Le Jardinier arbora une grimace consternée. Le grotesque avait laissé place au désœuvrement et au dédain les plus flagrants. Il laissa son supérieur s'épancher à loisir tout en prenant un sandwich contenant une couche monstrueuse de pâte à tartiner à la noisette (ne faisons pas de publicité inutile) ; il mordit allègrement dedans, paraissant ne pas écouter un traître mot du discours qu'on lui assénait avec autant de vigueur.

D'une voix effroyablement calme, il répondit :

— De toute façon, tu sais bien que tout est toujours de ta faute. Moi, quoi que je puisse faire…

Haussement d'épaules, grand mouvement de bras, petite toux sèche.

— J'en ai bien rien à faire du temps car… je réapparais toujours, sous une forme ou sous une autre…

Et enfin, il engloutit sa collation, s'esclaffa à en pleurer, se roula en boule sur le sol avant de se redresser, promptement, comme si de rien n'était.

— Soyons sérieux, tout ceci est à pleurer de rire, non ? conclut le Jardinier avec un aplomb terrible.

L'impatience commençait à gagner le Directeur. Il étendit sa soutane devant lui, la replia lentement, en deux, puis en quatre, avant de la replacer sur ses genoux, fidèle. Elle. Machinalement, il tapotait de l'ongle sur la table, et, à chacun des tacs de son auriculaire, une nouvelle tasse, parfaitement identique à celle qu'il avait suscitée plus tôt, venait s'empiler sur ses prédécesseurs. La pile s'allongea au rythme cadencé, accéléré du martèlement du doigt de la main du bras du Directeur…

Vacilla…

Celui-ci cligna plusieurs fois des yeux, puis, s'apercevant de la présence de l'échafaudage de porcelaine, se leva, déplia sa soutane, la replia précautionneusement avant de la poser sur sa chaise, fit lentement le tour de la table, prit la tasse la plus haute, la posa sur la table, l'anse perpendiculaire au bord de la table, prit la deuxième tasse, l'aligna avec la précédente, l'anse perpendiculaire au bord, prit la troisième tasse, la cala en harmonie avec les précédentes, l'anse perpendiculaire au bord, prit la quatrième tasse, la cinquième, et, l'une après l'autre, les disposa mieux que ne l'aurait fait une machine, parfaitement perpendiculaires, parfaitement alignées.

Il retourna vers sa chaise, prit sa soutane, la déplia, s'assit, la replia, la reposa sur ses genoux et regarda le Jardinier finir son sandwich en silence. Comment faire comprendre à cette mule l'importance de la situation ? A l'abri de tout, concerné par rien, le Jardinier se riait de toutes ces intrigues. Il se riait que cela lui retombe ou non dessus. Comment lui faire entendre que cette fois, on ne riait plus ? D'ailleurs, pourquoi riait-il ?

— Pourquoi ? l'apostropha-t'il plein de sollicitude.