L'étrangeté d'Ann Strokes ne réside pas dans son apparence physique – dont bien sûr quelques traits trahissent malgré tout la folie. Le profil aigü d'Annet donne parfois l'impression que ses yeux sont enfoncés dans leurs orbites – et le fait que, trop vifs et trop sombres, ils roulent sans cesse de droite à gauche n'arrange rien à l'affaire. Son sourire plombé, son rire large plus encore, ont quelque chose de machiavélique. Enfin, son allure générale traduit une grande nervosité : toujours sur le qui-vive, Annet frissonne, se gratte ou dodeline sèchement de la tête, à la recherche d'une ombre cachée. Ses cheveux gras et lisses tombent en pluie brune sur ses épaules. Tout ce que ces tics secondaires n'ont pas rogné de l'harmonie de sa silhouette laisse Ann Strokes désirable, sous les lambeaux de sa robe noire.

Annet ne fait confiance à personne ; son parcours jusqu'ici ne le lui a pas permis. Pourtant il lui arrive d'aimer les autres – les hommes surtout : sa plus grande ivresse, outre les flammes, consiste à s'abandonner. Cependant il s'agit toujours d'un amour égoïste, presque réflexif : Annet a une grande estime d'elle-même et méprise la plupart du reste du monde. Dotée d'une assurance presque inébranlable, elle serait tout à fait sociable si, derrière chaque visage, elle ne voyait les traces de boue des intentions les plus sales. Être versatile et passionné, tout entier soumis à l'Instinct et l'Appétit, Annet trimballe ses haillons altiers et sa cigarette jaune partout où il lui plait – à la recherche du plaisir bref et intense que peut offrir cette pouilleuse de vie.