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Jeu 19 Juin 2008 | 14:57 |
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Dans la lumière radieuse de cette journée ensoleillée, ce sépulcre particulier parmi tant d'autres semblait révéler sa vraie nature : celle d'une tombe anonyme, que nul ne remarquerait, même dans l'éventualité où un promeneur mélancolique aurait désiré se perdre parmi les dernières demeures de ses semblables.
La radiance de l'air était loin d'être suffisante pour révéler chaque détail du tombeau ; les termes "lumière radieuse" ou "journée ensoleillée" peuvent paraître grandioses sur le papier, mais ramenés à l'aune de l'Asile, ils indiquent simplement que le Soleil malade qui contemplait d'un œil apathique les convulsions quotidiennes des pensionnaires éclairait suffisamment la scène, à travers des océans de nuages et de brumes miasmatiques endémiques à ce lieu, pour qu'il soit impossible de trébucher accidentellement sur les formes massives des sépultures, seuls objets dignes du regard dans les étendues autrement vides du cimetière.
À bien y regarder, cette tombe avait pourtant ceci de particulier que la lourde dalle censée la surplomber, que ce soit pour empêcher les pillards d'y entrer ou les propriétaires légaux, sait-on jamais, d'en sortir, reposait présentement à côté du caveau. Aucune trace de pas ne l'entourait.
Qui donc avait bien pu …? La seule entité des environs se tenait allongée au fond dudit tombeau : une frêle jeune fille d'une pâleur spectrale appropriée à l'ambiance malsaine du cimetière, emmaillotée dans un surprenant costume blanc aux lourds pompons noirs. Il était improbable qu'elle fut responsable de cette profanation, d'abord parce qu'elle n'aurait pas eu la musculature nécessaire à la tâche, mais surtout en raison de sa peau glacée et de immobilité totale, indicateurs transparents de ce que l'on appelle traditionnellement : "état de mort clinique".
Peut-être respirait-elle, d'une manière légère et indistincte ? Cela était aussi difficile à dire qu'il était facile d'attribuer l'ouverture de ce qui semblait être sa propre tombe à un autre rôdeur, tel que … _____________ Si je suisCe que j'ai fait De ce que les autres ont fait
De ce que je suis Alors Je ne suis pas |
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Lise Errandi Hystérique

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Ven 20 Juin 2008 | 22:51 |
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Ann n'avait aucune idée du pourquoi, du comment et du par qui elle avait atterri dans ce parc de bourges - et, bien sûr, cela n'était pas du tout à son goût. Alors, faute de mieux, elle explorait les lieux, fantôme lent et alerte dont les yeux noirs enregistraient scrupuleusement jusqu'au moindre détail. Que du beau, du propre, du soigné, du brin d'herbe taillé en pointe; pas même un mésireux crachant ses poumons sur le bord d'une allée. L'endroit était désert, propre et désert. Elle n'était pas dans son élément.
D'où l'appel du brouillard - plus vaseux, plus familier: rassurant.
Ainsi Ann Strokes déambulait, l'oeil aux aguets, entre les tombes. Les rayons d'un soleil obstiné perçaient la nappe planante du brouillard stagnant, faisait luire les particules de je-ne-sais-quoi, du diamant en fusion. Seule, du moins en apparence, elle se sentait bien, presque détendue malgré la bizarrerie des circonstances. Elle aurait aimé effleurer du bout de ses doigts noircis le granit paternel d'une stèle massive et franche. Mais les tombes étaient sans croix, anonymes, orphelines. Enlevant un peu de beauté à l'état le plus glorieux du genre humain: la mort, où les plus variolés semblaient dignes.
Ann joignit ses mains fines, ses mains jaunes, blanches et noires autour de sa bouche, et alluma une cigarette. Elle laissa tomber l'allumette sur la terre meuble et, tout en marchant, renversa la tête en arrière, s'abandonnant un instant. Sentant la toux proche, elle ferma les yeux et inspira un peu plus profondément. Alors son pied nu et onguleux heurta la pierre de la tombe béante, et un juron enseveli de fumée lui déchira la poitrine.
Bonjour la discretion.
Pliée en deux, ou presque, Annet frappa du poing sur sa poitrine en battant l'autre bras pour dissiper la fumée, ou le brouillard, elle ne savait plus, qui s'était agglutiné autour d'elle, obstruant sa précieuse visibilité. Bientôt, elle fut en mesure de s'apercevoir que tout n'était pas, bien sûr, tout à fait normal. La tombe était ouverte - et, tout bonnement, il y avait quelqu'un à l'intérieur. Logique.
Sauf que non. Il n'y avait pas de cercueil, boîte de fortune, linceul ou même os rongés ou garnis au fond du trou. Rien qu'une silhouette blanchâtre, pas épaisse du tout et tout à fait ridicule. Il y avait de la grande dame en chemise de nuit et de l'interné en camisole, du poupon dans ses linges et du clown larmoyant. Une jeune fille, ou un jeune homme, allongé et raide comme un docker dans la froideur mordante du tombeau. Vivant, mort? Mort, mais bien mieux soigné qu'elle. Un peu à l'image de ce parc, d'ailleurs: impeccable et grotesque, parce qu'entre le fantasme et la plus franche matière, dépleuplée mais ambiguë. Mais assez de questions, d'interrogations stériles.
Annet brandit ce qu'il restait de son mégot au dessus de la tombe, côté visage. Sous son impulsion, des cendres rougeoyantes tombèrent à l'intérieur. Elle se retint de tout de suite gratter une allumette. S'il dormait, eh bien, elle le réveillerait. Sinon, il fallait bien qu'il disparaisse, de toute façon. Elle honorerait le mort ! - et cette pensée lui arracha un éclat de rire bref, comme un aboiement.
Eh, toi, tu dors? lança-t-elle bêtement, nécessairement, de sa voix revêche, vulgaire et attrayante d'enfant des rues. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Mar 24 Juin 2008 | 15:46 |
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Comme Ann Strokes prononçait ces mots, un frémissement parcourut le visage livide du clown déchu -si infime qu'on n'aurait pas su dire s'il s'agissait là de la réponse aux sons indistincts qui le tirait de sa torpeur, aux cendres déjà froides se déposant lentement, comme de la neige, sur son faciès pâle, ou à un rêve dérangeant qui l'acculait jusque dans son coma.
Puis le pierrot leva lentement une paupière, et le visage flou d'un humanoïde se fixa derrière une pupille noire comme le néant qu'encadrait un iris bleu comme les glaciers.
L'œil était dans la tombe, et regardait la folle.
L'être couché dans la tombe s'éveillait, mais n'aurait pas su dire pourquoi -logique, puisque avant cela son esprit se traînait encore dans le royaume des rêves. Il tenta de se remémorer les errances sublimes dont Morphée l'avait gratifié, mais ne put se souvenir que de fragments épars, et sans sens. Il y était question d'un château, de ça il se souvenait ; mais aussi de noirceur, absolue, d'un train … et d'un manège.
Sous lui la pierre inerte luttait contre la vie tandis que la fillette revenait au statut d'animal à sang chaud ; elle se trouvait dans un couloir de pierre, débouchant sur un monde blanc et brumeux où se détachait une silhouette indistincte. Quelque chose démangeait son œil ; elle mit plusieurs secondes à le cligner. Sentant dans son dos un mur froid, elle finit par se dire qu'elle devait être allongée, plutôt que debout. C'était une position normale pour un dormeur, après tout. Que faisait-elle déjà, avant que le sommeil ne la prenne ?…
C'est alors que l'internée constata avec horreur qu'elle ne se souvenait pas de sa vie d'avant son rêve. La stupeur fut telle qu'elle ouvrit son second œil, avant de le cligner aussitôt. Maudites poussières !
La panique referma sa main froide sur sa poitrine ; elle se redressa brusquement, les yeux exorbités, frissonnante : bordel, qui était-elle avant que ne se penche sur elle cette inconnue ?!? Que faisait-elle dans cette … tombe (!) et cette tenue grotesque (!!) ?!?
Elle se souvenait d'un nom … Lise Errandi. Mais peut-être n'était-il qu'un pseudonyme. De froid et de brume. Mais c'était à la fois l'univers de son rêve et de son présent, probablement pas celui de son passé … le temps d'avant sa rencontre avec cette femme aux cheveux bruns et aux yeux en tunnel qu'elle dévisageait intensément à présent. Ignorant les cendres qui pleuvaient -fermant les yeux l'un après l'autre, malgré la brûlure, de crainte de perdre de vue celle dont l'apparition coïncidait avec son réveil.
De là à la tenir responsable de tout, il n'y avait qu'un pas que Lise -ou quelque chose comme ça- ne tarda pas à franchir.
"COMMENT VOUS AVEZ OSÉ ME FOUTRE LÀ-DEDANS ?!?", hurla-t-elle dans un glapissement catharsique.
En vérité, Lise n'était pas persuadée que cette fille avec son pu**** de mégot ait tenté … tenté quoi d'ailleurs ? Elle ne savait rien ! Elle retournait déjà dans les ténèbres ignorantes d'où elle sortait, mais en avait maintenant conscience ! Et son seul recours était de crier sa frustration en espérant désespérément la clef de son existence, et de son lien avec l'inconnue. _____________ Si je suisCe que j'ai fait De ce que les autres ont fait
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Lise Errandi Hystérique

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Mer 25 Juin 2008 | 22:38 |
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Voilà que le gus s'était éveillé - et, non content de ne rien ressentir au contact de ses cendres, s'était mis à brailler. D'une voix un peu trop aiguë d'ailleurs; le jeune homme devait être une jeune femme. Ou ce qui y ressemblait.
Le vécu de cette situation par Ann devait être à l'exact l'opposé de celui de Lise.
Lise s'éveillait; ses perceptions étaient floues et son esprit embrumé. Ann, elle, n'avait pas oublié une seule maille de son passé - à part celle, certes, non la moindre, de son arrivée dans ce parc. Dans les brumes du cimetière, elle voyait tout ce qu'il était humainement possible de voir.
Lise était perdue, paniquée. Elle gueulait. Elle était sous le sol et tout à fait à sa merci. Ann s'amusait beaucoup de la situation. Quasiment sûre qu'il n'y avait personne d'autre ici, elle était sereine. Rien qu'elle et cet être perturbé, qu'elle dominait de toute sa hauteur. Ah, on rigolait moins, quand ce n'était pas elle au fond du trou!
Ecoutant d'une oreille rêveuse les paroles de l'adolescente se cogner contre le brouillard, le transpercer peut-être (ce qui aurait été plus problématique), Ann gratta une nouvelle allumette sur la stèle et l'approcha de sa bouche. Elle se rendit compte alors qu'elle n'avait de cigarette, et ricana. Elle jeta négligemment l'allumette enflammée dans la fosse, et s'assit sur la pierre dure de la stèle.
Oh, eh bien, j'ai pensé que ça serait drôle. J'espère que ton costume te plait. On m'a dit qu'il n'était pas inflammable. Enfin, presque.
Elle souriait. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Ven 27 Juin 2008 | 15:51 |
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Ce que Lise espérait depuis son réveil, il y avait de cela presque une petite demi-minute (le temps passe vite, quand on y pense), c'était qu'on apporte la lumière sur sa vie opaque ; mais elle ne s'attendait pas sincèrement à ce que sa requête implicite soit exaucée, et encore moins de cette façon-là : au sens propre du terme.
Un lumignon embrasé lui fut jeté depuis l'extérieur de sa geôle de terre tassée. Par réflexe plus que par raison, le clown blanc se carra dans un angle de la tombe et parvint à esquiver la lumière -son costume exécuta admirablement la même performance malgré le désavantage évident que représentait son absence de nerfs.
Lise contemplait avec perplexité le reste de l'allumette se consumer sur le sol de sa cellule quand les paroles d'Ann Strokes parvinrent à ses oreilles, et leur sens à son cerveau enfin dégrisé.
Elle demeura interdite quelques longs instants ; elle retournait avec une angoisse croissante les phrases adverses dans sa tête et dans le vain espoir d'y trouver un sens caché beaucoup plus accueillant, qu'elle ne trouva d'ailleurs pas.
Ce n'était pas dans le scénario. Dans l'esprit de Lise, il aurait été normal que sa tourmenteuse nie, soit par innocence réelle, soit par ruse. Elle se trouvait confrontée à un phénomène nouveau : un bourreau fier de son travail. La pauvre adolescente entreprit sur le champ une reconfiguration complète de sa grille d'interprétation mentale, avec acharnement : elle venait de se rendre compte qu'un échec à ce test pourrait lui coûter la vie. Sans compter qu'il y a plus belle façon de mourir que de périr consumé sous une pluie d'allumettes lancées au hasard par une maniaque visiblement blasée, qui avait sans doute prévu suffisamment de munitions pour être sûre de toucher après l'épuisement complet de sa proie fuyante au cours d'interminables heures d'esquives.
Le pire était de ne pas savoir pourquoi ce sort allait être le sien. L'absurdité de sa situation frappait le cœur de Lise plus durement que ses perspectives d'avenir pour le moins restreintes. Il fallait au moins qu'elle sache.
Mais tout d'abord, agir.
Comment aurait réagi une personne normale dans cette situation ?… Probablement en criant et en suppliant son bourreau de l'épargner, exacerbant de ce fait sa soif de sang et se condamnant à court terme à une mort encore plus douloureuse.
Lise en était parfaitement consciente, et c'est pour cela qu'elle s'adressa à l'absence de conscience de celle qui l'avait mise en terre.
"Pourquoi moi ?!? Qu'est-ce que je vous ai fait ?!?"
Lise avait les larmes aux yeux en disant ces mots, mais ses mains jointes en prières ne parvenaient pas à cacher le sourire teinté d'hystérie (normal, me direz-vous !) qui s'étendait sur sa figure si expressive. Malgré tous les efforts qu'elle faisait pour se mettre dans la peau d'un cadavre en sursis, malgré la présence d'un décor et d'un autre personnage bien campé pour installer l'ambiance idoine, elle éprouvait une pointe de satisfaction impromptue à l'idée que si on lui répondait, elle aurait gagné quelques mots sur le gouffre. Elle en saurait un peu plus sur elle-même …
Mais ce sentiment était malvenu -un acteur sur scène se préoccupe-t-il d'autre chose que de son personnage ?-, et en un éclair son sourire fut lavé par des larmes d'angoisse implorantes. _____________ Si je suisCe que j'ai fait De ce que les autres ont fait
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Lise Errandi Hystérique

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Dim 29 Juin 2008 | 22:43 |
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Si Annet fut ravie par le bond qu'effectua Lise, du fond de son bourbier, pour éviter sa petite allumette, le long silence d'incompréhension dans lequel s'emmura l'adolescente la contraria. Voilà qui n'était guère amusant - et elle n'avait pas l'intention de demeurer ici pour jouer les garde-malades ou autres salvatrices. Elle avait tant encore à découvrir sur ce lieu inconnu.
Cependant elle ne s'était pas encore levée que le manège se relançait, avec le cri désespéré de l'autre zouave. Le tout accompagné de deux yeux larmoyants et autres postures propres à inspirer une pitié qui, face à la rudesse des nécéssités matérielle, avait depuis longtemps abdiqué dans le coeur d'Ann Strokes.
Elle admira le jeu, cependant. C'était trop vrai pour être honnête - et elle devait se méfier, peut-être, de la poupée blanche de fosses communes.
Mais le trou était profond: pour l'instant, il s'agissait surtout de se distraire.
Annet ricana. Regardant Lise bien en face, elle se fendit d'un large sourire, pencha la tête sur le côté et murmura, mielleuse: Oooh… comme c'est touchant!
Nerveuse de n'avoir aucune cigarette entre les mains, elle tripotait inconsciemment les arrêtes de son genou gauche - ce dernier tic lui ôtant, par son ambiguïté, de sa maestria.
Mais ça n'est pas la bonne question… la bonne question, c'est: qu'est ce que tu me donneras pour que je ne fasse rien?
Elle demeurait toutefois diablement persuasive. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Mar 01 Juil 2008 | 16:10 |
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"TOUT ! Tout ce que vous voulez, sanglota Lise avec conviction, je vous en prie, ne me faites pas de mal …"
Elle avait répondu sans réfléchir, par réflexe : elle était l'innocente victime d'une entité cruelle et absurde, l'autre était son bourreau sardonique, et leur dialogue était cousu de fil blanc au même titre que le fameux costume inflammable dont on l'avait affublé.
"S'il vous plait …"
Cependant son cerveau travaillait presque indépendamment de sa carcasse. L'exécutrice ne semblait éprouver aucune pitié pour sa captive -sur ce point, au moins, tout avançait bien- ; elle lui proposait pourtant … une échappatoire ? Une raison de l'épargner ?
Mensonge. Mensonge. Une feinte pour briser ses espoirs, une manière de l'humilier en lui faisant comprendre que sa vie même n'avait plus d'importance, voila ce qu'était cette question oratoire. Il ne pouvait pas en être autrement.
C'était dans le script.
Pourtant Lise se surprit à chercher un argument véritable pour plaider sa cause désespérée.
"Par pitié !"
Mais quel intérêt avait-elle pour la vie ? En s'humiliant elle pouvait gagner quoi ? Un sursis, quelques journées vides passées enfermée entre quatre murs, un sol minéral et le ciel ironique ? Une semaine à tenir, peut-être, grâce à l'eau de pluie, avant que la faim ne la couche à jamais dans ce qui avait été conçu comme sa tombe, et que ce qui avait été son passé ne s'émiette dans le noir, sans personne pour le sauver de l'oubli dévorant ?
À quoi bon ! Alors qu'elle tenait le rôle de sa vie ! Qu'est-ce qui l'empêchait de jouer l'électron libre, de saccager la pièce, de foutre le scénario en l'air, de jouer la résistante ? Son agonie serait longue -mais elle mourrait ! Engloutie dans une pluie de feu doré ! Magnifique ! D'une manière encore plus spectaculaire peut-être si elle arrivait à énerver sa kapo jusqu'à l'extrême !
Ses yeux brillaient, et ses larmes de crocodiles évoquèrent une lueur de défi -rien qu'un instant. Puis elles redevinrent la marque d'un martyr intérieur.
Lise avait voulu hurler, braver les dieux de la mort, cracher sur le visage de l'enfer. Et quelque chose la retenait ! Pourquoi n'avait-elle pas le cran de passer à l'acte, de jeter son masque égaré pour en prendre un guerrier ? Pourquoi son instinct lui hurlait-il de n'en rien faire ?
Puis elle comprit. Elle dut se retenir de ne pas rire tellement ce que sa Muse lui soufflait était à la fois jubilatoire et grotesque.
Elle avait l'oreille du destin, et celui-ci avait fait mine de l'épargner. Son rôle lui intimait de le persuader de lâcher prise, de laisser s'envoler la colombe ; mais si maladroitement que le destin n'aurait pas d'autre choix que de contracter ses serres jusqu'à la tuer. Une satisfaction éphémère pour qui avait la soif de sang ; mais l'attention s'écoulerait avec la vie, et Lise ne serait bientôt qu'une victime de plus à oublier.
Si elle mourait, elle obtiendrait le rôle de sa vie, une pluie de lumière sur le tombé de rideau -la Mort agacée passerait ses nerfs sur une autre victime pour oublier la révoltée. Mais si ce divertissement n'effaçait pas la colère, le temps s'en chargerait …
Au bout du compte, l'oubli. Partout. Noir. Ténébreux. Un seul regard, puis la nuit.
Sa tortionnaire feignait de vouloir l'épargner -eh bien qu'à cela ne tienne ! Convainquons-la ! Tout tueur obéit à sa propre logique -bien qu'elle soit tordue et cruelle, il suffit de la trouver pour manipuler le meurtrier ; le dialogue que celui-ci acceptait était déjà une ouverture. Et si la folle laissait la vie à Lise, il s'en faudrait de peu pour qu'elle lui laisse la liberté ! Un seul pas, un pas en dehors de la tombe ! Et alors …
Lise fut traversée par la vision de milliers de visages la regardant avec attention. Le monde était si vaste … Des milliers de spectateurs … Des milliers d'amitiés … Des milliers de mains qui la tirerait du néant. La vie, enfin ! Le passé et le futur réunis !
Un plan … ridicule, n'est-ce pas ? Un délire stérile, impossible de s'en tirer, tout avait déjà été joué, Lise mourrait dans cette fosse.
Peu lui importait.
Selon toutes probabilités, elle mourrait ; elle serait torturée dans des souffrances qui dépassent l'imagination, avant de disparaître ; mais peu lui importait. L'attirance de la foule était trop forte.
Un millier de publics …
La tonalité des suppliques de Lise se modifia imperceptiblement quand elle murmura, juste assez fort pour être entendue :
"J'ai des capacités que vous n'imaginez même pas … Je vous en prie, laissez-moi la vie sauve … Je serai votre esclave pour l'éternité. S'il vous plait …"
En apparence, un être pathétique, brisé, prostré dans un angle de sa cage. En réalité, un serpent hypnotisé par un rêve d'un million de regards. _____________ Si je suisCe que j'ai fait De ce que les autres ont fait
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Lise Errandi Hystérique

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Ven 04 Juil 2008 | 22:37 |
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Ann aurait pensé qu'il serait plus agréable de se faire supplier. En fait, une fois la première bouffée d'orgueil passée, c'était juste ennuyeux.
Il faut dire que la jeune fille se surpassait de banalité. Ses premières suppliques ne firent pas rire Ann une seconde fois - et elle détourna le regard de celui, larmoyant, de son interlocutrice. Non parce qu'il lui inspirait pitié ou quoique ce soit - bien que la jeune fille, prostrée contre son bout de terre, soit franchement pitoyable. Non: juste à cause de l'ennui, qui vint tout à coup étirer sa mâchoire. Ann baillait sur sa stèle.
La seule chose qui la maintenait dans son perpétuel éveil était l'absence de tabac, qui la rendait nerveuse, et ce brouillard enveloppant qui masquait les ombres lointaines.
Toutefois, Lise eut un sursaut de génie.
J'ai des capacités que vous n'imaginez même pas … Je vous en prie, laissez-moi la vie sauve … Je serai votre esclave pour l'éternité. S'il vous plait …
Annet la regarda, marqua une pause, puis s'esclaffa franchement. Elle n'avait même plus l'air méchante. C'était trop bien trouvé!
Des capacités, ah oui? Quel genre de capacités, par exemple? répondit-elle entre deux éclats d'un rire naturellement si machiavélique qu'il demeurait inquiétant. Si tu m'amuses encore, je te laisserai peut-être en paix, mon petit singe savant… susurra-t-elle, une lueur de perversité dans le regard, avant de laisser couler le silence - dans l'attente peut-être des tours et merveilles de Lise.
Elle avait l'air beaucoup plus sérieux, voire grave et dédaigneux, lorsqu'elle reprit:
Quant à être mon esclave… tu me fais bien rire! "Mon esclave pour l'éternité"? Tu as lu ça dans quel roman?
Au final y'en a pas un qui sort du lot… A peine tu seras sortie de là que déjà tu m'auras planté un poignard dans le dos, après m'avoir promis ton amour. Et tu auras raison… c'est la jungle n'est ce pas.
Ainsi, au final tu es juste comme les autres - en plus ridicule. Je ne suis pas née de la dernière pluie. Qu'est-ce que tu crois?
Je me lasserai peut-être de ton petit numéro.
Elle regarda au ciel et sembla s'évader, un instant. Puis murmura, ingénument, un genou dans la main:
Quand le public se lasse, les souris flambent…
Tu n'aurais pas du tabac dans un pli de ton costume, par hasard? _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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Sam 05 Juil 2008 | 16:50 |
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Le public s'ennuyait.
Pour lui, Lise n'existait pas.
La comédienne s'effondra tandis que le monde intérieur qu'elle s'était bricolé en urgence s'effondrait déjà, consumé par des flammes ricanantes.
Les membres laissés à l'abandon, Lise avait tout l'air d'un pantin de latex blanc à l'échelle, et particulièrement réaliste ; pantin dont une ficelle invisible relevait le crâne lisse, de telle sorte que le regard atone de la chose transperçait l'air en direction de l'apprentie fossoyeuse.
Elle marchait sur une piste, et le vide s'était rouvert sous ses pas … Invisible car indescriptible, et indescriptible car inexistant. Il ne lui restait plus que quelques lambeaux de passé …
Son rêve en fusion.
Un souvenir de l'attitude qui l'avait menée jusqu'ici -un bien mauvais sujet visiblement. Anticiper sur les souhait d'autrui : à proscrire. Comportement sans cohérence avec les pensées, elles mêmes incohérentes : une gloire illusoire, sans rapport avec le caveau où elle nourrirait bientôt les vers.
L'Autre. La femme qui pouvait donner un sens à sa vie, et qui s'y refusait. Bourreau sadique mais morne. Physique inexploitable. Se propose de détruire son jouet cassé. Craint de le libérer, car a peur de lui. Peur des trahisons. Peur de tout. Paranoïaque. Il y a toujours de la peur chez les êtres cruels. Pas de centre d'intérêt particulier. S'ennuie.
S'ennuie.
S'ennuie.
Lise partit en improvisation, et s'agrippa fiévreusement au premier canevas à sa portée sur lequel elle se voyait broder …
Elle laissa retomber sa lourde tête, et y porta sa main délicate dans un effort dérisoire pour la soutenir. Tellement dérisoire d'ailleurs qu'un sourire amer venait d'éclore sur ses lèvres trop fines, un sourire à l'image des rides que son front soucieux venait de générer.
"Nan. Je n'ai pas l'intention de me laisser bouffer par ces pourris de l'industrie du tabac, et crever comme un chien -comme toi- d'un cancer du poumon. Dommage, hein ?"
Elle releva la tête vers sa spectatrice -elle le serait d'une manière ou d'une autre. Point barre.- et ricana avec un léger accent de démence parfaitement imité.
"Tu devrais peut-être demander à mes semblables, pas vrai ? Mes voisins. Pas très causants, hein ? Mais peut-être bien qu'ils ont des clopes dont ils ne se servent pas, eux. En fait c'est ta seule option : ce sont les seuls à pouvoir combler le manque qui va bientôt te consumer, comme une … flamme ?"
Elle se remit à rire, plus fort cette fois, cruellement.
"Autant t'habituer tout de suite à leur adresser la parole : tu les rejoindras tôt ou tard. Pas comme moi. Moi je suis à l'abri, dans ma tombe, comme ça. Ironique, n'est-ce pas ? Une tombe est la planque parfaite : personne ne vient nous embêter. À part ceux qui nous nourrissent, bien sûr …"
Disant cela, elle considérait son modèle avec une empathie nouvelle. Tu veux jouer à ça ? D'accord. Le client est roi. _____________ Si je suisCe que j'ai fait De ce que les autres ont fait
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Lise Errandi Hystérique

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Ven 01 Aoû 2008 | 20:06 |
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Le genou d'Annet était tombé de sa main, son pied foulait le sol à nouveau, une légère tension dans le mollet. Presque debout, la jeune femme contemplait l'Errandi, un vif regain d'intérêt dans le regard. Ann ne s'ennuyait plus.
Surprenant, ce rire semblable au sien qui avait remplacé les gémissements, tout à coup, si déplacé - si déplacé pour une jeune fille qui était si dangereusement à sa merci. Une belle assurance, motivée, par quoi? Elle ne croyait pas trop à de réelles capacités, qui auraient permis à l'autre de sortir du trou ; non, la folie, plutôt. Mais toute folie distrayante était bonne à prendre. Et, distrayante, la folie des autres l'était presque toujours.
Ici, c'était des mots inconnus, jamais encore entendus. Cancer? Clope? Les sourcils bruns d'Ann s'étaient levés, et elle fixait l'inconnue avec une perplexité, une curiosité, peut-être, grandissante.
Les paroles de Lise n'en restaient pas moins dénuées de sens, confinant de ce fait au ridicule qui demeurait la seule constante de son attitude.
Croisant les bras sur sa poitrine, oubliant presque de percer les ombres inquiétantes qui stagnaient derrière elle, Ann continua de regarder la jeune fille, apparemment très calme - puis répondit d'une voix nasillarde qui tirait vers l'ironie:
Ca serait trop beau de crever du tabac, j'ose pas trop espérer. Espère pas trop non plus, on crève tous comme des chiens - toi, moi, la reine mère. Moi, ça me convient comme flamme - plutôt qu'une autre merde. Chacun sa dépendance, pas vrai? Y'en a bien qui sont amoureux, eh, je suis bien lotie! Mais t'aurais tendance à oublier que t'es plutôt mal placée pour causer de dépendance et de vulnérabilité… pas vrai?
Elle sourit gris, décola son dos maigre de la pierre froide de la tombe, et fit un pas ou deux en avant, de manière à surplomber la fosse. Ses orteils balayèrent un peu de poussière, qui tomba au fond du trou.
Pas vrai, hein? répéta-t-elle, riant presque par avance. En sécurité, tu dis? Comment tu dis? A l'abri? Ca te suffit pas comme connerie de parler aux morts? Il faut que tu en oublies ta situation et la mienne… à l'abri, tu dis? Une planque parfaite?
Et elle donna un grand coup de pied dans le sable.
Une motte de terre fut projetée et vint fouetter, en contrebas, le visage blême de Lise. Ann avait éclaté d'un rire beau, et sa jambe vint heurter à quatre reprises le sol qui, peu à peu, s'écroulait dans la cachette idéale du pantin mis à mal. _____________ Il suffit d'Une étincelle... pour que Tout s'embrase. |
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Ann Strokes Paranoïaque

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