordonne ! Où donc sont passées tes bonnes manières ? Celles qui faisaient ton charme un peu suranné, en société ? Au nom de cette première rencontre, je t'ordonne de les ressortir à la lumière ! Oui, je me fous complètement qu'elles soient poussiéreuses ! Non mais !
Staccato, donc, incline la tête, portant la main au chapeau qui s'y trouve, à sa grande surprise, commodément perché.

Cet endroit balaye bien des angoisses. Sommes-nous ici chez vous ?
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Penchons-nous sur le néant : la fin de toute fiction personnelle.
Staccato
Autiste


Message Ven 20 Mar 2009 | 20:37  Répondre en citant

L'Asile était-il sa demeure ? Etonnamment, la question méritait que l'on s'y penche. Le Psychiatre y vivait, il y officiait, il en faisait partie intégrante, oui, il y était chez lui. Toute sa vie se serait donc trouvée ici ? Un vertige le saisit tandis qu'il cherchait à remonter les rails de sa mémoire. Il n'avait jamais véritablement eu l'occasion de se poser la question, voilà si long qu'il vivait dans l'Asile, qu'il lui semblait n'avoir jamais connu d'autres mondes. Et si c'était vrai ?

— Vous êtes ici chez vous.

Après tout, la question importait peu : d'où venait-il, et comment, il était là, et là pour ses patients. L'Asile était là pour eux, et non pour lui. Que d'angoisses, oui, mais cathartiques !

— Je vous souhaite d'en retrouver la source.

Et lui, quels mondes avait-il visités avant celui-ci ? Où avait-il abandonné sa raison, son bonheur, son histoire ? Le Psychiatre tenta de se garder de conjecturer à son sujet, de garder intact le plaisir de la découverte. Serait-il Mélancolique ? Autiste ? Paranoïaque ?

— Peut-être aurais-je le plaisir de vous voir diriger con fuoco.

Il se laissa aller à imaginer le spectacle silencieux qu'aurait pu donner l'interné, faisant danser la poussière comme le vent les feuilles mortes, sous le soleil orangé d'un soir clair d'automne embrasant les vitraux, filant au ras du sol en scandant des arcanes, emportant dans son tourbillon, trop doux même pour coucher l'herbe, ces prières jusques aux cieux.

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Seul qui se perd entier est donné à lui-même
Stefan Zweig
Le Psychiatre



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