Un chemin vaut l'autre
De l'autre côté du miroir
L'Asile
FAQFAQ  RechercherRechercher  FamillesFamilles  DossiersDossiers  S'inscrireS'inscrire
ProfilProfil  Se connecter pour vérifier ses messages privésSe connecter pour vérifier ses messages privés  Enfiler sa camisoleEnfiler sa camisole

Un silence explosif

Ouvrir un nouveau dossier  Compléter le dossier   L'Asile > Le cloître
Message Dim 04 Mai 2008 | 22:04  Répondre en citant

Apaisement souverain des compulsions et ruminations immuables, insupportables, ressassées sans lassitude par un esprit trop craintif de son propre néant. Impérieux anéantissement des tourments intellectuels malsains mais pourtant si réconfortants, oh, sans mensonge, pour la première fois peut-être elle ose se confronter à sa propre conscience, lui confier cette terreur cicatricielle de perdre son identité déjà défaillante au contact d'une peau bienveillante…

Submergée par l'intense valse sonore, bouleversée et ondulatoire, d'un sang au flux brûlant sous la chair nerveuse du spectre provocateur, moite d'un grisant sursaut d'avidité sensuelle jusqu'alors retranchée aux hautes tours d'une psyché sentinelle. Engloutie toute entière par la douceur de cette peau inconnue aux veines émotives, cette force passive contre sa violence contenue, tout contre, au plus près de ce qu'elle prend tant de peine à détruire et à cacher… Sa faiblesse, ce déchirement intense au creux de sa poitrine, cette brûlure intime lorsqu'entre deux souffles courts la tendre plainte reconnaissante fait convulser ses sens et rouler des larmes, mêlées délicieusement de salive et de sèves… Fusion impensable, instinctive, bravant ses tabous incompréhensibles, lui offrant un bref instant de sérénité, de chaleur réconfortante dans l'oubli total de sa propre personne.

Les paupières papillonnent, en proie aux pesants filaments cotonneux du plaisir, alourdies par la chaleur qui commande le repos au corps rassasié. Affaissée contre la colonne, la chemise froissée déboutonnée et les boucles lourdes engluées de lymphe tiède, la jeune femme ne lutte plus. Enfin. Quelques secondes encore, se délecter, se gorger de silence, de cette respiration calme sur sa cuisse nue, endormie peut-être, apaisée tout comme elle, quelques secondes de trêve, encore… Elle contemple les longues allées immaculées, adoucies par la pluie vaporeuse qui commence à tomber sans la faire frémir, se contente de caresser ses joues, ses seins, son front, comme par mimétisme doux de l'heure écoulée. Le rythme de son coeur s'est à nouveau estompé.

Par habitude, ou pour s'empêcher de savourer plus longtemps le goût inconnu qui palpite encore au bord de sa langue, Céleste allume une cigarette. Apreté rituelle, apaisante. Enroule l'écharpe de laine autour de son cou, les aiguilles encore à l'intérieur, sans y prêter attention. Puis, sans contrainte ni inquiétude, encore engourdie tièdement, baisse les yeux vers Fallom, dont le crâne ébouriffé et les poings crispés émergent des vêtements humides, froissés. Une petite voix rauque de fumée vient bourdonner à l'oreille de la jeune femme.

Allez, dis lui… Qu'on en finisse. Tu en meurs d'envie.

Je ne dis pas ça.

Tu te trompes : toi, tu es capable de ce genre d'âneries. Moi pas. Alors dépêche toi avant que je ne reprenne le gouvernail de ta stupide et fébrile petite conscience égarée…

D'un mouvement brusque de la nuque, Céleste envoya valser son double sonore dans les tréfonds de son esprit encore sereinement vidé de peurs absurdes, et comblé agréablement par ce furtif instant de consolation mutuelle. Une bouffée de tabac. Deux doigts maladroits qui se glissent avec plaisir dans la chevelure sale, puis s'en échappent rapidement, par pudeur ou par honte.

Merci à toi.

_____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Sam 31 Mai 2008 | 15:09  Répondre en citant

L'esprit s'en est allé retrouver les songes sur le dernier murmure qui a franchi ses lèvres. Il n'entend pas la réponse donnée, soudain terrassé par la trop forte dose d'émotions. Une vague le soulève, caresses et morsures enchainées, le corps bercé puis entrainé dans une danse rapprochée, un frottement de corps au rythme lent ou non, une frénésie furieuse, bouillante où l'esprit se perd, se fond dans un torrent de lave, réduit a ses instincts primaires. Les sensations se décuplent, les corps se multiplient, il est submergé. Une orgie sans limite dans laquelle se défoulent tous ses fantasmes soudain libérés par un seul acte. Sensation terriblement excitante, et passablement terrifiante, se retrouver le jouet de mille bras, jambes et sexes le manipulant comme une marionnette. Le décor change, se trouble, la peur arrive, insidieuse tout d'abord, partie prenante de l'excitation du moment pour en arriver à la torture pure et simple.

Un hurlement silencieux, deux paupières s'ouvrent brusquement. Il fait sombre. Ses mains cherchent un réconfort, retrouver la sensation de bien être qui avait précédée ce sommeil houleux. Mais il n'y a personne. Trahi à nouveau. Se cacher, vite. On l'observe toujours, sûrement. Ils ont assisté à tout sans doute. Une arme contre lui. Un instant de faiblesse cruel.

_____________
Comment ne pas craindre ceux qui nous touchent le plus
Fallom Tenk
Paranoïaque


Message Sam 31 Mai 2008 | 16:10  Répondre en citant

La nuit est tombée, un linceul protecteur de pluie fraîche et d'obscurité baigne à présent le cloître où vagabondent encore les deux âmes. Assise dans un recoin sombre, accroupie contre une colonne de pierre froide, Céleste écrase son mégot et allume une nouvelle cigarette. Maladroitement rhabillée, luisance opaque de la sueur entre les seins. Les yeux d'un gris de carbone écarquillés, rivés sur la créature indistincte recroquevillée au sol, boule de chair pâle ébouriffée dont émane encore la chaleur apaisante, suave et cotonneuse dans laquelle elle-même baignait encore quelques instants plus tôt. Pourquoi avait-elle fui, dès les premiers signes de réveil ? Et plus encore, pourquoi ne pouvait-elle à présent quitter les lieux, définitivement, oublier cette trêve enfiévrée et dévastatrice qui lui donnait soudain la sensation de n'être plus qu'une enfant constatant les dégâts irréparables d'un moment d'insouciance ?

Peureuse. Trouillarde. Même pas capable d'assumer une partie de jambes en l'air. Quoi, ça faisait trop longtemps, t'avais oublié ce que c'était ? Moi j'ai trouvé ça plutôt pas mal, c'est bien quand tu me laisses un peu m'exprimer…

Mensongère. Pas une, pas deux, pas trois Céleste. Toutes. Toutes celles qui s'étaient réfugiées lors des années d'oppression psychique au creux chaud et humide de ses entrailles où la tendresse était bannie, celles qui encore jamais n'avaient osé élever la voix s'étaient mises à crier de concert, palpitantes, brûlantes, obscènes délicieuses, libérées soudain par une simple main qui s'accroche à la nuque, par cette chair enfiévrée qui englue, pénètre, embrase, électrise et emporte l'âme de Céleste engourdie de jouissance. Par une, par deux, par trois fois Céleste avait décroché du réel sordide, emportée dans la danse orgiaque et libératrice avec une fraîcheur qu'elle ne se connaissait pas, se faisant tour à tour accueillante dévouée et complaisant bourreau.

Ta gueule, marmonna-t-elle.

Ah…! Alors c'est ça. Petite garce ! Tu voulais juste te servir de lui, pas vrai ? Un simple objet de jouissance, un défouloir, une occasion de vomir un peu tes pulsions. Ça me rassure, je commençais à croire que tu avais des sentiments…


Ta gueule ! Tu ne sais pas de quoi tu parles !

Céleste plaqua une main devant sa bouche où s'accumulait la fumée. Elle avait hurlé beaucoup plus fort qu'elle ne l'aurait imaginé, et sa voix rauque s'était répercutée sur l'enceinte de pierre froide. Le sang lui montait aux joues et les yeux écarquillés s'ouvrirent davantage encore pour résister à l'envie subite et impérieuse de partir en courant, de détaler à toute vitesse très loin de l'être ensommeillé qui soudain relevait la tête vers elle avec un air d'angoisse et de colère. Animal traqué. Elle aurait dû partir immédiatement, tout cela ne devait pas se produire, et même si c'était terriblement déli… Non, connerie, implacable idiotie qui s'emparait d'elle depuis qu'elle avait prêté sa chair au plus doux des exutoires ; maintenant elle était prise au piège, incapable de bouger et de détourner les yeux de l'homme qui semblait la fixer, l'avait-il au moins remarquée, avait-elle encore une chance…? Immobile, débraillée, le regard luisant, Céleste n'osait plus bouger.

_____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Mar 10 Juin 2008 | 0:49  Répondre en citant

Elle les avait aidés. Il n'y avait que cela pour expliquer la disparition après ce moment. On l'avait piégé, oui, englué dans la toile d'odeurs enivrantes, attiré par la faiblesse, une futile impression de trouver quelqu'un qui ne pourrait pas lui faire trop de mal, dont il se méfierait moins. Il ne comprenait pas encore comment on l'avait mené là, par quelle influence sur ses faits et gestes. Les révélations sur son invisibilité étaient-elles faites pour le distraire ? Leur permettre de mettre en place une scène qui lui ferait baisser les barrières de méfiances, accepter ce besoin de compagnie, refuser la solitude, lui faire éprouver ce que cela faisait de sentir le contact d'une autre peau, de subir les délices d'une personne externe à son petit environnement protégé.

Elle les avait certainement aidés. Ils n'avaient pu la manipuler elle aussi, si ? Cela demanderait de trop inquiétantes ressources intellectuelles. Rien contre quoi il puisse lutter. Rassembler deux êtres dans un endroit si calme habituellement, rassembler deux âmes isolées. Cela demandait trop de recours au hasard. Ils l'avaient prévenue. Forcée sans doute. Conditionnée peut-être. Oui, oui, ce devait être cela. Non elle ne pouvait avoir fait cela de son propre gré.

Il faudrait s'isoler, se réfugier à l'abri de tous ces yeux inquisiteurs. Mais il ne peut pas bouger.

Elle va revenir. Oui. Tout ne peut pas se terminer maintenant !

Reviens…

Un murmure minuscule, à peine un soupir. Personne ne pouvait l'entendre. Ses lèvres ont à peine bougé. Et une réponse soudain.

Ta gueule ! Tu ne sais pas de quoi tu parles !

Un sursaut sur ces mots sans appel. Elle ne reviendrait pas. Plus de chaleur. Encore un long moment à errer dans les couloirs froids, dans les ombres. Ses yeux exorbités fouillent les environs, mais ne voient rien. L'obscurité dissimulait bien trop de choses, bien moins agréables lorsqu'on ne s'en servait pas soi-même pour masquer sa présence. Une contraction soudaine dans sa poitrine. Plus d'air, les colonnes se troublent encore un peu plus après la pluie. Bom. BomBom. BomBomBom. Le coeur s'accélère, tout s'accumule brusquement, s'agrège au centre de son être. Toutes les images de frustrations passées se superposent, reprennent leurs droits sur le cerveau qui les avait libérées quelques fragiles instants, se concentrent en un noyau de colère. Petit corps tendu sous la pluie, il tenta de masquer les tremblements en serrant les poings, fragiles serres osseuses. Les ruisseaux s'écoulant sur ses joues se réchauffaient doucement, roulaient le long de ses membres encore nus.

Reviens ! Viens affronter ton oeuvre !

Sursaut de fierté du petit homme. Une voix pleine de fiel. Bien éloignée du premier murmure. Quelle importance qu'il ne comprenne pas. Il ne sait peut-être pas de quoi il parle. Il ne saurait le définir. Mais elle devrait l'affronter.

A moins que tu n'en saches pas plus.

_____________
Comment ne pas craindre ceux qui nous touchent le plus
Fallom Tenk
Paranoïaque


Message Mer 11 Juin 2008 | 18:47  Répondre en citant

Céleste restait figée dans l'obscurité, ses pupilles nerveuses vagabondant sur le corps du petit homme à présent redressé et qui la provoquait d'un ton plus orageux qu'elle ne l'en aurait cru capable. Sortir de sa cachette ? S'affronter ? Plutôt lui éclater le crâne contre une colonnade et le laisser se vider de son sang tandis qu'elle s'enfuirait, oui, en voilà une possibilité éclairante qui traversa subitement l'esprit de la jeune femme. Mais Céleste n'en avait pas envie. Ni l'envie, ni la force morale, et cette absence totale de cruauté sadique envers l'amant réveillé l'agaçait au plus haut point.

La pluie ruisselait sur ses vêtements, rythme vif et constant, s'infiltrant dans les recoins de sa chair brûlante comme pour éliminer toute trace du délit voluptueux. Stupide. Elle se sentait parfaitement stupide, cachée derrière elle-même comme elle le faisait toujours, incapable d'assumer un léger écart à l'apparence indifférente et agressive à laquelle elle se voulait fidèle en toute circonstance. La voix masculine avait déclenché un frisson électrique ; culpabilité nauséeuse, encombrante, et surprise de constater qu'aux doux remerciements succédaient déjà une nouvelle vague d'angoisse et de suspicion chez l'homme hirsute qui l'incitait avec virulence à mettre un terme à sa lâcheté. Elle ne savait rien de lui. Ne voulait rien savoir. Se protéger, trouver un échappatoire à l'intimité née de la situation fautive mais néanmoins délicieuse de rapprochement imprévu; mais…

Comment ce nabot peut-il t'impressionner ? Et de quoi tu as peur, au juste ? Après tout tu y as déjà pensé : tu peux toujours lui exploser la mémoire et te tirer. Au lieu de rester plantée là, à l'observer en analysant tes moindres suintements émotifs !

La jeune femme serra les dents, ravalant sa conscience cynique. Puis elle enfonça ses mains dans les poches trempées de sa chemise défaite, triturant le tissu pour se donner une contenance, repousser un peu la gêne incompréhensible qui s'emparait d'elle : les yeux barrés par ses boucles échevelées, elle avait un air de petite fille prise en faute. Ou d'animal persévérant à ralentir devant les phares incendiaire du véhicule tout proche. Quelques pas, sortir de l'obscurité rassurante, s'exposer au regard sombre du jeune homme qui était parvenu à l'extraire de son immonde et crasseuse carapace de survie sociale pour lui octroyer un bien tout à fait inattendu, inimaginable et que dorénavant elle savait posséder en quantité infime, peut-être, mais bien présente tout de même ; un peu de chaleur humaine. Elle restait à quelques mètres de l'homme, décontenancée, cherchant d'un geste réflexe une cigarette à allumer pour décrisper un peu cette atmosphère insupportable.

Je ne sais pas ce qui m'a prise, je ne voulais pas… Vous… Te blesser. Ce n'était pas mon intention.

Et Céleste de s'enfoncer les ongles dans la paume de la main pour lutter contre les humiliations de son hôte intérieure qui lui reprochait avec suavité son bégaiement honteux ; laissant ses yeux errer le long du corps tendu qui se trouvait devant elle, comme si elle le découvrait pour la première fois.

_____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Dim 22 Juin 2008 | 15:47  Répondre en citant

Déjà il s'en voulait. Quelques paroles et un air contrit et il avait envie de l'étreindre, lui dire que ce n'était rien, profiter un peu plus de l'illusion.

Je ne sais pas ce qui m'a prise, je ne voulais pas…

Il ne fallait en dire plus pour laisser espérer un coeur solitaire, lui faire croire qu'il pourrait y avoir plus, le laisser rêver, son esprit partant sur la vague des années futures, propulsé par une force supplémentaire, une aide inespérée. Sa poitrine se comprima, le besoin de se confier se faisait plus pressant, impérieux, mais quelques doutes bloquaient encore la logorrhée de doutes, peurs et de mépris dans sa gorge. Peut-être cela valait-il mieux. Même si elle était en mesure d'entendre, il ne faudrait pas la faire fuir de suite devant les multiples complots qui se jouaient contre lui. Ne pas l'entrainer dans cette misère.

La colère se poursuivait. Il ne savait vraiment contre quoi elle était dirigée, contre qui. Ce corps fragile qui glissait il y a encore peu sous ses doigts, la longue histoire de ces cicatrices qu'il ne connaitrait sans doute jamais, l'esprit qui semblait se plaire à le plonger dans l'indécision, ou simplement eux, ceux qui rendaient tout cela impossible. La colère se poursuivait et prit pour cible la seule présente, pour son bien.

Pas ton intention ! Et c'était quoi ton intention ! Juste prendre quelques coup de boutoir et t'en aller, sans penser à rien d'autre ? Va jusqu'au bout alors ! Dégage.

Ne pas faire couler de larmes. Juste gueuler, pour évacuer le malaise de ce moment. C'est la pluie n'est ce pas ?

_____________
Comment ne pas craindre ceux qui nous touchent le plus
Fallom Tenk
Paranoïaque


Message Sam 28 Juin 2008 | 11:03  Répondre en citant

Céleste avait plissé les yeux, baissé la tête sous les paroles de l'homme comme sous un coup mérité. Qu'avait-il de particulier pour la rendre aussi docile et coupable par quelques basses insultes tremblantes d'effervescence interne ? Qu'avait-il pour la débarrasser aussi simplement de son blindage trivial mûrement exercé à repousser toute tentative d'intrusion sentimentale ? Elle aurait dû bondir et mette un terme à ce trouble envahissant qui prenait possession de ses muscles et de son esprit nerveux ; elle aurait dû frapper cette chair caressée un peu plus tôt, la meurtrir, la saigner, en faire suinter l'inadmissible tendresse qu'elle sentait poindre dans chaque parole colérique de l'interné, en cerner le mensonge ; car non, on ne la réclamait pas. On ne la désirait pas, on ne pouvait rien attendre d'autre que ce qu'elle avait déjà donné. On ne pouvait pas !

Détruire, violenter, humilier, avorter, voilà son registre d'expression, et il ne contenait certainement pas de notion aussi brumeuse et angoissante qu'aimer, ou rendre de l'amour. Il aurait fallu qu'on le lui apprenne et à présent il était tard, trop tard pour passer du baume sur chaque cicatrice, chaque lynchage soi-disant amoureux, chaque crachat, chaque violence. Elle ne savait plus qu'imiter dans sa folie à deux têtes ces douleurs trop souvent infligées, sans se départir de la rage et de la honte, sans accepter d'en guérir, jamais.

Alors comment avait-elle pu trouver la force aveugle nécessaire à l'étreinte, planquée depuis des années sous les ressentiments et les craintes, la hantise du son de son propre sang accéléré par le désir, et des mains forcément vicieuses qui s'avancent vers sa chair ? Et pourquoi restait-elle plantée là, offerte à ce regard opaque qui l'avait vue nue, qui en avait trop vu, et depuis quand n'avait-elle pas baissé les yeux brûlés de respect, d'envie, d'encore ?

L'esprit de Céleste restait vide de toute intervention schizophrénique. On refusait de prendre part à cette situation oppressante, pas de mauvaise conscience pour la retenir, pas de pulsion meurtrière providentielle qui mettrait fin aux doutes palpitants dans ses entrailles apaisées. L'internée, tête basse, vint se planter rapidement devant le jeune homme et se fit violence pour relever les yeux, effaçant par palier un peu de honte, de terreur, de culpabilité : le ventre tout proche en résonnance avec le sien, les bras maigres, le long du corps, le teint maladif, terreux ; et ces yeux veinés de fatigue et de larmes contenues difficilement.

Envie… Besoin de toi. De partager ces gestes-là, de m'oublier à l'intérieur, de guérir un peu, peut-être ; mes plaies, les tiennes aussi… Je suis maladroite. Je n'y connais rien. Ne m'en veux pas, je n'ai pas voulu te blesser.

Un effleurement des lèvres sur le cou maigre, sous les cheveux hirsutes, indépendant de la volonté de Céleste dont les yeux errent à nouveau sur le sol trempé du cloître. L'odeur rauque des sèves abondantes, du tabac, de la pluie sur la pierre ; et qui ne parvient pas à écœurer.

Ne m'en veux pas.

_____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Dim 29 Juin 2008 | 0:44  Répondre en citant

Ce n'était plus la stupeur qui le maintenait immobile, plus le choc d'être soudain approché, touché, de sentir ce corps contre le sien, la faible chaleur qui en émanait. L'attrait d'une nouvelle déchirure dans ses mecanismes de défense était fort. Replonger dans l'abandon. Mais non, il ne pouvait pas, pas tant qu'il y aurait ces doutes. Son corps tressaillit lorsque les lèvres effleurèrent son cou. L'excitation devint trop forte, trop tangible. Seule reaction, le rejet.

Non ! Ne m'approche pas !

Une voix tremblante, une colère bien moins intense, partagée, ces mots étaient presque une supplication. Une bouffée d'air parfumé des relents de tabac lui traversa les narines à ce moment, peut-être est-ce pour cela qu'il ne la laissa s'éloigner complètement, qu'il saisit l'un de ces bras torturés au poignet. La manche relevée laissait voir de bien nombreuses traces de brûlure, qu'il avait senti lorsqu'elle le serrait contre elle. Mais il ne les avait pas encore détaillées, ne s'était pas rendu compte de leur nombre, de la souffrance presque continuelle qu'elles impliquaient. Son esprit était trop pris alors par d'autres considérations bien plus… animales.

La colère retomba aussitôt. Il revit le point rougeoyant qui s'approchait de la chair. Personne autour lorsqu'il était arrivé. Seulement le cliquetis des aiguilles et des paroles incompréhensibles. L'emotion l'avait sumergé, lui avait fait perdre cette clarté d'esprit qui lui permettait d'éviter leurs pièges, mais il avait provoqué lui-même les premiers echanges de celui-ci, et s'ils pouvaient dresser des chausse-trappes de toute sorte sur son passage, ils ne pouvaient le forcer à faire ses propres choix. Il aurait pu choisir de fuir. Quelque chose d'autre l'avait mené là. Quelque chose qui avait à voir avec ces yeux presque implorants. Un silence s'installa, de très courte durée. Il voulait la croire, en apprendre plus, ne plus sombrer si aveuglément. Il la croyait. Il ne lui en voulait pas. Elle était sans doute également un pion innocent. Et tous les pions ne devaient pas être sacrifiés.

Pourquoi nous font-ils tout ca ?

Un aveu de tristesse, d'incompréhension. Une première étape dans son univers. Lui en permettrait-elle d'autres ?

_____________
Comment ne pas craindre ceux qui nous touchent le plus
Fallom Tenk
Paranoïaque


Message Lun 30 Juin 2008 | 21:22  Répondre en citant

Les muscles de la jeune femme s'étaient figés sous l'exclamation de l'interné, s'interdisant la moindre brutalité, de peur qu'il ne s'effraie encore un peu plus, que sa rage, son angoisse effervescente ne se retourne contre elle à tout instant, au moindre geste hors de contrôle. D'ailleurs, comment pouvait-elle oser croire ne pas en être la cause ; il n'y avait aucune raison pour qu'il partage ses babillements d'émotion, cet élancement qui transperçant la peau faisait naître dans son esprit inculte des questions humaines de nouveaux désirs, profonds, consolateurs, terrifiants. Peur paralysante de l'asphyxier par sa présence toxique, de l'écœurer par ses débordements charnels irrésistibles, cette soif brusque de se fondre à nouveau pour quelques heures, quelques minutes, encore, juste un bref instant, retrouver le silence apaisant, opaque, aperçu trop brièvement au creux des chairs mêlées…

Elle reculait déjà de quelques pas — disparaître, se retirer au moins par respect, par dignité ; cesser de s'imaginer pouvoir éveiller le moindre intérêt — quand la main nerveuse de l'homme agrippa son poignet. Une douleur aiguë se fit cruellement ressentir aux points de pression. La jeune femme sursauta, un geste de violent rejet s'amorça dans son bras blessé ; mais elle se contraignit à rester immobile, à ne pas quitter des yeux celui qui osait la toucher, à cet endroit plus intime qu'aucun autre, sur cette parcelle brûlante de douleur inavouable. Une douleur sourde, amère ; pourtant réveillée par un contact si doux. D'une douceur qui ne voulait pas raviver, pas encrasser les plaies encore vives. Céleste ravala des larmes trop vives pour être déversées ; partagée entre le plaisir instinctif du toucher, peau contre peau, caresse à nouveau, et la culpabilité honteuse d'être ainsi découverte dans sa souffrance, dans sa nudité entière. Envie de disparaître ; non pas loin de celui qui provoque ce trouble, mais en son sein torturé de craintes, de vie contenue.

Il ne lui en voulait pas. Elle ne le répugnait pas. Au contraire, il la touchait là où ça fait mal, où seul un contact neuf peut gommer les violences. De qui parlait-il ? Seconde conscience, personnel de l'Asile, autres internés, fantômes de sa propre mémoire ? Elle n'en avait aucune idée. Ou plutôt si, mais une idée si confuse, si irrationnelle, qu'elle ne savait si elle était née de son raisonnement ou de l'émotion qui la submergeait. Elle regarda la main posée sur ses brûlures, la main juste, offerte. Ses cicatrices, à qui les devait-elle ? Les mêmes réponses s'entremêlaient, innombrables, délirantes. Juste envie de s'accrocher, même du bout des doigts, aux minces filets de partage qu'il lui tendait, l'invitant à se surmonter.

Je ne sais pas, souffla Céleste.

Relevant les yeux, elle ne put s'empêcher de dévisager encore une fois l'homme qui se tenait devant elle et qui la tenait fermement, accrochée à ses paroles, à ses désirs. Les yeux bouffés d'épuisement nerveux, brûlés par l'intérieur, par le feu incessant des démons qui l'angoissent. Semblables peut-être aux siens. La silhouette maigre, affamée de ne pas vivre, de ne pas être libre, dévorée de retenir, contenir, assujettir sa propre personne, ses cauchemars récurrents, sans cesse avec la même pugnacité, la même foi inébranlable.

Depuis combien de temps est-ce que cela dure ? Je ne me souviens pas. Pas de tout. Il existe des moments noirs, des puits sans fond, je voudrais savoir… Je voudrais que tu m'aides. Je ne supporte pas ce qu'ils t'ont fait. Je ne peux pas laisser faire.

_____________
La violence sucrée de l'imaginaire console tant bien que mal de la violence amère du réel.
Céleste
Schizophrène


Message Mer 02 Juil 2008 | 1:44  Répondre en citant

Une caresse sur ce poignet torturé, un effleurement de ces plaies tout justes refermées, une main passée dessus comme pour les effacer.

Je ne le sais pas plus. Je n'ai pas envie de comprendre maintenant.

Elle le comprend, elle les connait ou au moins les devine, tapis dans l'ombre, tentant de les manipuler, de les faire réagir selon leur volonté. Pourquoi ces doutes ? Ne sont-ils pas juste des éléments perturbateurs l'empêchant de vivre, d'accepter le fabuleux cadeau d'une confiance ? Elle propose d'elle même la fusion de deux esprits, l'association de deux êtres. Serait-ce pour le surveiller ? Non Non Non Non NON ! Croire. Longtemps qu'il ne s'était plus risqué à cette pratique. Mais il le fallait ou la perdre ; tout perdre.

L'envie le saisit d'embrasser les lèvres qui avaient laissé passer ces mots, ces espoirs. Le battement lent propulsant violemment son sang dans tout son organisme retentit de plus en plus fort. Comment ne pas céder ? Doucement il avança, pour déposer ses lèvres sur les siennes, juste les effleurer. La violence n'est plus necessaire, les corps sont rassasiés. Juste sentir les gouttes d'eau déviées par son souffle, frôler les gercures de ses lèvres sèches, aspirer cette odeur, sans jamais détacher ses yeux de son regard, ou très peu.

Suis-moi…

Gardant toujours contact avec les blessures, il se détourne, et commence à avancer.

_____________
Comment ne pas craindre ceux qui nous touchent le plus
Fallom Tenk
Paranoïaque


Ouvrir un nouveau dossier  Compléter le dossier   L'Asile > Le cloître Page 2 sur 3

 
Aller à la page Précédente  1, 2, 3  Suivante


Développement : phpBB © 2001, 2005 phpBB Group
Environnement et design : La Direction © Crédits et remerciements
Traduction : phpBB-fr.com