Il avait fermé les yeux en entrant dans la verrière, afin de ne pas croiser son reflet dans l'un des innombrables miroirs de la pièce. Il avait désormais l'habitude de ne plus s'introduire dans la verrière sans s'être préalablement masqué le regard, le seul lien qui reliait sa réalité à cette réalité.
Angus avait de trop nombreuses fois échangé sa place avec le Croquemitaine de par le passé, ne pouvant qu'apercevoir de loin les ravages de son ténébreux ami.
Il se souvenait de son arrivée à l'Asile, sans pour autant se rappeler d'où il venait exactement. La seule chose dont il était sûr, c'était que son précédent lieu de résidence lui avait fortement déplu.
Le film de sa vie défila à l'envers sur ses paupières fermées, revenant à ce moment précis, son arrivée…
Le silence régnait alors dans la verrière, conférant au lieu, déjà inquiétant, une atmosphère bien plus opressante. On aurait pu entendre un grain de poussière se soulever. Le soleil arrivait à son crépuscule, et l'un de ses rayons ne tarda pas à frapper le toit de verre de la pièce, s'éclatant en une myriade d'autres, qui vinrent frapper plusieurs miroirs.
Enchaînant un tracé complexe, les rayons se croisèrent et s'entrecroisièrent, rebondissant chaque seconde sur de plus en plus de miroirs, jusqu'à rendre la lumière à l'intérieur de la verrière insoutenable. Puis les rayons convergèrent tous vers un seul miroir, le frappant dans une même offensive.
De la fumée s'éleva alors que le miroir se consumait, poussant un cri à déchirer le coeur. Oui, le miroir hurlait à la mort, un cri à la fois humain et inhumain, un cri indéfinissable tant il semblait empli de douleur. Le miroir se mit à vibrer alors que la trace de charbon qui s'étendait depuis la concentration de rayons lumineux semblait prendre forme et se mouvoir dans une expression torturée et cambrée.
Plus la tache grossissait, plus le cri devenait puissant et insoutenable. La tache avait désormais pris la forme d'un homme qui semblait à peine rentrer dans le cadre. On aurait dit une ombre à travers un rideau.
Puis le soleil descendit encore un peu à l'horizon, rompant l'angle nécéssaire à l'illumination de la verrière. Le rayon lumineux disparut soudainement, ne laissant qu'un miroir vibrant toujours affublé de cette ombre hurlante.
Puis le miroir éclata, faisant voler du verre jusqu'aux coins les plus éloignés de la vaste pièce. La verrière semblait prise dans une tempête de neige. Dans l'encadrement de ce qui n'était désormais plus qu'une infinitésimale quantité de verre pilé, se tenait un homme recroquevillé sur lui-même, haletant comme après un effort considérable, tremblant de toute part, vêtu d'un haut de forme sombre, d'une redingote, d'un pantalon à pinces taillé sur mesure et de belles chaussures noires parfaitement cirées. Lorsqu'il releva la tête, un observateur aurait pu apprécier les traits fins du nouveau venu qui semblait en pleine force de l'âge — un visage qui plairait très certainement aux dames…
Le nouvel arrivant avait regardé ses mains, comme s'il les voyait pour la première fois, s'était tâté, comme pour s'assurer qu'il était bien réel, puis avait caressé son visage, y cherchant visiblement d'autres traits que ceux qu'il pouvait sentir.
Un rire mauvais avait alors parcouru la pièce, parcouru chaque miroir, y laissant un léger tremblement. Angus avait suivi du regard le rire qui se déplaçait et avait pu apercevoir tantôt un bout de redingote, tantôt un pied fuyant. De l'autre côté, on se jouait de lui.
Puis il n'y eut plus rien, le silence retomba soudain, laissant une impression de malheur à venir.
Du fond de la pièce, comme de tous les miroirs, s'éleva une voix, ricanante, aiguë et désagréable.
— Intéréssant… Vraiment, très intéréssant… Je ne t'en croyais pas capable, mais il semble que tu ai enfin réussi à nous séparer…
Nouveau rire malsain et hystérique.
— Je vais donc devoir ruser pour reprendre la place que tu m'as dérobée en pénétrant ce monde…
Un bruit de pas se fit entendre, alors qu'une forme sombre, de la même taille qu'Angus, apparaissait dans le miroir face à lui, se rapprochant, dévoilant au fur et à mesure un physique ingrat, en totale adéquation avec celui de l'homme qu'il était. Maigre et noueux, une peau diaphane où saillaient les veines et les os, une longue chevelure raide et d'un blanc nacré, un visage hideux, sans yeux, rien que deux orbites vides, deux fentes pour les narines et un sourire carnassier aux dents pourries.
Qand le regard des deux reflets se croisa, il y eu un moment de blanc, avant qu'Angus ne se relève, le sourire aux lèvres, une lueur mauvaise dans les yeux. Dans le miroir, frappant de toutes ses forces contre la paroi sans pour autant la faire vibrer ne serait-ce qu'un peu, le personnage hideux avait disparu, remplacé par Angus…
Qui était donc la personne qui avait quitté la pièce sans un regard en arrière, d'une démarche souple et dansante, faisant tournoyer sa canne ?
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Au-delà du reflet, Il attend son heure, patient et déterminé...