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Lun 30 Juil 2007 | 13:38 |
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Un bosquet.
Sans rien. Sauf des arbres, bien sûr. Pleine nuit. Petit à petit, une silhouette sembla apparaître, comme sortie de l'ombre.
Des bruits de pas rapides. Des branches écrasées alors que les contours se précisaient bien qu'encore flous. Valéria courait, haletante. Elle n'avait pas été assez discrète, loin de là : on ne courait pas comme ça en… en… forêt ?
Putain, c'était quoi, cet endroit ? Elle avait bêtement traversé un bosquet en pleine ville, puis des grilles ouvertes, et elle se retrouvait dans un truc beaucoup trop grand pour être normal. Y'avait pas ça à Phoenix… Si ses souvenirs étaient vrais.
Confus, les souvenirs. Ça semblait se mélanger dans un désordre douteux. Se réarranger. Se créer et disparaître. Elle ne savait pas où elle était, mais une chose était certaine: elle s'était paumée. Ça lui apprendrait à fuir dans n'importe quelle direction !
Fuir quoi ? Elle s'arrêta brusquement entre deux arbres, figée, les sens aux aguets. Quelqu'un devait suivre, sinon, elle n'aurait pas couru comme ça. Quelle connerie avait-elle encore fait ? Elle dut bien vite se rendre à l'évidence : ils étaient après elle. Ou l'avaient été. Non. Ils n'abandonnaient jamais. Même si, pour le moment, elle n'entendait rien, ils étaient forcément là. Les flics, on pouvait pas leur faire confiance. A personne, d'ailleurs. Pourris…
Doucement, elle se retourna, les yeux scrutant l'obscurité. Y'avait les grilles, par là. Personne derrière. Ils auraient renoncé, pour cette fois ?
Impossible d'en être sûre. Devant, loin, les lumières d'un bâtiment. Un bâtiment sans doute aussi incongru que le reste de ce foutu endroit qui sentait les emmerdes à plein nez. Propriété privée. Ouais, sans doute. Tant pis pour eux. Fallait pas laisser leurs grilles grandes ouvertes, même si elles étaient fermées maintenant. Un piège ?
Choisir entre le bâtiment et les flics derrière la grille. En même temps, quelque chose en elle n'avait pas envie qu'elle s'approche de celle-ci. Peur de découvrir un truc vraiment pas normal. Il lui vint à l'esprit l'idée débile que les grilles allaient reculer au fur et à mesure de son avancée, comme les arcs-en-ciel, et elle sourit. Non, c'était n'importe quoi. Puis, elle aurait le temps d'essayer plus tard.
A pas plus lents, presque silencieux, elle se mit à avancer vers ce qu'elle ne savait pas encore être l'Asile. Le bosquet céda la place au gazon, et ses yeux restèrent méfiants au fil d'une lente approche… _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Mar 31 Juil 2007 | 15:39 |
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Au terme de copieuses années de fréquentation avec lui-même, Monsieur avait appris à reconnaître les symptômes qui distinguaient les bons des mauvais jours (pour peu qu'il existe de bons jours) : sensation de vide dans l'estomac, avant-goût de désastre, haut-le-cœur, boursouflements, vertige…
C'étaient autant de signes avant-coureurs que de déplaisances à affronter quotidiennement.
Chaque nouveau jour désignait une nouvelle mortification, une nouvelle lutte. Il s'aplatissait un peu plus chaque fois, blessé, honteux ; et maintenant, son incapacité à supporter l'existence éveillait des fantasmes inquiétants.
Il avait le cœur bizarrement serré et les flancs des doigts frigorifiés, il entra dans le parc : mauvais signe !
Était-ce ce ciel, fenêtre opaque, qui digérait la lumière avant même d'en avaler les minéraux ? ou ces statues tellement pâles, tellement sombres qui déballaient leur grande gueule, la gobaient tout d'un coup ? ou ces herbes parfaites et immobiles qui la réfléchissaient, petits miroirs levés, remontés, redressés ? Éventuellement, aucune réponse ne se révélait exacte ; et pourtant toutes l'étaient. Dans une certaine mesure.
Il faisait calme comme on dit qu'il faisait soleil. Pas un bruit ne troublait la surface placide du parc, et des « Tabernacle ! Criss de calice, on peut-y pas s'enfoncer dans' merde de sa vie en paix ! En paix, tabernacle ! C'pas la mer à bwoire ! »
Reprenons : pas un bruit ne troublait le clapotis des pas sur l'herbe, ce clapotis venu d'ailleurs, plus obsédant encore dans le silence créé par les malades. Aucun grincement de voix, aucun ahanement de vent ne venait interrompre ces appels, ces heurts réguliers sur le sol d'une âme en train de suffoquer.
Monsieur leva la tête dangereusement et fixa son visage déjà fumant d'agonie sur l'éternité du gazon. Seule une femme venait, les gestes fous, les membres décollés.
D'instinct, il recula.
Toutefois, il se ravisa, et s'avança avec dans l'idée d'apostropher cette empêcheuse de se mourir en rond. Allait-il se laisser marcher sur les pieds ? Non ! Allait-il laisser une folle rompre le silence de sa vie ? Non ! Allait-il la frapper ? Oui ! Il saisit une branche trouvée là par hasard, et se dirigea vers sa victime à pas chassés…
Quand elle fut assez près, il tenta de la battre. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Mar 31 Juil 2007 | 16:00 |
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Il y a des jours où il vaut mieux rester couchée. Tous les jours. Valéria avançait encore, le regard méfiant fixé sur la bâtisse qui n'avait rien à faire dans un parc de l'Arizona. Les statues non plus n'avaient rien à y faire. En tout cas, pas ces statues.
Ca sentait toujours aussi mauvais. La mort, le désespoir, les emmerdes. Elle eut un regard circulaire qui ne vit personne, ou alors qui vit quelqu'un sans le voir, et reprit sur un pas plus normal pendant que sa main droite se tendait vers un sac, en bandouillère.
Un sac qui, dans son souvenir altéré, avait toujours été là. Un sac qui pourtant, venait d'apparaître alors qu'elle pensait y prendre un paquet de cigarettes.
Les cigarettes, c'est mauvais. Ces salopards n'hésitent pas à y ajouter leurs merdes chimiques pour vous rendre encore plus dépendant. Ca fait partie du jeu. De leur jeu. Payer pour crever. On le dira jamais assez: ça fout la santé en l'air. Valéria le savait bien, mais à quoi bon y penser ? Ils manipulaient tout, de toute façon. Ils étaient sans doute responsables de l'endroit où elle se trouvait. Un truc secret ? Une base ?
En plein milieu de Phoenix ?
Et pourquoi pas ?
Ca nuit vraiment à la santé, ces saloperies. La preuve: on est distraite une seconde pour s'ouvrir le paquet et s'en tirer une, et du coup, on se prend des branches sur la figure. Enfoirés. Elle ne la vit même pas venir. Ils n'agissaient de toutes façons jamais ouvertement, elle le savait bien. Elle aurait dû être plus vigilante. Pas une seconde de répit. Pas un regard sur le côté. Il fallait les voir avant qu'ils ne vous voient. C'était la seule stratégie.
Comme de bien entendu, elle fut projetée le cul par terre avec un cri, perdant la clope qui avait déjà rejoint ses lèvres.
Ca faisait mal.
Une violente décharge d'adrénaline parcourut ses bras et son corps. Un piège. Evidemment.
— Putain de salauds !
Une réplique évidente et simple, braillée avec autant de haine que d'énervement. Valéria ne savait pas spécialement se battre. Par contre, elle saurait lancer la pierre sur laquelle sa main droite avait eu la chance de tomber.
Comme si la chance existait.
En tous cas, le caillou, lui, fendait l'air droit vers la tête floue de son agresseur. Ce connard était avec eux. Il avait décidé d'ouvrir le bal, et Valéria était partie pour danser jusqu'à la dernière note. _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Mar 31 Juil 2007 | 17:59 |
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L'attaque avait obtenu le succès escompté. La branche avait atteint précisément sa cible. Une bourrade pratiquée avec maestria. La femelle, d'abord traquée, était maintenant aux abois, gibier écrasé, dominé. Épuisé ?
C'était un trophée pas plus combatif qu'un veau, une dépouille de baudruche qui attestait de sa victoire. L'emblématique triomphe de la plus légendaire infortune, mythe de la supplantation du brillant pisteur sur la banale suitée. Il empaillerait la tête de l'animal abattu dès qu'il en aurait l'occasion !
Le bout de viande n'avait pas rendu son dernier souffle : une de ses pattes attrapa un projectile. D'un seul mouvement, il le balança dans le visage de l'agresseur.
L'agresseur ou l'agressé ? Le chasseur passait-il de chasseur à gibier, chutait-il une minute à peine après sa formidable ascension ? La fatalité se mesurait-il à la seconde près pour que l'état des choses bascule si facilement, qu'une position en apparence si solidement acquise s'affale comme le pan entier d'une montagne ?
Apparences. Paraître. Dissimulation et camouflage. La femelle lui avait joué un tour ; aussitôt tombée elle s'était comme mise à l'affût, elle forcerait pour lui mettre la main au collet. Pauvre imbécile, toujours confus, incapable ! C'était pourtant facile, aisément visible que la femme était une virtuose de la cynégétique : il n'y avait qu'à voir sa sacoche, sa carnassière, sa panoplie de chasseresse et son air de prédateur aux aguets.
Le caillou, donc, d'un trait, brutalisa sa face. Outch ! De quoi ramener le plus profond des poètes à la plus plate réalité.
— Pourqwa t'as lancé c'truc ! T'es malade, putain ! tu vas blesser quelqu'un c'est pas un jouet ! Hey mais non, arrête, je te veux aucune mal !
Facile à dire quand on vient de rosser l'interloquée avec une branche. Voilà toutefois un discours bien sincère : à peine se souvenait-il de la violence de son geste, et il guettait désormais l'inconnue d'une façon presque tendre, du moins apaisée. Elle se trouvait dans le même bain que lui, pataugeait dans la même eau dégueulasse, il aurait pu dire qu'ils se lavaient avec la même serviette. En était-elle consciente, était-elle informée du génie malsain avec lequel on conduisait l'Asile ? Savait-elle ce qu'était l'Asile ?
Et lui, comment l'avait-il su… ?
Il brailla un bon coup, car il fallait montrer à la dame comment il était triste, comment c'était dur la vie ici, sans sommeil, sans nourriture et sans cohérence. Oh oui, c'était très dur. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Mar 31 Juil 2007 | 18:36 |
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Valéria se releva d'un bond. Son regard était dur, méfiant, agressif. Ses poings, serrés. Deux jours dans la nature. Deux putains de jours à courir. Deux putains de nuits éveillées. Bien trop eveillées.
Fuir. Fuir.
Se battre.
Ils étaient après elle. Il était avec eux. Marre de courir. En un instant d'éternité, la jeune fille sentit qu'elle perdait pied. Encore. Son arcade saignait, faisant couler un voile rouge sur l'oeil énervé. La branche avait bien atteint son but. La pierre aussi, et c'est avec une foutue lâcheté bien digne de sa carrure d'asperge que l'agresseur décidait déjà de rompre le combat.
Mais le voulait-elle ? D'un coup, toute sa haine s'était portée sur lui. Son coeur battait à tout rompre. Ses bras tremblaient, légèrement, sous l'effet de nerfs trop tendus. Elle avait froid. Voulait foncer. Défoncer.
— Tu crèves de trouille, hein, connard ! Tu voulais quoi ? Quoi ? T'es…
Sa respiration était haletante. Un dégénéré. Ca pouvait être que ça. Un putain de psycho, un violeur, une larve, un pédéraste, une saloperie de branleur. Ca méritait que d'être balancé dans un lac un poids aux pieds… C'était lui. C'était eux. Il paierait pour toutes les autres raclures de son espèce détraquée.
Et il avait quoi, à brailler comme ça ? Ca l'avait interrompue dans son élan, dans ce pas qu'elle avait fait vers lui pour finir sa cible, le corps tendu presque comme si elle avait été parcourue par un courant électrique. Voilà qu'il se révélait inoffensif. C'en était trop. Mais si elle avait le dessus, pour une fois, elle n'hésiterait pas.
D'un geste rapide, elle continua sa route vers lui, le poussant dos à l'arbre le plus proche. La haine peinte sur le visage, c'est au nez qu'elle lui cria, presque prise d'une subite intuition de bizarrerie inconcevable :
— C'est quoi, ce foutu endroit ? T'es qui ? Pourquoi t'as fait ça ? _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Mer 01 Aoû 2007 | 14:06 |
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Le dos de Monsieur craqua quand il toucha l'arbre. Il entendit l'écorce grincer et son cœur tambouriner au creux de sa poitrine. La respiration haletante, un nœud dans la gorge, il baissa la tête et son chapeau glissa un peu plus en avant.
Il affichait encore son sourire, mais tenait les dents plus serrées qu'à l'habitude. Le rouge de ses lèvres tremblait convulsivement. Il sentait le souffle de l'agresseur et pouvait presque percevoir la violence qui circulait dans ses membres électrisés. Si ses muscles de brute étaient gonflés d'agressivité, ceux de Monsieur étaient caducs, épuisés, tombaient en désuétude. C'étaient presque des fossiles.
Les nerfs du Mélancolique étaient traversés d'un courant stimulant, les hormones s'excitaient : boum boum, se préparaient à l'action ; à injecter une revigorante bouffée d'adrénaline. Cependant, Monsieur demeurait pétrifié, transi. Son corps ne répondait pas à son cerveau. Ou n'était-ce pas plutôt le cerveau qui était hors fonction ? Il ne bougeait pas, il lui était impossible de remuer même le bout des doigts.
Elle lui rugit à la figure, et il craint qu'elle ne le griffe, ne le morde, ne le massacre. Misérable lui ! Sempiternellement fourré dans la misère comme le Christ sur la croix ! Le massacre, peu importe pour autant qu'il crève ; l'hécatombe lui allait bien. Mais dans les registres de souffrance, il avait largement donné : assassinat verbal, torture physique ou mentale, il avait tout connu, et parfois ça lui avait même été infligé par lui-même. Il se considérait parfois comme un martyr, et cela lui conférait peut-être un peu de dignité. Juste un peu.
Ses lèvres se dénouèrent un peu, sa langue se délia, il dit :
— Je… j'voulais quoi ? J'voulais la paix, j'voulais le bien, j'voulais aider, m'aider moi et t'aider toi. J'voulais…
Elle avait le regard de celui qui sait où se cachent les cadavres. Normal : ce devait être elle qui les enterrait.
— Ma chère, ma pauvre, vous n's'avez donc pas ? Vous n'êtes pas au courant ? Ha ha ha…
Ce rire, ce dernier et seul rire bref s'était fait très peu convaincant. D'ailleurs, il ne se voulait pas convaincant.
— Vous vous trouvez dans l'Asile, demoiselle, la place des fous, des malades, la place où j'souhaiterais n'pas m'trouver. Bref, vous êtes dans' merde. Dans' même calice de merde que moi ! On est en plein milieu d'un criss de polygone de tir : il y a des cons, des cons partout, des tabernacle de dérangés ! Partout ! Moi j'ai rien, j'suis pas malade, j'sais pas c'que je fais là, ciboire ! Chu triste, t'sais ! Chu triste, juste triste, pis on m'a enfermé icitte ! Mais comment pas pleurer, dis-moi, comment ne pas pleurer dans c'monde là ?
Et comme pour prouver que c'était vraiment, mais alors là vraiment impossible de pas pleurer : il pleura.
— C'pas facile, icitte, ma p'tite dame… C'est l'angoisse métaphysique, toujours : à savoir d'où c'qu'on vient, pis où c'qu'on s'en va ! Mais au fond, il paraît qu'c'est la même criss d'affaire dehors. Cé-t-y pareil dehors ? Cé-t-y pareil ? _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Mer 01 Aoû 2007 | 14:36 |
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Valéria le tenait, ferme, par ce costume ridicule qui abritait son corps longiligne et grotesque. L'aider ? Beaucoup de gens avaient voulu l'aider.
Beaucoup trop de gens. Beaucoup trop de connards, d'imbéciles, de foutus manipulateurs. Ils voulaient la maintenir dans la bêtise, l'ignorance, la cécité molle et docile des citoyens modèles. Les idiots ! Les moules ! Elle valait mieux que ça. Oui. Ou alors, elle s'en convaincait extrêmement bien.
Ou alors, elle n'était qu'un pion, elle aussi. D'une couleur différente. Avec un but différent. Mais bien un morceau de bois qu'on déplacerait sur un échiquier géant, celui qu'on appelle Monde. Oh, qu'ils aillent se faire foutre ! Autant qu'elle le devrait, elle lutterait contre eux. Il lui fallait s'en sortir. Gagner. Fuir ou se battre.
Au courant, elle ne voulait que trop l'être. Et l'enfoiré faisait durer le suspense, se marrait, d'un ton ridicule et hypocrite, comme tous les autres. Il se pavanait et se roulait dans un savoir sans doute inutile dont, si ça se trouve, elle se moquerait comme de sa première culotte. Abruti !
Et là, il cracha le morceau.
L'Asile.
Valéria n'aurait su dire si c'était l'évocation de ce genre d'endroit qui la fit réagir, ou le fait qu'elle ressentît la désagréable mais persistante impression d'avoir déjà entendu ça quelque part. Une sensation de connu. De déjà-vu. Quelque chose qui semblait transcender les sens, imprimé en elle comme une marque de fabrique. Une étiquette.
Débile.
Ses mains se resserèrent sur le tissu, comme pour se donner de la contenance. Puis, trouvant la cohérence dans les délires de ce fou, et dans les évènements de cette nuit, elle le lâcha. Ses yeux mêlèrent pitié et méfiance nuancés d'une appréhension terrible, d'une compréhension totale. D'une voix plus douce, elle répondit au détraqué :
— Ici, dehors, c'est partout la même merde, je sais. Mais à l'extérieur, on peut être libres… Ou l'espérer.
Valéria jeta un oeil sombre vers le bosquet d'où elle venait. Vers les grilles, au loin. Brièvement. Un asile. Elle ne pouvait pas être tombée là par hasard, et pourtant, avait envie d'y croire. Croire qu'on ne l'y avait pas poussée. Croire qu'elle n'avait pas à y rester. Un besoin de se mentir qui se trahissait par une peur sourde, l'impression constante d'être hypocrite avec elle-même, de savoir quelque chose, mais de ne pas se l'avouer. Pas encore…
— J'ai rien à faire ici. Y'a une autre sortie que celle-là ? _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Mer 01 Aoû 2007 | 15:17 |
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Monsieur posa mollement le nez contre le front de la femme.
Ses muscles se détendirent, son expression se décrispa, et son corps en entier s'abandonna à la toute-puissance de ce rouleau compresseur humain. Sa dépouille se fichait d'être malmenée et son âme succombait à la pression.
Il cédait.
C'étaient ces paroles qui le faisaient s'oublier ainsi, cette soudaine presque-compassion pour une dame qui osait articuler les syllabes bannies : li-ber-té.
Qu'était-ce que cela ? Ça n'existait pas, sauf dans les contes, les nouvelles, les grands romans utopiques. D'aussi loin que Monsieur se le souvenait, ce mot n'avait jamais été autre chose qu'un mirage. Le mirage qui apparaît à un homme au moment où il a soif et qu'il devient le captif du désert.
Qu'était-ce donc que cela ? Il ne savait que répondre à une chose qu'il ne connaissait pas. Qu'il ne comprenait pas. Et il ne voulait pas comprendre, car cette chose lui donnait davantage envie de pleurer que de comprendre. Comprendre, c'était pour les autres. Pas pour lui ! Tout avait toujours été pour les autres. Rien n'avait jamais été pour lui.
Monsieur préféra ne pas répondre, car ç'aurait été trop complexe, ç'aurait été trop s'exposer. Ne pas dérouler son cœur sur la table comme un jeu de cartes. Il laissait déjà se manifester bon nombre de sentiments qui ne concernaient pas les autres, mais ces sentiments dévoilés demeuraient de l'ordre de la tristesse et du suicide. Ils dépassaient rarement ces thèmes : c'était la norme.
— Moi non plus j'ai rien à faire icitte ! C'pas ma place, cé nulle part ma place, compris ? Nulle part chu bien, faique ferme-la, pis contente-toé donc de c'que t'as !
Il grinçait maintenant des dents. Pour qui elle se prenait, à dire que ce n'était pas sa place, ici !
— Les seules sorties, c'est le sommeil et la mort. Or, aucun des deux ne nous est accessible. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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Mer 01 Aoû 2007 | 15:33 |
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Valéria recula de manière automatique corrélativement à l'avancée du nez de l'autre. Deux pas en arrière, un air qui redevint parfaitement méfiant et hostile. Elle n'aimait pas le contact. N'avait jamais aimé ça. Que voulait-il ? Contre-attaquer ? La sentir ? Pour quoi faire ?
Pauvre loque. Toucher devait le réconforter, quelque part. Une serpillère humaine, s'il méritait encore cet adjectif. Un timbré. Monde de merde. Endroit de merde.
Elle frissona légèrement. L'effet d'un vent frais, ou l'effet de pensées sombres et sinistres. Quelque chose ne tournait pas rond. C'était l'évidence, plus que d'habitude encore. Pour s'assurer l'impossibilité d'un nouveau contact physique, elle garda sa main gauche en avant, sans le toucher. Plia les genoux pour récupérer son paquet de cigarettes, au sol. Il y avait toujours une sortie. Si elle était entrée, elle pourrait partir. Forcément. Il était complètement à côté de la plaque, dans son délire de dépressif pathétique, à parler de la mort à chacune de ses respirations. Paradoxal. Qu'il arrête donc, s'il voulait y passer !
— Parle pour toi, détraqué. Moi, je m'arrache par où je suis venue. Je n'ai aucune idée de ce que cet endroit fait en plein milieu d'une ville, ni pourquoi on n'entend plus les bruits des voitures, dehors, ni pourquoi on ne voit plus les buildings. Je veux pas le savoir. Je veux sortir. Tout de suite.
Ses mains tremblaient à nouveau légèrement. Excitation inutile et incompréhensible. Pour la calmer, elle sortit enfin une cigarette avec presque la convoitise d'une droguée, et l'alluma.
Bonheur éphémère. Signe de tête vers ces grilles.
— Y'a une porte, là. Elle s'est fermée automatiquement après mon passage. Elle doit pouvoir se rouvrir et j'en ai bien l'intention. Si tu veux te barrer, c'est maintenant, mais si je te vois me suivre ensuite, tu seras couché dans un caniveau avant la fin de la nuit.
Et cette foutue main qui tremblait, tenant l'objet fumant d'un désir maladif, alors qu'elle se mettait en route vers… Vers quoi ? _____________ Just because you're paranoid doesn't mean they aren't after you.
Kurt Cobain |
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Valéria Rowntree Paranoïaque

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Mer 01 Aoû 2007 | 21:18 |
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En Monsieur comme en chaque être humain, l'intelligence et la stupidité habitaient la même maison, couchaient dans la même chambre, se lavaient dans la même douche. Comme ils se révélaient des amants, ils se chamaillaient sans relâche. Parfois, l'un gagnait sur l'autre. En ce moment-là, par exemple, c'était l'intelligence qui fléchissait sous le poids de la stupidité :
— Euh ! un caniveau, c'est comme un cercueil, ça ? marmonna-t-il, s'élançant ensuite derrière demoiselle je-suis-brutale-et-je-m'aime-comme-ça.
Il se permit une distance de courtoisie entre eux, qui l'empêcherait, elle, de le frapper, lui. Il préféra également ne pas lui exprimer ce qu'il préférait dénommer pusillanimité que panique.
Alors même qu'il ne rêvait que d'une chose, quitter cette horrible mégère pour la chaleur rassurante de l'Asile, il révisa la "distance de courtoisie" qu'il avait choisie d'établir. À ce rythme, si elle prenait un détour serré, il la perdrait de vue. À contrecoeur, il s'approcha. Trop. Et si elle le frappait encore ?
Il dévisagea la tige fumante entre ses doigts. Elle semblait y tenir farouchement… Mais l'homme à côté d'elle n'appréciait pas l'odeur, et il se déplaisait à la voir fumer comme une obstinée. Au moins, s'il avait un peu de chance il finirait, à son contact, par mourir du cancer.
Non, c'était avant toute autre chose déplaisant.
Elle serait intransigeante, il le savait, elle ne l'éteindrait pas. Ses poumons pouvaient continuer de souffrir et ses conduits naseaux de s'embourber de cette fumée sale.
Comme nous le disions précédemment, l'intelligence et la stupidité se livrent une chaude lutte. Et cela semblait devenir une habitude chez Monsieur que la stupidité prenne le pas sur l'intelligence ; il eut en effet le malheur de demander « tu pourrais pas éteindre, dis ? Ça empeste… »
Ne jamais, au grand jamais aller contre l'obsession d'une femme. Monsieur devinait qu'il l'apprendrait à ses dépens. _____________ Hiroshima mon amour Marguerite Duras |
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Monsieur Mélancolique

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