Edward avait erré dans les couloirs. Ça rimait. Enfin non, il eût été excessif de parler d'errance. Mais Edward avait-il planifié, choisi son itinéraire ? Avait-il un but, une démarche ? Une démarche, oui, il en avait une : voûtée, souple, la démarche de quelqu'un qui ne sait pas où il va et ne s'en soucie pas. La démarche de quelqu'un qui avait quelque chose à cacher. Edward avait donc quelque chose à cacher ? Non. Pas lui. Ce n'était pas lui, pas lui ! On aurait pu dire qu'Edward se baladait tranquillement, au gré des voix qui lui parvenaient des murs. Car si Edward n'avait pas préparé son itinéraire à l'avance, il ne se promenait pas au hasard non plus : il choisissait avec soin, à chaque intersection, le chemin où on les entendait le moins. Les voix.
Bon. Edward avait erré dans les couloirs, à la recherche d'une paix chimérique. Une porte s'était présentée à lui, une parmi d'autres, qui avait retenu son attention. Pourquoi ? Impossible de le dire. Il avait collé son oreille contre la paroi de bois, n'avait entendu aucune voix, s'était précipité à l'intérieur, miracle, la poignée avait tourné.
Et voilà qu'un verger étrange faisait face à Edward. Pourquoi étrange ? Pour deux raisons. D'une part, la répartition des arbres était parfaitement illogique, en termes d'espace, mais aussi de sols, d'ensoleillement, tout était à refaire. Ensuite, parce qu'un sentiment de malaise diffus avait pénétré Edward dès que, bang, la porte avait claqué derrière lui dans un bruit métallique. Il se retourna : un haut mur de briques rouges s'était dressé silencieusement derrière lui tandis qu'il avait observé les arbres. Au milieu de leur maillage hypnotique, une petite porte d'un métal gris-vert, mate.
Bon. Malais diffus, c'était une chose. Mais la brise inquiétante qui s'était levée alors qu'Edward avait fait un pas vers la porte métallique, et c'était déjà beaucoup étant donné le caractère étrange du phénomène, c'en était une autre. Pourquoi inquiétante ? Parce que derrière le son anodin du vent, fouuuuu…ouuuuu… il y avait des voix. Lointaines, ténues, mais probablement portées par le vent lui-même. Et ces murmures étaient tout sauf diffus, ces murmures, ils ne les connaissait que trop. Ils l'avaient suivi jusqu'ici, l'avaient attendu, précédé peut-être.
Pourquoi Edward, dans la droite lignée de la logique qu'il avait suivie jusqu'à présent, n'avait-il pas aussitôt repassé la porte dans l'autre sens, pour chercher un autre havre de paix ? Il l'imaginait grincer un peu sur ses gonds, résister peut-être au tiers de sa rotation, il voyait sa paume saisir la poignée, en éprouver le froid, son bras forcer l'ouverture. Edward serait le biceps raidi de Jack. Mais voilà, c'est qu'avec les voix lui était parvenue une odeur familière, une odeur de pomme, une odeur de fruit pourri, une odeur de putréfaction, une odeur de purin, l'odeur du jardin de son père.
Et à cette odeur, Edward faisait confiance. Et puis, dans le couloir, les voix étaient plus sonores. Leur menace était plus proche, plus oppressante. Edward avait beau préférer les endroits bien délimités, pas trop exposés, il se sentait rassuré par la présence de l'odeur. Fff, fff, ses pas bruissaient doucement dans l'herbe tandis qu'il approchait du premier arbre.
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Avec l'insomnie, plus rien n'est réel.
Tout devient lointain, tout est une
copie d'une
copie d'une
copie.