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Mer 01 Aoû 2007 | 22:51 |
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Lentement, Valéria faisait route vers les grilles sans prêter attention aux histoires de cercueils du disjoncté. Et, l'un dans l'autre, tout alla bien.
Au début.
Il y a des jours où réellement, on le répète, il ne faut pas se lever. Il y avait eu le jour de son examen de philo, l'année passée. Le jour où elle avait plaqué son petit ami. L'enfoiré. Le jour où… Non, pas ce jour-là. Il n'avait rien à faire ici, maintenant, dans sa tête.
Non. Car aujourd'hui, ce qui l'attendait semblait bien pire. Et pourtant, une réminiscence puante de coup monté lui revint automatiquement, lorsque, après une trentaine de mètres parcourus, elle releva ultimement les yeux vers cette frontière qui la ramènerait dans le monde normal. Phoenix, où les flics l'avaient sans doute oubliée pour ce soir, où elle se trouverait un endroit tranquille où passer, seule, isolée, cette foutue nuit.
Ça empeste. Oui. Vraiment. Reprenons…
Ses yeux se relevèrent vers les grilles, emplis d'un intérêt tout métrique. Il s'agissait de quantifier la distance restante entre elle, d'une part, et la liberté toute relative qui l'attendait dehors, d'autre part. Rien de plus simple. Rien de plus logique. Rien de plus cartésien.
Alors que le dégénéré au chapeau, qu'elle avait surveillé auditivement pendant toute la marche, et dont elle se méfiait comme de la peste, parlait d'éteindre sa cigarette… Celle-ci tomba toute seule de sa main. En douce rotation, elle chuta comme au ralenti sur la terre du chemin, sembla y rebondir, puis, tout d'un coup, se figea, rougeoyante.
Comme Valéria, qui avait encore marché un peu. Pour être sûre. Pour savoir. Sur le moment, elle aurait juré par tous les services gouvernementaux occultes que son coeur venait de manquer un battement, un peu comme une horloge qui enchaînerait deux tac de suite.
En pire.
Le coup de l'arc-en-ciel se confirmait. Prémonition ridicule qui se révélait exacte, comme d'habitude. Cette fichue grille, cette merde, cette saloperie semblait littéralement reculer dans une mascarade contre-nature, se moquer d'elle, la narguer lorsqu'elle avançait.
Elle ferma les yeux, resta fixe.
— Tais toi.
Plusieurs secondes passèrent. Pendant ce temps, Valéria rationalisait. Illusion d'optique : ce n'était pas sa première idée, mais la plus plausible, il fallait l'admettre. Auquel cas, au vu de la distance parcourue, elle devait être vraiment très proche de la grille réelle actuellement.
Ses yeux se rouvrirent. Elle avança d'un mètre, puis de deux, tendant un bras fébrile et tremblant qui ne rencontra que le vide. Et, là-haut, la grille ne bougea pas.
Son esprit se mit en route. Les mots de complot, arnaque, piège, réalité simulée, monde parralèle, Matrix, putain c'est quoi ce merdier, vortex, extra-terrestres, gouvernement, expérience, nazis, Illuminati, Bohemian Club, Truman Show passèrent dans sa tête trop pensante à vitesse grand V. Un hologramme ? Mais dans ce cas, le chemin devait s'arrêter un jour, pour rencontrer un mur, ou quelque chose !
La lanceuse de pierres n'avait pas dit son dernier mot. Jetant un regard d'une suspicion qui aurait fait avouer à un esquimau le vol de dix chameaux dans le fin fond du Sahara, elle se pencha, prit un nouveau caillou, mais ne le balança pas sur l'autre larve. Non.
Elle le balança sur la grille. Et là, en un nouvel instant d'éternité, où elle eut encore l'impression d'un arrêt cardiaque temporaire, sa pire peur du moment, et sans doute l'une des pires peurs de sa vie, fut confirmée.
La pierre fit chblong.
Donc, la grille était là. Mais si, puisqu'on vous le dit ! Elle devait être là. Vraiment. Elle le devait. Elle était entrée par là, non ? Donc il y avait bien une limite, une ouverture, une fin ! Bordel, l'univers pouvait être infini, mais pas ce foutu parc, puisqu'elle y était entrée ! Elle s'en rappellait. Réellement. Pas de doute.
Avec une excitation et une crainte redoublées et bien visibles, elle avança.
Jusqu'à la pierre.
Et la grille n'était plus là. Ou ne l'avait jamais été. Une grimace de dégoût, de haine, de désespoir rageur et de peur se fit entrevoir sur son visage pourtant joli à l'état normal. Celui qu'il n'arborait jamais. D'un coup d'un seul, violemment, désespérément, elle se retourna vers Monsieur qu'elle gratifia d'un regard mi-accusateur mi-incompréhensif :
— Mais bordel, c'est quoi ces conneries ? J'ai passé cette grille ! Je l'ai passée ! Elle doit être là ! Qui vous êtes ? Qu'est-ce que vous voulez ? Qu'est-ce que je vous ai fait ? J'ai rien demandé ! Rien ! Vous m'aurez pas comme ça, putain !
Elle hurlait, de tout son coeur, de toutes ses tripes surtout. Agitée et courbée par l'effort des cris, désignant l'objet de son désespoir d'une main et les yeux s'emplissant de larmes de rage qui ne coulèrent pas, Valéria était à bout, et balançait la totale. A la voir comme ça, on aurait dit qu'elle aurait pu coucher n'importe quel arbre du parc sous le seul coup de la rage. A la voir comme ça aussi, on comprenait qu'elle avait atrocement mal. Atrocement peur.
Monsieur aurait le temps de répondre. Peu de temps. L'oeil haineux, Valéria n'avait rien à perdre. Si elle devait mourir, elle les emporterait avec elle. Tout dans son allure ne montrait que deux choses : rage et désespoir.
Elle était prête à bondir. A foncer dessus. Littéralement. _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Jeu 02 Aoû 2007 | 14:37 |
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Il continua de la suivre sans regarder alentour ni vérifier si la grille s'éloignait à mesure de leur avancée.
Ça l'avait ébahi qu'elle ne le frappe pas. Un coup de chance. Un énorme coup de chance.
Il restait idiot devant sa réaction, quoi qu'il s'attendait à une riposte tôt ou tard. Tôt ou tard, elle lui ferait payer sa requête. Comment en serait-il autrement ?
Faute de pouvoir comprendre ce qui se passait réellement, il avançait à pas serrés sans poser de questions, jetant un coup d'œil par ici, par là… Il débordait d'attentes. Quelles attentes? Il ne le savait pas, peut-être pensait-il encore à son cercueil ou à quelque fantasme de mort, d'assassinat et de suicide.
Nous venons de dire : tôt ou tard, elle lui ferait payer sa requête. Comment en serait-il autrement ? C'était vrai, et ce fut tôt plutôt que tard. Monsieur eut en effet l'honneur de voir la folle jeter une pierre sur la grille. Ç'avait eut l'air de lui prendre toute son énergie, d'être dur, très dur. Avait-ce été aussi difficile de jeter son mégot merdique par terre, tout à l'heure ?
Elle tenta donc de… de blesser la grille ? Elle n'avait pas assez de brutaliser Monsieur, elle devait également brutaliser la grille !
Mais à en voir son expression, c'était autre chose.
Maussade, Monsieur regardait la femme hurler, crier, se déchaîner comme on regarde la pluie s'abattre. Quel sale temps ! Elle se dépassait, elle n'avait jamais parue aussi touchante. Monsieur en eut quelques larmes qui lui montèrent aux yeux et lui tombèrent sur le nez.
C'était ni totalement de la tristesse ni totalement de la colère. Rien à voir avec l'état dépressif de Monsieur. Qu'était-ce, alors ? Si étrange… Drôle de spécimen, cette femme.
Il trouvait ça étonnant, quoi qu'il était triste de voir que plus personne ici ne suivait les stéréotypes : les grosses brutes, ça ne pleure pas !
La grille s'éloignait quand on l'approchait. Et puis ? En science aussi, quand on croyait tout savoir on se rendait compte que les frontières s'éloignaient. Après la découverte de la couche d'ozone, ç'avait été l'espace. Quoi de plus normal ? Seulement, la mégère ne comprenait pas ça. Elle ne comprenait pas que c'était normal.
Il le lui dit : « Ben c'est normal, tu sais… fais pas c'te face-là… »
Oui, vraiment : quel sale temps ! _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Jeu 02 Aoû 2007 | 15:00 |
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Valéria se figea. Le regard plus agressif que jamais. La bouche entrouverte. Les nerfs tendus à bloc. Une énormité venait d'être dite, ça n'avait pas l'air d'être une blague et ça méritait donc d'être relevé avec toute l'indignation nécessaire :
— Normal ? C'est… normal ?
Soit il était très con, soit il se foutait de sa gueule, et elle n'appréciait ni la première solution, ni la seconde. Celle-ci était pire, mais plus probable, sans doute soumise à un quelconque corrolaire de la loi de Murphy exprimable, par exemple, comme suit :
Lorsque vous êtes coincée dans une faille spatio-temporelle avec un illuminé et que celui-ci pense que tout va bien, il est forcément dans le coup.
Cet enculé l'arnaquait, la manipulait depuis le début, depuis ce coup parfaitement traître qu'il lui avait infligé et dont le résultat avait dessiné une longue coulée rouge de son oeil droit jusqu'au bord de son décolleté, et quelques taches au sol. Elle y pensa, un instant, et se dit qu'elle devrait faire quelque chose contre ça.
Mais à quoi bon ? Pourquoi faire attention ? Pourquoi se soigner ? Elle était prisonnière. Leur foutue otage, et elle valait moins morte que vivante. Qu'ils aillent se faire foutre ! Si le sommeil et la mort étaient les seules solutions, elle aurait vite choisi. Ou, du moins, c'est ce qu'elle se dit sous le coup de l'énervement.
Normal. C'était normal.
Ben tiens, et quoi d'autre ? Il tentait d'endormir sa vigilance, de l'aveugler, de l'enfermer dans l'ignorance où elle pourrait être habilement contrôlée par les mains d'un marionnetiste fou aux doigts trop agiles pour être brisés. C'était sans doute là son rôle, foutu pantin qu'il était aussi !
Ses gestes étaient presque désordonnés. Indéniablement agités. Nerveux. Elle s'approcha de Monsieur à pas rapides, et le dégagea violemment de son chemin en le repoussant du bras droit. Qu'il se casse la gueule ! Qu'il se brise la nuque, ce pourri, qu'il s'explose le crâne sur le sol ! Elle, elle allait régler le problème directement à la source. Elle allait faire sa réclamation aux supérieurs. Foutre le bordel jusqu'à ce qu'on lui offre une solution convenable.
Oui. Comme les quelques fois où elle s'était faire choper par ces enculés de flics. Leur vie allait devenir impossible. Ils allaient payer. Elle n'était sans doute pas assez méchante, ou assez courageuse, pour tuer l'exécutant au chapeau, mais les autres allaient connaître l'enfer, autant qu'elle le pourrait. Bien sûr, ce serait uniquement si les autres abrutis de la zone étaient aussi à la masse que le premier taré, ce dont elle ne doutait pas. Bien sûr, elle allait aussi tenter de trouver un autre moyen de se barrer de ce foutoir.
Mais, en attendant, d'un pas décidé, ferme et tout à fait menaçant, c'est vers le bâtiment central de l'Asile qu'elle se dirigeait. _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Ven 03 Aoû 2007 | 13:33 |
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Cette vision lui causait un mal troublant. Sous l'amas de pressentiments qu'à tout instant son imagination lui dictait, il croyait voir jaillir un point inflexible, une crainte qui montait, dure, tendue, concrète : oui, c'était certain, elle allait le frapper !
Magnétisme dont il n'arrivait pas à s'affranchir, cette réaction démesurée. On aurait dit qu'au plus profond d'elle quelque chose se tramait, un miroir s'élevait, se creusait un trou abyssal, se découvrait un champ inconnu dont elle traçait l'inouï littoral. Monsieur suivait cette ligne, ce contour de femme, tourbillon de mépris, muraille, prison, paroi…
Il la suivait sans jamais arriver à la franchir.
Parlant un jargon parfois dur à saisir sous ces accents béotiens, elle s'affirmait en peu de mots, mais laissait paraître, continuellement, cette espèce de danger qui lui collait à la peau, à la voix, au regard et aux gestes. Elle faisait peur à voir. Elle s'irritait trop facilement.
Monsieur la comprenait. Ou essayait de la comprendre.
Mais ce n'était pas facile, car la femme était agitée, n'arrêtait un moment de bouger, si bien qu'il se dit que ce devait être là une Hystérique.
Bien entendu, elle le frappa. Elle s'était jetée sur lui comme un boulet de canon, et Monsieur avait, quant à lui, ressemblé brièvement à un parachutiste, largué dans le ciel sans secours et sans parachute. Il s'écrasa sur le sol.
Il reprit vite ses esprits, se leva, se précipita derrière l'agressive bonne femme et lui hurla, obstiné à guetter sur cette âme sensible dans l'espoir d'y trouver un maigre réconfort :
— T'es excentrique quequ'chose de rare, toé ! Si tu penses que j'vais t'laisser tranquille parcequ'é tu m'pousses, ma p'tite ! Pis comme de faite, ben j'te suis ! Tu vas vwoir c'qu'é tu vas vwoir ! _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Ven 03 Aoû 2007 | 14:11 |
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Valéria marchait d'un bon pas. C'est le moins que l'on puisse dire. Elle avait des problèmes à régler avec les enfoirés qu'elle trouverait sans doute dans le hall de cette foutue prison, ainsi qu'avec pas mal de monde. Pour l'heure cependant, elle se concentrerait sur ceux qui étaient à portée de main, et ils souffriraient pour tous.
Lorsque Monsieur cria, elle tourna vers lui un visage d'une hostilité qui aurait fait fléchir les plus grands. Un regard horrible, mêlé de haine, de méfiance et d'agressivité. Un regard qui avait pour but de chasser l'insecte comme elle l'avait fait d'un simple geste de la main quelques instants plus tôt : il n'avait rien à faire collé à ses fesses.
— Dégage ! cria-t-elle en retour, pour confirmer qu'elle ne voulait pas de lui. Qu'elle ne voulait de personne.
Mais, l'un dans l'autre, il lui fallait admettre qu'on ne lui laissait pas le choix. Comme d'habitude, ces salauds opéraient un contrôle sur elle qui se faufilait telle une anguille pour y échapper, comme d'habitude, l'étau se resserait encore et encore pour la maintenir dans les mailles du filet. Malgré ça, elle ne s'était jamais laissée faire et ce n'était pas près d'arriver.
Alors, pas vraiment par peur du grand maigre, pas vraiment par envie d'arriver plus vite, elle se mit à courir. Grimpa les marches de l'entrée quatre à quatre. Ouvrit la porte principale comme une furie, s'arrêta une seconde, lança un regard dont l'expression représentait le mont Everest de la méfiance sur le grand hall qui lui faisait face. Vide.
Pas de réception. Pas âme qui vive. L'endroit était silencieux et calme. Beaucoup trop.
Ses pas lents résonnèrent sur le carrelage. Elle avança ainsi de quelques mètres alors que son visage faisait un tour d'horizon de l'endroit. Yeux mauvais, sombres. Plus que jamais. On se foutait encore d'elle. Tout ce lieu puait la moquerie, la dérision, mais aussi le danger d'être enfermée, de se voir passer une camisole, de se voir injecter des saloperies. On l'aura compris, Valéria n'était pas à l'aise. Pas du tout. Mais l'était-elle parfois ?
Elle se retourna vers la porte, regarda le disjoncté au chapeau. Puisqu'il était là, autant l'utiliser.
— Qui vit ici, à part toi ? Combien de détraqués dans ton genre ? Des médecins ? Des… psys ?
Le ton était sec, impératif, et le dernier mot était parti comme une insulte avec la grimace de circonstance. C'était à la fois une question, et un ordre. Celui d'y répondre rapidement et correctement. Sans ça… Il verrait bien ce qui arriverait. _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Ven 03 Aoû 2007 | 23:21 |
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Aucun portier à l'entrée du pays de l'Ombre.
La femme s'introduit dans l'Asile, où circulait une insonorité non moins écrasante qu'une tempête. L'accueil fut inexistant. La salle demeura inerte. Les murs noirs, le plancher grisâtre semblaient avoir rendu l'âme, toute vie paraissait s'en être extirpé. Le monde était à l'abandon, l'espace inoccupé et l'air stérile.
Rien.
Un rien terriblement évocateur. Symbole théophanique, et nécessairement redoutable. Une manifestation métaphysique. La preuve : on y entrait comme dans un temple, l'échine courbée, les bras croisés, la tête basse et l'allure soumise. Et là comme ailleurs, on y était trompé par ses propres représentations du divin. On y voyait sa réplique terrestre des archétypes célestes. On croyait y voir le monde et le ciel, mais on n'y voyait que le miroir de nos propres représentations.
Monsieur avait adhéré à la généralité. À peine entré, il se sentait plongé dans l'abstrait comme on transcende Jésus-Christ. Il croyait faire le plein de sainteté comme on va se remplir à une station service, c'est-à-dire le réservoir grand ouvert, la main agrippée par l'engin à essence et le porte-monnaie plein d'amour.
Il se regardait de l'intérieur ainsi qu'on contemple les œuvres dédiées aux dieux. Une pièce d'Art, de vrai Art pour l'éternité, sans contrainte de lieu et de temps. Absolument transhistorique, ce Monsieur. Peint de noir et de blanc, un chapeau posé sur la tête, en position délicate. Le David de Michel-Ange n'avait qu'à bien se tenir sur sa selle : Monsieur Da Divini accourait au galop ! La huitième merveille du monde. On décaperait le plafond de la Chapelle Sixtine, au Vatican, pour lui faire de la place sur les murs de Sa Sainteté.
Mystifié, il croyait devenir le centre du monde, autour duquel s'enroulerait le Saint-Esprit. Une colombe descendrait du ciel pour le canoniser.
Elle l'éjecta hors de son orgie mentale. Il rétorqua, encore secoué :
— Mais j'en sais rien ! J'en sais rien… Tout c'que j'sais, je sais pas comment j'lai su. Comme… comme si ç'avait été introduit dans ma caboche par une autorité autre que la mienne. Des infos qui partent comme elles sont arrivées. Des fois j'me souviens de quelque chose de ma vie avant d'être icitte, pis une minute après y'a un souvenir contradictoire qui vient tout chambarder. Des vies antérieures qui se mélangent p'têtre, qui sait ? Mais c'est gros comme place, pis c'est dérangeant par bout, pis y'a du monde bizarre de temps en temps. Comme toé. Mais te choque pas, c'normal, comme j'te dis, c'est plate mais c'est normal ! Y'a des ‘tites choses agaçantes, c'est sûr… Oui, y'a un toubib comme on dit, une pharmamachin pis tout le reste.
Il prit son souffle, et s'élança, à mi-voix comme si ç'avait été un secret, comme si ç'avait été plus terrible que tout le reste : « Ça s'appelle des Instances. » _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Sam 04 Aoû 2007 | 10:12 |
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Non, ce n'était pas normal. On l'avait amenée ici de force. Ca ne pouvait pas être un hasard. L'enfermait-on parce quelle en avait trop vu ? Certainement. Allait-on la traiter de parano pour la discréditer ? Sans aucun doute. Allait-elle se soumettre docilement, baisser la tête, se laisser aller ?
Jamais !
Une goutte de sang tomba de son arcade, presque lentement, et s'écrasa sur le sol. Elle disparut aussitôt, comme absorbée.
…Et c'était normal, ça ? S'ils croyaient l'avoir avec leur technologie tordue et deux ou trois tours de magie bidon, ils se fourraient la baguette dans le cul pour la ressortir à l'autre bout de leur tube digestif. Néanmoins, elle écouta les paroles de l'insecte avec des yeux certes, l'espace d'un instant, moins agressifs, mais toujours méfiants.
Il avait des troubles de la mémoire. Pas elle, ou si peu. Lavage de cerveau ? Expérience de contrôle mental ? Possible. Ou alors, il était taré jusqu'à l'os. Les asiles ont l'habitude de faire gober un maximum de calmants et de saloperies chimiques à leurs pensionnaires, si bien qu'ils en sortent pires qu'à leur entrée, sans parler des électrochocs. Premier objectif dans cette optique : élaborer une stratégie défensive. Ca semblait manquer cruellement de personnel. Elle aurait sans doute un endroit quelconque où loger, une chambre. Se trouver une arme ? Un tournevis, une fourchette, un couteau à steak voire un morceau de verre - tout conviendrait. C'était pas une tueuse, mais au moins, ça la rassurerait un peu. Trouver un moyen de fermer sa porte de l'intérieur. Un moyen de faire semblant d'avaler leurs médicaments pour les recracher ensuite. Tout ça, bien entendu, en attendant de réussir à sortir définitivement d'ici.
Elle fronça encore un peu les sourcils lors des derniers mots, comme si c'était encore possible:
- Des Instances ? O-K.
La majuscule s'entendait lorsqu'il en parlait, et Valéria n'aimait pas ça. Mais, d'un autre côté, il y avait forcément du monde pour tenir les déglingos de l'Asile, c'était logique. Les enfoirés devaient se régaler de ce pouvoir… Mais elle s'en tirerait. Ouais : que ça se sache tout de suite, elle ne faisait que passer.
Se rendant enfin compte que son arcade lui faisait trop mal pour ne rien faire, elle sortit un mouchoir en papier de sa sacoche. Elle en avait toujours sur elle, bien qu'ils n'y soient apparus que lorsqu'elle y avait pensé.
— Y'a quoi d'autre que je dois savoir ? demanda-t-elle en épongeant son visage et son front, ce qui la rendit déjà plus présentable. _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Sam 04 Aoû 2007 | 22:38 |
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Monsieur, quand il fut question de répondre à la dame, celle-ci ayant exprimé le désir de savoir s'il se trouvait dans l'Asile autre chose dont elle eût eu le devoir de prendre conscience, haussa les épaules pour signaler que cette question eusse sans doute été pertinente dans une autre situation mais ne l'était dans celle-ci, l'Asile se trouvant au croisement de toutes questions.
Qu'ils discutassent de pareilles "niaiseries", selon l'expression qu'il eût probablement employée, ne lui plaisait que très peu : l'Asile ne s'avérait captivant que dans le naturel de ses péripéties, lorsqu'on était confronté à Lui sous ses angles les plus fidèles. Sans cela, il se portait garant de l'artificiel, et perdait alors tout intérêt, puisqu'un Temple ou un lieu saint n'est saint qu'en raison de notre expérience de ce lieu.
Ne l'expérimentant pas, la grosse pétasse qui faisait face à Monsieur ne pouvait pas apprécier son architecture Éternelle, ses vitraux Absents et son lieu de culte à mi-chemin entre le très peu ordinaire et l'à-peu-près convivial.
C'est conséquemment à cette réflexion qu'il décida d'employer son énergie à devenir un Guide model, pour ne pas dire spirituel dans ce lieu d'immuable et de fragilité où on n'était tranquille qu'en toute intranquilité.
Mais il se devait, d'abord, de se proposer comme tel :
— Tu voudrais-t-y qu'on aille visiter un ‘tit bout de l'Asile toué deux ? Ça serait fun, j'pense ben, pis ça nous f'rait nous connaît' un peu. J'sais que té pas super polie ni full gentille, mais j'hésite encore à te placer avec les Hystériques ou ben avec les Autistes parcqu'é t'es pas très très sociable… sans rancune, hein ? chacun ses problèmes, icitte-dedans.
Pénétrer dans le paradoxal de l'Asile et inspecter son être Parfait. Contempler les fluctuations de son atmosphère. Scruter chaque recoin de son universalité. Ou encore, découvrir les vices cachés ! _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Sam 04 Aoû 2007 | 22:54 |
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Sauf qu'une promenade au pays des dingues avec un débile n'enchantait, au premier abord, guère Valéria. Elle aurait pu explorer cette merde toute seule, sans avoir ce blaireau à son cul et sans être au sien. Cela dit, cela aurait sans doute pris un temps beaucoup plus long et elle n'aimait pas traîner. Elle termina d'éponger son arcade, la pressa légèrement pour sentir l'étendue des dégâts, grimaça et jeta le mouchoir au sol. Ca ferait du travail pour les femmes de ménage.
Les mains sur la taille, elle observa un instant la situation et son interlocuteur de ses yeux ténébreux. Une seconde de pause. Juste le temps de retourner tout ça un bon coup dans sa tête encombrée.
Pas super polie ? Il l'avait frappée, cet enfoiré ! Elle ne faisait que réagir en conséquence. Pour l'heure, cependant, et depuis ce moment où elle l'avait collé à l'arbre, elle avait le dessus : son ennemi était faible et fragile. Sous contrôle. Utilisable. Il ne représentait aucun danger pour l'heure et c'est pourquoi elle acquiesça, avec même un très, très léger sourire en coin qui ne se voulait pas vraiment moqueur, mais pas vraiment amical non plus. Le genre pour avoir l'air sympathique, mais surtout pas trop.
— Où que tu me places, je serai moins atteinte que toi. Je te suis. Pas de coup fourré, ou tu sais ce qui risque d'arriver.
Comme si elle avait réellement les tripes pour tuer. Non, ce n'était pas le moment pour ça. Dans quelques années, sans doute. Mais en attendant, Valéria savait faire mal et ça lui apportait d'ailleurs une certaine fierté. Forcément, quand on a les trois quarts du monde contre soi, on est amenée à pratiquer un peu… _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Dim 05 Aoû 2007 | 13:31 |
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Monsieur fut foudroyé par ce sourire vraiment très amical.
Commençait-il à apprivoiser la jeune demoiselle ? Un tel sourire, ce ne pouvait être que le gage d'une amitié qui serait peut-être très longue ! Pour toute la vie ? Oh oui, Monsieur voulait avoir un ami ! Un morceau de soleil qui pénétrait la nuit de son existence.
La phrase qui suivit n'était pas aussi encourageante, et l'espoir qui avait jailli, l'espace d'une seconde, en Monsieur, s'en échappa aussi rapidement, absorbé par les murs de l'Asile qui coupaient court à tout son et à toute influence extérieure, écrasé sous l'atmosphère pensante, détruit par le ton méprisant de la femme.
Il lui jeta un coup d'œil soupçonneux derrière son chapeau démesurément noir. Il lui bredouilla quelque chose comme oui, oui, pas de coup de traître, et il eut l'impression qu'elle le détaillait comme un tableau, qu'il était jugé, qu'elle évaluait sa provenance, son prix, le profit qu'elle pourrait avoir de lui chez un marchand d'esclaves.
La grosse méchante ! Elle lui faisait mal. Monsieur pleura. Il pleura beaucoup.
Mais avec ses nouvelles fonctions, et ce qui allait avec, il avait l'obligation de se ressaisir et de réfléchir : où iraient-ils, par où allaient-ils passer ? Pourquoi ne pas retourner dans le parc ? Non, elle y ferait encore une crise de bébé gâté.
Il se dirigea dans les profondeurs de l'Asile, s'assurant parfois qu'elle le suivait. Il ne paresserait pas. Il travaillerait dur. Il serait un bon Guide, et serait remercié comme il se doit. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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