Un chemin vaut l'autre
De l'autre côté du miroir
L'Asile
FAQFAQ  RechercherRechercher  FamillesFamilles  DossiersDossiers  S'inscrireS'inscrire
ProfilProfil  Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés  Enfiler sa camisoleEnfiler sa camisole

Cavino Royale

Ouvrir un nouveau dossier  Compléter le dossier   L'Asile > Les caves
Message Lun 23 Juil 2007 | 0:29  Répondre en citant

Sophie observait patiemment le bout de chou. Le petit Autiste, car il ne pouvait s'agir que d'un Autiste, lui parut tout d'abord drôle — mais son attendrissement laissa peu à peu place à un désarroi inquiet. Qu'est-ce que c'était que ce manège étrange ? Voilà qu'il gazouillait comme un pinson, monosyllabique et métronomique, macaque maniaque, mystique sans chic, perroquet toqué, perruche nunuche, mainate névropathe.

Il allait la ralentir. Elle avait eu une mauvaise idée, il ne lui serait d'aucun secours. Pourtant il était si mignon, là, à bisouiller les murs… Mais l'urgence était ailleurs. Il fallait qu'elle revienne de cette mission avec quelque chose. Elle voulait rapporter quelque chose à sa Famille à qui elle devait tant, qui méritait qu'elle réussisse. Elle voulait que sa Famille soit fière d'elle. Elle se rajoutait une contrainte avec le petit bout. Sophie le regarda avec indulgence et retourna à son plan.

Le plus simple était de recommencer une autre carte, qu'elle ferait concorder avec la première ensuite. Le papier lui était compté, mais c'était la solution la moins risquée. Elle sortit ses affaires de son sac, jetant de temps à autre un œil au petit… elle ne savait toujours pas son nom.

Elle posa sa feuille et tenta une fois de plus d'obtenir quelque chose de cohérent du petit Autiste :

Comment tu t'appelles, dis ? C'est quoi ton nom ?

Elle hésita, mais à quoi bon avoir des scrupules au fin fond des caves ?

Moi, c'est Sophie, enchaina-t'elle en posant ridiculement la main sur sa poitrine. Elle répéta son geste : Sophie.

_____________
La mort est le plus profond souvenir.
Ernst Jünger
Sophie Lefèbvre
Mélancolique


Message Mer 25 Juil 2007 | 21:47  Répondre en citant

Leur relation continuait ainsi sur de rares registres de tons, anodine et grave, bondissante ou stagnante, lyrique et prosaïque. Leurs gestes, leur attitude, leur disposition l'un pour ou envers l'autre expiraient du moins l'estime et le goût, sinon le penchant paradoxal, curieux et invraisemblable d'un enfant pour une femme et, peut-être, d'une femme pour un enfant.

Tantôt Béla l'avait consultée de la même façon que nous regardons un phare sur la mer calme ou l'Étoile polaire sur la mappemonde du ciel.

Quand Sophie traçait une carte, Béla la connaissait déjà, toute tracée. La même carte. Pas exactement la même, non, seulement l'idéal d'une carte : celle, la carte, qui indique le chemin, pas le bout du chemin, mais le chemin. Du moins pour un temps. Chemin d'un instant précis, déterminable en lieu et en période. Chemin d'ici et de maintenant.

Alors quand Sophie traçait une carte, Béla regardait Sophie et voyait la carte, sa carte comme une quête métaphysique, comme une brève épopée d'une seconde figée pour toujours ; il voyait Sophie, et cela suffisait pour savoir où il se rendait.

Elle communiqua avec lui, accoucha d'un nom : Sophie. Cette Sophie dont les syllabes câlines l'émouvaient, cette Sophie à l'âme féconde, était-ce bien elle ? Ne mentait-elle pas ? Était-ce la vérité ? Car la vérité était si proche du mensonge, ici, qu'il ne croyait à peu près plus en la signification des mots, à leur outrance, à son infortune. Les mots n'obtenaient de sens que lorsqu'on croyait en eux comme en Dieu. Or, Béla ne croyait ni en l'un ni en l'autre.
Si seulement croire venait comme naître, si seulement croire avait été facile !

Sa paume fut posée modestement sur sa poitrine et, rougissant, il lui dit son nom. C'était sorti d'entre ses dents aussi clairement que ce l'aurait été dans un concours d'orthographe.

Puis, coup de théâtre, coup d'éclat, souffle coupé : Béla tendit sa main vers Sophie, sa main suspendue à la fois dans l'air et dans le temps, sa main tendue pour une poignée de mains.

_____________
ee um fah um soo
foo swee too eem oo

Virginia Woolf
Béla
Autiste


Message Mar 31 Juil 2007 | 3:09  Répondre en citant

Béla ! C'est un joli nom ! répondit-elle dans un sourire en lui serrant très solennellement la main.

Quel plaisir d'avoir enfin brisé la glace ! C'était comme s'il lui avait dit maman pour la première fois… Voyons, Sophie, qu'est-ce c'est que ces histoires ? Mais elle ne pouvait s'empêcher de se sentir terriblement flattée par le geste du petit Autiste, par ses joues empourprées, par son regard franc et confiant. Ne se laissait-elle pas plutôt berner par ces yeux sombres et les consonances si familières de son prénom ?

C'était maintenant que tout se jouait.

Ecoute Béla, je suis ici parce que je dois dessiner une carte de la cave, commença-t'elle lentement. J'ai déjà commencé, tu vois ? Elle lui tendit le papier.

Est-ce que tu veux qu'on continue ensemble, ou est-ce que tu veux qu'on cherche la sortie ?

C'était totalement stupide, et très irresponsable. Mettre en péril son projet pour un gamin qu'elle connaissait depuis quelques instants, gâcher le stratagème déployé pour la faire entrer sans être vue dans le réseau souterrain, revenir bredouille, au nom de quoi ? Elle rentrerait bredouille, fripouille, grenouille, serait disgraciée, n'oserait plus se regarder dans un miroir après une telle injure à sa Famille.

Mais les choses sont parfois ainsi : on se découvre des devoirs plus fondamentaux encore que les engagements qu'on a passés avec soi-même.

_____________
La mort est le plus profond souvenir.
Ernst Jünger
Sophie Lefèbvre
Mélancolique


Message Mer 01 Aoû 2007 | 16:04  Répondre en citant

Il ne comprit jamais ce qui lui avait pris, mais il eut un coup d'espoir. Ce n'était pas qu'il cherchait à se caser, il se trouvait encore beaucoup trop jeune pour avoir une relation stable avec une femme. Surtout que Sophie était un peu plus âgée que lui, et que ça aurait peut-être été vu d'un mauvais œil par les voisins.
Déjà, qu'ils soient toujours ensemble, c'était louche. Béla ne voulait pas que Sophie se fasse accuser d'être une mère poule, ça lui était déjà arrivé avec sa maman et il s'était dit que plus jamais, ah non ! plus jamais ça arriverait !

Sa maman ? Quelle maman ? Ce souvenir-là s'était envolé aussitôt arrivé. Un fugitif de souvenir.

Il fallait maintenant penser à l'avenir. Toujours l'avenir, avec les grands. Ils parlaient toujours, ne savaient pas s'arrêter. Ils aimaient les mensonges, car leurs mots en étaient tous.
Béla, lui, ne connaissait pas les mots. Ou très peu. Il attendait de bien les connaître, de les apprivoiser avant de les employer. Les grands, eux… ou étaient-ils si vieux qu'ils avaient déjà apprivoisés tous ces mots ?
Ses yeux s'ouvrirent grand grand grand !

L'espoir, ça doit être un truc très fort, parce que Béla en avait le cœur pêle-mêle comme sa chambre et l'âme éparpillée.

Il bondit en apercevant la carte, et la contempla attentivement. Une belle carte ! Pure, blanche, immobile sur le papier, elle n'avait rien des cartes ordinaires. C'était la plus belle carte du monde. Peut-être était-ce parce que, justement, elle n'était pas complétée. Et Sophie, sa belle Sophie voulait la remplir ? Béla sourit avec indulgence. Quelle drôle d'idée !

Elle avait employé le terme : dessiner. C'était faux. Dessiner, c'était autre chose. C'était naïf. Vrai. Ça faisait travailler l'imagination. Le dessin était une voie de savoir, c'était la route de la vie. De plus, elle lui avait donné deux choix identiques : dessiner la carte et chercher la sortie étaient une seule et même chose. Ah, les grands !

Béla lui dit : En-semble, et glissa ses doigts entre les siens. Décidé à apprendre. Dans tous les sens. À apprendre sur lui-même et sur Sophie, et à apprendre à cette dernière ce qu'étaient à la fois une carte, un dessin et une sortie.

_____________
ee um fah um soo
foo swee too eem oo

Virginia Woolf
Béla
Autiste


Message Sam 18 Aoû 2007 | 21:31  Répondre en citant

La sensation de cette petite main chaude fouillant dans la sienne, la musique de ces quelques syllabes hésitantes, le spectacle de cette petite chose adorable cachée sous son taillis brun eurent raison de Sophie. Béla serait son protégé, son petit frère, son chérubin, elle lui apprendrait, le maternerait, l'accompagnerait, l'aimerait comme son sang, chair de sa chair, fils de sa fille et couleur de ses paupières… Voyons, Sophie, voyons, ça ne va pas recommencer…

Et pourquoi pas ?

Peut-être que si elle s'en occupait assez tôt, s'il apprenait à la connaître, à la comprendre, il finirait par lui accorder un peu d'attention, par l'estimer, pourquoi pas l'aimer enfin à son tour, peut-être que… peut-être que cette fois ça marcherait ? Peut-être qu'elle aurait ce qu'elle méritait, peut-être qu'elle serait récompensée pour ses efforts, qu'elle ne serait pas obligée de le supprimer, peut-être que cette fois serait la bonne ?

Elle referma ses doigts autour des siens. Pour toujours, pensa-t'elle.

D'accord, on y va alors ! Et si je me trompe, tu me corriges ! Elle se leva avec un large sourire. Par où commencer ?

Elle étudia sa carte un instant, hésitante. Et puis après tout, peu importe par où elle commençait, puisqu'elle devrait tout voir, tout explorer, tout reproduire ! En avant ! Mais son pied resta suspendu en l'air, figé entre deux pas, entre deux eaux, entre deux battements d'ailes, de cils, de paupières, de cœur, ah, paix cinq minutes !

Un long hénissement cavalcadait dans les galeries, sautant de paroi en paroi, rebondissant aux intersections pour mieux galoper vers eux, dans un grand bruit de sabots entremêlés.

Elle ne prit pas le temps de réfléchir. L'instant d'après, Béla était derrière elle, la carte était rangée et la torche désormais éteinte avait cédé la place dans sa main à la rassurante clé à molette. Qu'on s'avise un peu de menacer son fils !

_____________
La mort est le plus profond souvenir.
Ernst Jünger
Sophie Lefèbvre
Mélancolique


Ouvrir un nouveau dossier  Compléter le dossier   L'Asile > Les caves Page 2 sur 2

 
Aller à la page Précédente  1, 2


Développement : phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Environnement et design : La Direction © Crédits et remerciements
Traduction : phpBB-fr.com